Guide de l’économie circulaire de nos appareils numériques

Ce guide comprend douze modules, illustrés par des études de cas. Il décrit les concepts, processus et certains des principaux défis de la circularité, résume les principales difficultés et possibilités, notamment en matière de plaidoyer.

Guide de l’économie circulaire de nos appareils numériques

Quelle sera l’évolution de notre monde numérique connecté ? Espérons que l’avenir ne suivra pas les tendances du passé : production et consommation de masse d’appareils numériques ; un monde divisé entre ceux « avec » et ceux « sans » le tout numérique ; la promotion inimaginable des économies intelligentes et une perspective du tout technologique. Mais ce n’est pas une option : cela ne pourra tout simplement pas fonctionner pour les gens, ni pour la planète. 

Ce guide cherche à donner des pistes de compréhension, réflexion et action collective pour changer radicalement de direction vers une économie régénérative et redistributive qui respecte à la fois les droits et les limites humains et écologiques. Elle a été pensée pour les organisations de la société civile qui souhaitent transformer leur utilisation de la technologie au quotidien, pour les entrepreneur es qui veulent avoir un impact positif sur le monde et l’environnement dans lesquels nous vivons, ou pour toute autre personne intéressée à se connecter, en ligne ou hors ligne, de manière plus durable. 

Des appareils numériques au-delà des limites

Il y a plus d’appareils numériques dans le monde que d’individus. La répercussion des avantages et des coûts des appareils numériques, par contre, est tout à fait inégale. Nous vivons sur une planète qui suit le cycle naturel et consommons ses ressources au-delà des limites naturelles, au-delà des capacités régénératives de la nature. Le changement climatique, la perte de biodiversité, l’érosion des sols, la pollution et l’épuisement des ressources sont les résultats directs des impacts humains sur la planète. L’appareil numérique sur lequel vous lisez ce guide a un impact sur la planète à chacune des étapes de son cycle de vie.

Ce guide traite des appareils numériques que nous utilisons et que nous touchons : les ordinateurs de bureau, les ordinateurs portables, les téléphones portables et les tablettes. Nous savons que ces appareils personnels dépendent de périphériques réseau tels que des routeurs, et de centres de métadonnées bourrés d’étagères de serveurs informatiques qui livrent du contenu et des services. On connaît également une explosion d’appareils dits « intelligents » qui créent ce que l’on appelle « l’internet des objets ». Des milliards de nouveaux appareils de l’internet des objets sont produits tous les ans. Ces nouveaux « objets » électroniques et connectés incluent des composantes électroniques telles que celles de nos appareils numériques personnels mais qui, contrairement à ces dernières, sont conçus pour un usage spécifique. Bien qu’elle ait absolument les mêmes impacts énergétiques et matériels sur l’environnement, cette « autre » catégorie mérite un autre rapport.

Nous ne pouvons espérer réduire nos émissions nettes à zéro d’ici 2050 sans amélioration considérable de tous les processus du cycle de vie des appareils numériques. Ceci inclut de concevoir des produits en prévoyant une durabilité et une réparable unité maximale, de fabriquer en incluant des matériaux récupérés de déchets électroniques plutôt que de matières premières de l’extraction minière, et enfin de réparer et réutiliser les produits. Même si les cibles de réduction des émissions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne seront probablement pas atteintes, nous devons tout de même agir. En termes de mise en œuvre, et d’étapes pratiques, nous pouvons faire beaucoup ensemble et nous pouvons, ensemble, changer d’orientation vers un monde plus juste économiquement, socialement et environnementalement. 

Ce guide comprend treize modules, illustrés par des études de cas. Il décrit les concepts, processus et certains des principaux défis de la circularité, résume les principales difficultés et possibilités, notamment en matière de plaidoyer, et inclut enfin un glossaire pour vous aider à vous y retrouver. 

Déchirez, mélangez, partagez et réutilisez pour aller droit au but

Il y a plusieurs manières de lire ce guide. Vous pouvez même commencer au début ! Ou si vous n’êtes pas à l’aise avec le langage utilisé, vous pouvez par exemple commencer par lire la liste des concepts élémentaires à la fin du Module 3. Si vous faites partie d’une organisation militante, consultez les études de cas pour voir les exemples qui vous parlent, puis lisez le Module 4 sur l’extractivisme, le Module 9 sur les droits environnementaux et le Module 10 sur les politiques relatives au processus tout au long de la vie d’un appareil numérique. Si vous participez à l’élaboration des politiques, vous pouvez vous familiariser avec le cadre de l’économie circulaire dans le Module 3 puis consulter la discussion politique à ce propos au Module 10. Si vous faites partie d’une entreprise sociale qui travaille avec des appareils et des logiciels informatiques, vous pouvez parcourir les intégrations possibles des données et des outils logiciels pour faciliter l’évaluation de l’impact environnemental et social au Module 11, qui porte sur les pratiques et outils circulaires. Si vous êtes responsable de l’approvisionnement ou interagissez avec le ou la responsable de votre ville ou de votre région, consultez les informations sur l’approvisionnement du Module 7 et leurs interactions avec tous les autres processus de l’économie circulaire des appareils numériques.

Ce guide est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International (CC BY 4.0).

 

 

 

Module 1 : L’impact environnemental d’un appareil numérique

Les appareils numériques compteront, d’ici une dizaine d’années, pour près d’un quart des émissions mondiales, principalement dues à l’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication de l’appareil, au transport et à la production.

Nos appareils consomment des ressources naturelles

De nos jours, les appareils électriques ou électroniques sont présents, sous une forme ou une autre, dans presque tous les foyers ou les entreprises. Il peut s’agir de produits tels que les jouets électroniques bon marché ou les montres numériques, d’appareils électroménagers, de radios et télévisions, ou encore de téléphones portables, d’ordinateurs portables ou de tablettes. Ces appareils sont très souvent connectés à l’internet, et interagissent donc avec, voire sont interdépendants, d’autres appareils.

Le problème est que l’augmentation du nombre de personnes connectées entraîne une tendance à la multiplication des appareils individuels. Et que cette accumulation est lourde de répercussions : plus il y a de téléphones portables, d’ordinateurs portables et d’ordinateurs de bureau, plus nombreux sont les fournisseurs cloud, les serveurs, les câbles à haut débit et les réseaux mobiles.

Plus de six milliards de nouveaux biens des technologies de l’information et de la communication (TIC) sont vendus dans le monde chaque année. Et il est estimé que 1,5 milliard de smartphones seront vendus en 20211, ainsi que 126 millions d’ordinateurs de bureau, 659 millions d’ordinateurs portables et 513 millions de routeurs WiFi. Ces chiffres devraient croître de manière exponentielle2 au cours des cinq à 10 prochaines années, du fait des technologies « intelligentes ».

Les déchets électroniques sont ainsi désormais le flux de déchets majoritaire dans de nombreux pays, en grande partie éliminé dans le flux des déchets ordinaires, provoquant une perte de ressources secondaires estimées à 57 milliards $US en 20193 (soit plus que le produit intérieur brut de nombreux pays). Et dans le même temps, les déchets électroniques sont souvent envoyés illégalement vers les pays en développement4.

module1-fig1

Figure 1 : Empreinte du secteur des TIC en tonnes d’équivalent dioxyde de carbone (t éq. CO2) d’ici 2030 : le défi de maintenir la croissance tout en opérant une réduction radicale de moitié. Source : ITU-T L.1470

La contribution de cette connectivité exponentielle à l’électricité pose également un problème de grande ampleur : les TIC pourraient, d’ici 2030, consommer jusqu’à 51 % de l’électricité mondiale et contribuer à 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde5.

Si les énergies renouvelables peuvent contribuer à la réduction des émissions de GES6, la production des appareils numériques n’en demeure pas moins la principale contributrice au réchauffement climatique. Elle inclut les activités en amont, telles que l’extraction des matières premières, mais également le transport et la fabrication, qui constituent la majeure partie de l’impact négatif sur les émissions7.

Évaluation de l’impact environnemental d’un appareil

La nécessité des données

L’évaluation de l’impact des matériaux, de l’énergie et des processus connexes tout au long du cycle de vie des appareils est plus précise lorsqu’elle peut s’appuyer sur des données qui nous permettent de comprendre les impacts sociaux, environnementaux et économiques des appareils numériques. Il n’y a souvent pas de données disponibles sur les déchets électroniques, et la collecte de données primaires auprès des fabricants de composants est chronophage et compliquée (problèmes de confidentialité, etc.)8.

 

Il existe des méthodes d’évaluation des impacts environnementaux associés à toutes les étapes du cycle de vie d’un appareil numérique. L’étude de l’analyse du cycle de vie (ACV) implique la recension de l’énergie, des matériaux et des émissions nécessaires et consommés pour la fabrication, et tout au long de la durée de vie escomptée d’un appareil, ce que l’on appelle l’évaluation « du berceau au tombeau » de toutes les étapes de la vie d’un produit numérique9.

Il a été démontré que la production des smartphones a un impact environnemental 75 fois supérieur à celui d’une durée de vie d’utilisation de deux années10, tel qu’illustré à la Figure 2. Mais nous avons également inclus l’internet11 – accès au réseau mobile, internet, serveur – tel que représenté à la Figure 3. Malgré la variabilité des réseaux et serveurs selon les contextes, l’impact de la production des smartphones est devancé par celui du transfert des données (l’emplacement, ou le fait de disposer de serveurs à proximité, importent) et suivi par le traitement des données dans le cloud.

L’impact environnemental de la fabrication d’un appareil est très élevé, comparativement à son utilisation et son recyclage final. Ceci vient confirmer que l’utilisation d’un appareil aussi longtemps que possible est un meilleur choix environnemental que la fabrication d’autres appareils, et particulièrement ceux qui sont jetés ou remplacés rapidement.

mod1-fig2.png

Figure 2 : Potentiel de réchauffment climatique d'un téléphone portable ayant un cycle de vie de deux années. Source: A. Andrae, Life-Cycle Assessment of Consumer Electronics. 

 

 

mod1-fig3.png

Figure 3 : Émissions de GES sur toute late durée du cycle de vie d'un smartphone (en blanc), et notamment la contribution d'un serveur rack (noir), d'une réseau (pointillés) et d'un réseau IP de base (diagonale).

La réutilisation des appareils : qu’est-ce donc ?

La réutilisation d’appareils électroniques, tels que les ordinateurs de bureau, ordinateurs portables ou téléphones portables, implique de rallonger la durée de vie utiles d’appareils déjà fabriqués qui ont été jetés. Les opérations de réutilisation à large échelle impliquent généralement une réalisation par une entreprise ou une organisation. Les appareils sont généralement collectés par un agent de deuxième main ou envoyés à une entreprise de seconde transformation pour être traités, puis sont vendus, loués ou redistribués à une autre personne qui s’en servira.

Un appareil informatique inclut des éléments de longue durée, ce qui peut s’abîmer (se détériorer ou s’user, comme les batteries), ce qui doit être remplacé (le disque dur, après un certain nombre d’heures) et ce qui est extensible (la RAM ou les périphériques, par exemple). Le processus de réutilisation se termine lorsque, après quelques années, l’appareil ou un composant devient inutilisable, même en envisageant des améliorations grâce au remplacement de certains composants. C’est à ce moment qu’un appareil devrait être recyclé, un processus qui implique l’extraction des matières premières utiles de l’appareil recyclé12.

Les initiatives de recyclage sont nombreuses dans le monde. Elles concernent les appareils numériques ou d’autres produits et s’intègrent dans la culture de la réutilisation. Repair Café, par exemple, est une organisation à but non lucratif née en 2007 de l’idée d’acquérir des compétences pour réparer des appareils numériques. Il y a maintenant près de 2 000 Repair Cafés dans plus de 24 pays. En 2017, plus de 300 000 appareils numériques ont ainsi été réparés13. Repair Café reconnaît que, dans de nombreux pays, nous jetons des articles qui n’ont presque rien, simplement parce que nous ne disposons pas des compétences nécessaires pour les réparer. Les Repair Cafés souhaitent impliquer les personnes qui disposent de compétences de réparation afin qu’elles partagent leurs connaissances et permettent de rallonger la vie des appareils numériques, plutôt que de les jeter.

Répondre rapidement à une crise en réutilisant de vieux ordinateurs

Il y a soudainement eu une forte demande d’ordinateurs en Europe lors du pic de la pandémie de COVID-19, particulièrement pour suivre les cours à la maison. Le raisonnement habituel « on n’a qu’à en acheter » n’a pas fonctionné car la chaîne logistique mondiale n’était pas en mesure de fabriquer et livrer autant de nouveaux ordinateurs. Dans le même temps, de nombreux appareils jetés mais utilisables s’amoncelaient, attendant d’être reconditionnés et réutilisés. En se servant de ces appareils, les activistes de la réutilisation ont pu répondre au nouveau besoin et préparer puis distribuer des ordinateurs en quelques jours seulement, alors que la fabrication des nouveaux ordinateurs a pris près d’un an, soit trop longtemps pour la période de confinement14.

 

Club de Reparadores: la promotion d’une culture de la réparation

Par Florencia Roveri, Nodo TAU

 

Le Club de Reparadores (Club des réparateurs·trices) est une initiative lancée en Argentine en novembre 2015 par l’organisation Artículo 41,15 dans le but de sensibiliser à la réparation comme pratique durable de consommation responsable. L’initiative a été inspirée par des mouvements d’autres pays.

 

Le Club de Reparadores vise à promouvoir la réparation d’objets (appareils électroménagers, jouets, livres, meubles, vélos, radios, téléviseurs, téléphones et ordinateurs, entre autres) afin de rallonger leur durée de vie utile. Il contribue à la promotion d’une culture de la réparation en développant et partageant les compétences de réparation et en insistant sur le soin et la proximité comme valeurs sociales.

 

Il a organisé des événements de réparation itinérants dénommés « clubs » dans plusieurs quartiers de Buenos Aires, ainsi que les villes de Córdoba, Bariloche et Rosario. Le Club soutient l’organisation d’événements grâce à une cartographie et une collecte d’informations sur des réparateur·trice·s locaux·ales et autres acteur·trice·s de l’économie locale. Ces informations sont publiées en ligne sur la plateforme https://reparar.org.

 

Ce projet s’appuie sur une communication créative, et ses messages sont largement relayés. Les événements impliquent plusieurs générations, bien qu’ils regroupent surtout des jeunes qui travaillent dans l’électronique et les technologies de l’information et de la communication, et autant de femmes que d’hommes.

 

Le Club de Reparadores a organisé 64 événements à ce jour, qui ont donné lieu à la réception de 2 976 produits à réparer et impliqué 335 réparateur·trice·s volontaires, ainsi que 3 471 assistant·e·s. Un total de 1 934 produits a été réparé au cours de ces événements.

 

Le projet a eu un impact dans trois domaines différents : environnemental, car la prolongation de la durée d’utilité des objets ralentit la production de nouveaux objets, ce qui à son tour réduit la génération de déchets et d’émissions carbone ; économique, car le projet promeut le travail des réparateur·trice·s des quartiers, qui deviennent des personnes clés dans un modèle d’économie circulaire ; et enfin culturel, car il remet en cause la culture des biens jetables et de l’obsolescence programmée, et valorise les compétences de réparation, renforçant ainsi la collaboration et créant une résilience sociale.

 

Annexe 1 : Mesures des matériaux, des appareils et de l’énergie

L’impact environnemental d’un appareil peut figurer dans les catégories "matériaux", "appareils" et "énergie".

Aspect

Description

Measure Connexe

Unités mesurées

Sources

Matériaux

Les matières premières durement extraites1 de la nature et les impacts sur les écosystèmes locaux ; les matériaux secondaires extraits du recyclage ; et les matériaux mixtes ou matériaux électroniques éliminés sous forme de déchets et de fumée polluants.

Le potentiel d’épuisement des ressources abiotiques : Abiotique qualifie les ressources naturelles (notamment les ressources énergétiques), telles que le minerai de fer et le pétrole brut, considérées non vivantes. Il a trait à la diminution de la disponibilité de la réserve totale de ressources potentielles.

Unités équivalent antimoine (Sb-eq)

17,18

Les appareils

La conception, la fabrication, l’approvisionnement, la distribution, la réutilisation des appareils et pièces, le recyclage.

Potentiel de réchauffement planétaire dans 100 ans (PRP, PRP100) : Rapport entre le réchauffement de l’atmosphère causé par un gaz à effet de serre et celui causé par une masse semblable de dioxyde de carbone, calculé sur une période de 100 ans.

Unités d’équivalent dioxyde de carbone (eCO2)

19,20

Énergie

Génération, consommation, énergie auto-générée, économies.

Demande en énergie totale (CED) : Consommation énergétique de ressources renouvelables et non-renouvelables.

Joule

21



Références

[1] Statista. (2021). Number of smartphones sold to end users worldwide from 2007 to 2021 (in million units). https://www.statista.com/statistics/263437/global-smartphone-sales-to-end-users-since-2007

[2] Andrae, A., Navarro, L., & Vaija, S. (2021). Recommendation ITU-T L.1024: The potential impact of selling services instead of equipment on waste creation and the environment – Effects on global information and communication technology. Union internationale des télécommunications. https://www.itu.int/rec/T-REC-L.1024-202101-I/en  

[3] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). The Global E-waste Monitor 2020: Quantities, flows and the circular economy potential. United Nations University (UNU)/United Nations Institute for Training and Research (UNITAR) – co-hosted SCYCLE Programme, International Telecommunication Union (ITU) & International Solid Waste Association (ISWA). http://ewastemonitor.info/wp-content/uploads/2020/07/GEM_2020_def_july1_low.pdf

[4] Département des affaires économiques et sociales du Secrétariat des Nations Unies. (2010). Trends in Sustainable Development: Chemicals, mining, transport and waste managementhttps://sdgs.un.org/publications/trends-sustainable-development-chemicals-mining-transport-waste-management-2010-2011

[5] Andrae, A., & Edler, T. (2015). On Global Electricity Usage of Communication Technology: Trends to 2030. Challenges, 6(1), 117-157. https://doi.org/10.3390/challe6010117  

[6] Amponsah, N. Y., Troldborg, M., Kington, B., Aalders, I., & Hough, R. L. (2014). Greenhouse gas emissions from renewable energy sources: A review of lifecycle considerations. Renewable and Sustainable Energy Reviews, 39, 461-475. https://doi.org/10.1016/j.rser.2014.07.087

[7] Andrae, A. S. G. (2016). Life-Cycle Assessment of Consumer Electronics: A review of methodological approaches. IEEE Consumer Electronics Magazine, 5(1), 51-60. https://ieeexplore.ieee.org/document/7353286  

[8] Proske, M., et al. (2020). Life cycle assessment of the Fairphone 3. Fraunhofer IZM. https://www.fairphone.com/wp-content/uploads/2020/07/Fairphone_3_LCA.pdf

[9] Weetman, C. (2017). A Circular Economy Handbook for Business and Supply Chains. Kogan Page. https://global-recycling.info/archives/1585

[10] Andrae, A. (2016). Op. cit. Life-Cycle Assessment of Consumer Electronics: A review of methodological approaches. In IEEE Consumer Electronics Magazine 5.1, pp. 51–60. https://ieeexplore.ieee.org/document/7353286

[11] Suckling, J., & Lee, J. (2015). Redefining scope: The true environmental impact of smartphones? International Journal of Life Cycle Assessment, 20, 1181-1196. https://doi.org/10.1007/s11367-015-0909-4  

[12] Franquesa, D., & Navarro, L. (2018). Devices as a Commons: Limits to premature recycling. In Proceedings of the Second Workshop on Computing within Limits (LIMITS ’18). ACM. https://computingwithinlimits.org/2018/papers/limits18-franquesa.pdf  

[13] Repair Café. (2018, 20 June). Repair Cafés save 300.000 products. https://www.repaircafe.org/en/repair-cafes-save-300-000-products

[14] Proctor, N. (2020, 2 September). The Right to Repair could help address a critical shortage in school computers. U.S. PIRGhttps://uspirg.org/blogs/blog/usp/right-repair-could-help-address-critical-shortage-school-computers

[15] Le nom de l’organisation (Article 41) fait référence à l’article de la Constitution argentine qui promeut la protection de l’environnement, à la fois comme droit et comme devoir.

[16] “Ecological amputation” as the physical removal of ecosystems in open-pit mega-mining. See Gudynas, E. (2018). Extractivisms: Tendencies and consequences. In R. Munck & R. Delgado Wise (Eds.), Reframing Latin American Development. Routledge. http://gudynas.com/wp-content/uploads/GudynasExtractivismsTendenciesConsquences18.pdf

[17] ITU-T. (2016). L.Sup32: Supplement for eco-specifications and rating criteria for mobile phones eco-rating programmeshttps://www.itu.int/rec/T-REC-L.Sup32-201610-I

[18] van Oers, L., de Koning, A., Guinée, J. B., & Huppes, G. (2002). Abiotic resource depletion in LCA: Improving characterisation factors for abiotic resource depletion as recommended in the new Dutch LCA handbook. Road and Hydraulic Engineering Institute. http://www.leidenuniv.nl/cml/ssp/projects/lca2/report_abiotic_depletion_web.pdf

[19] https://en.wikipedia.org/wiki/Global_warming_potential

[20] ITU-T. (2014). L.1410: Methodology for environmental life cycle assessments of information and communication technology goods, networks and serviceshttps://www.itu.int/rec/T-REC-L.1410 

[21] Ibid.

 

Module 2 : Répondre aux besoins prochains

Un appareil numérique peut avoir des impacts économiques, sociaux, et environnementaux positifs ou négatifs à chacune des étapes de son cycle de vie, depuis l’énergie et les ressources naturelles nécessaires à sa fabrication, puis tout au long de sa vie utile et jusqu’à sa fin lorsqu’il devient un déchet électronique. La durabilité consiste à minimiser les impacts négatifs et maximiser les impacts positifs.

Qu’est-ce que le développement durable ?

Le développement durable consiste à répondre « aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs »1. Ceci implique de soutenir le développement économique tout en soutenant les ressources économiques et les écosystèmes desquels dépendent l’économie et la société.

Le développement est à distinguer de la « croissance », elle-même désormais associée à la dégradation de l’environnement et connue pour être la « tragédie des biens communs2 ». L’idée du développement durable reflète le nécessaire équilibre entre économie, individus et nature. Elle a été abordée dans le rapport du Club de Rome intitulé Halte à la croissance ?3 dès 1972, et dans le rapport Notre avenir à tous4 de 1987 de l’ONU. La durabilité du développement humain et du progrès dépend de la reconnexion avec la biosphère et les écosystèmes essentiels5.

Le Sommet mondial de 2005 a identifié des objectifs de développement durable selon trois piliers : le développement économique, le développement social et la protection de l'environnement. Comme le montre la Figure 4, les intersections entre ces piliers sont qualifiés de "vivable", "équitable" et "viable". Ce n’est que lorsque les trois se chevauchent que la durabilité peut être atteinte.

 

mod2-fig1.png

Figure 4 : Diagramme de Venn du développement durable, à l'intersection de trois préoccupations. (Wikipédia: Développement_durable).

La réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU d’ici 2030 dépend de l’attention portée à ces trois piliers de la durabilité Les ODD ont été adoptées en 2015 comme "une marche à suivre pour parvenir à un avenir meilleur et durable en répondant aux défis liés à la pauvreté, aux inégalités, au climat, à la dégradation de l’environnement, à la prospérité, à la paix et à la justice".

Le monde numérique fait partie du problème et pourrait participer à la solution

Un appareil numérique a des impacts économiques, sociaux et environnementaux à chacune des étapes de son cycle de vie, en commençant par l’énergie et les ressources naturelles nécessaires à sa fabrication. Les impacts négatifs des appareils numériques sont nombreux. De nombreuses communautés du Sud, par exemple, souffrent des effets négatifs de l’extractivisme (l’extraction des ressources naturelles) ou de l’élimination des déchets électroniques. À l’inverse, les technologies de l’information de la communication (TIC) peuvent permettre de compenser aux défaillances de la vie sociale et économique grâce à des solutions numériques qui améliorent l’efficacité énergétique, la gestion des inventaires ou la réduction des transports et déplacements (par exemple le télétravail et les visioconférences ou la substitution de produits physiques tels que des livres par des informations numériques). Cette capacité est ce que l’on appelle les effets  "de deuxième ordre" ou "d’habilitation".

Les ODD et l’internet

Plusieurs cibles des Objectifs de développement durable (ODD) sont en lien avec la réduction des inégalités. Les TIC et la digitalisation peuvent contribuer à atteindre tous les ODD. En effet, même si l’internet est moins visible qu’il ne le devrait dans les ODD, plusieurs d’entre eux incluent des implications directes : ODD7 : "Énergie propre et abordable", qui requiert l’utilisation des TIC notamment pour l’énergie solaire et éolienne et dans les micros-réseaux isolés ; ODD9 : "Industrie, innovation et infrastructure", dans lesquels la création de réseaux et l’informatique sont des infrastructures clés ; ODD11 : "Consommation et production durables", en lien avec l’économie circulaire des appareils numériques ; et ODD13 : "Lutte contre les changements climatiques", pour laquelle les TIC peuvent servir à soutenir le partage de données, les campagnes et la coordination nécessaires dans la lutte contre les changements climatiques.

 

Qu’est-ce qu’un "espace sûr et juste pour les gens sur la planète" ?

 

mod2-fig2.png

Figure 5 : Le modèle économique du doughnut.

Le diagramme de la Figure 5 permet de visualiser l’espace viable pour le développement durable. En forme de beignet (ou de bouée), il allie le concept de « limites planétaires » avec le concept complémentaire de « limites sociales »6. Le cercle au centre représente la proportion de personnes qui n’ont pas accès à leurs besoins fondamentaux (tels que les soins de santé, l’éducation, le travail, etc.) alors que la « croûte » extérieure représente les plafonds écologiques (limites planétaires) desquelles dépend la vie et qui ne devraient pas être dépassés. Il y a au sein des limites planétaires et sociales une région considérée viable pour une économie régénérative et distributive.

Il nous faut vraiment radicalement améliorer notre relation avec la nature, ce qui nécessite de repenser de nombreuses décisions et de réorganiser de nombreux processus. Le diagramme indique qu’il est nécessaire de répondre aux besoins environnementaux, économiques et sociaux en vue d’un avenir durable. Nous devons aussi veiller à avoir des manières ouvertes de participer, qui prennent en compte le facteur local. La circularité et ce que l’on appelle « l’économie circulaire » sont des changements clés qu’il nous faut promouvoir.

 

Références

[1] Développement et coopération économique internationale. (1987). Our Common Futurehttp://www.un-documents.net/our-common-future.pdf

[2] Hardin, G. (1968). The Tragedy of the Commons. Science, 162(3859), 1243-1248. https://www.science.org/doi/10.1126/science.162.3859.1243

[3] Meadows, D. H., Meadows, D. L., Randers, J., & Behrens, W. W. (1972). The Limits to Growth: A Report for the Club of Rome's Project on the Predicament of Mankind. Universe Books. https://collections.dartmouth.edu/teitexts/meadows/diplomatic/meadows_ltg-diplomatic.html

[4] United Nations World Commission on Environment and Development. (1987). Op. cit.

[5] Folke, C., et al. (2011). Reconnecting to the Biosphere. Ambio, 40https://doi.org/10.1007/s13280-011-0184-y

[6] United Nations General Assembly. (2005). 2005 World Summit Outcome. Resolution A/60/1, adopted by the General Assembly on 15 September 2005. https://www.un.org/en/development/desa/population/migration/generalassembly/docs/globalcompact/A_RES_60_1.pdf

[7] Raworth, K. (2012). A Safe and Just Space for Humanity: Can we live within the doughnut? Oxfam. https://policy-practice.oxfam.org/resources/a-safe-and-just-space-for-humanity-can-we-live-within-the-doughnut-210490

Module 3 : La définition de l’économie circulaire des appareils numériques

L’économie circulaire des appareils numériques peut s’entendre comme l’extension de la vie utile des appareils numériques par le biais d’une amélioration de la fabrication et de la réutilisation, une maximisation des impacts sociaux positifs des appareils et une minimisation du besoin de nouveaux appareils et des déchets électroniques.

La "meilleure utilisation" aussi longtemps que possible

La circularité concerne la "conception de l’élimination des déchets et de la pollution, la conservation des produits et matériaux utilisés et la régénération des systèmes naturels". Dans le contexte des appareils numériques, la circularité cherche à atteindre la meilleure utilisation des appareils en maximisant leur durée de vie. Elle contribue ainsi à décarboner l’environnement. La circularité peut cependant également contribuer à limiter les inégalités sociales en rendant les appareils numériques disponibles aux personnes qui n’y ont autrement pas accès et en créant des emplois dans le cadre de la réparation ou du reconditionnement des appareils numériques. Même lorsque l’on est en mesure d’acheter un appareil entièrement neuf, ceci ne signifie nullement que notre environnement naturel, notre société et notre économie peuvent se le permettre.

Du point de vue des investissements, l’économie circulaire se définit ainsi : "Dans un modèle économique linéaire, nous fonctionnons avec un déficit de capital naturel, accumulant une dette que nous avons envers les générations futures. L’objectif principal d’une économie circulaire est l’élimination d’un tel déficit." Une définition de l’économie circulaire basée sur les résultats la présente comme étant "un modèle économique permettant de répondre aux besoins humains et de distribuer les ressources de manière équitable sans préjudice au fonctionnement de la biosphère ou dépasser les limites planétaires1 ".

Les 3R : réduire, réutiliser, recycler

Certains processus circulaires sont plus "circulaires" – ou meilleurs – que d’autres. Tout cela dépend de la mesure des efforts de réduction et de réutilisation, puis enfin seulement de recyclage, telles que le propose la règle des 3R.

Cette règle a pour objectif de maximiser les avantages pratiques des produits et de minimiser la production de déchets. La bonne application de la règle des 3R peut présenter plusieurs avantages. Elle peut contribuer à prévenir les émissions de gaz à effet de serre, limiter les polluants, économiser l’énergie, protéger les ressources, créer des emplois et stimuler le développement des technologies vertes. Cette simple règle propose un ordre de préférence :

Les 3R ne sont eux-mêmes pas circulaires. Tout dépend de l’ordre d’application et des décisions qui sont prises. Pour qu’il y ait circularité, il est nécessaire que la valeur ajoutée demeure dans le produit aussi longtemps que possible et que les déchets soient éliminés2, ou d’être engagé en faveur de la mission des mouvements zéro déchet. Les trois principes d’une économie circulaire peuvent être résumés ainsi : 1) conception de l’élimination des déchets de la pollution, 2) conservation des produits et matériaux utilisés et 3) régénération des systèmes naturels.

Des diagrammes utiles pour illustrer l’économie circulaire

Toute activité économique circulaire qui doit de prendre en compte les piliers économiques, sociaux et environnementaux de la durabilité afin d’identifier une zone de faisabilité viable pour chacun des piliers.

Le modèle d’affaires tridimensionnel (BMC) est une manière pratique et utile d’aborder, de concevoir et de représenter ces trois dimensions1. Il donne un aperçu de la manière dont les entreprises créent de la valeur en incluant une approche tridimensionnelle de la durabilité du bas vers le haut. « Les entreprises » ou « les affaires » sont ici à entendre comme toute organisation qui cherche à transformer sa communauté grâce à des profits sociaux (redistribution) et environnementaux (régénération), et qui n’est pas principalement centrée sur la génération de profits économiques (extraction).

mod3-fig1.pngFigure 6 : Le modèle d'affaires tridimensionnel: Les dimensions économiques, du cycle de vie environmentale et des parties prenantes sociales.

Tel que l’indique la structure globale de la Figure 6, le modèle d’affaires tridimensionnel est composé d’une dimension économique (qui repose sur le BMC d’origine), d’une dimension de cycle de vie environnemental et d’une dimension relative aux parties prenantes sociales. Chaque dimension est répartie en trois sections : la création de valeur (à gauche), l’apport de valeur (à droite) et la collecte de valeur (en bas). Les parties prenantes, et notamment les entreprises ou entrepreneurs sociaux, ou les institutions gouvernementales, peuvent se servir de ce modèle pour avoir une compréhension de haut niveau approfondie des relations entre les aspects économiques, environnementaux et sociaux de leur modèle d’affaires ou d’organisation.

Cette illustration démontre comment ces trois aspects fluctuent et s’équilibrent et donnent une idée de la faisabilité et de la durabilité d’une organisation. Parmi les activités qui pourraient s’inscrire dans ce modèle figurent une entreprise sociale pour la collecte et le reconditionnement d’ordinateurs et de téléphones portables en vue de leur réemploi ; une usine de traitement des déchets électroniques ; ou une équipe qui vient en aide aux personnes vulnérables afin qu’elles puissent utiliser de manière efficace des appareils numériques reconditionnés dans leur vie de tous les jours.

Il existe de nombreuses autres représentations de l’économie circulaire soulignant ses différents aspects. La Figure 7 est un schéma générique de l’économie circulaire créé par la Fondation Ellen MacArthur.

mod3-fig7.png

Figure 7 : Schéma de l'économie circulaire réalisé par la fondation Ellen MacArthur. 

La Figure 8 présente les processus d’une économie circulaire générique d’un point de vue des politiques publiques, élaborés par un conseil régional au Canada. Le point de vue générique des parties prenantes est donné à la Figure 9 par l’organisation caritative britannique Waste and Resources Action Programme (WRAP).

mod3-fig8.png  

Figure 8 : L'économie circulaire en général, accompagnée de recommendations politiques Source: Recycling Council Ontario)

mod3-fig9.png

Figure 9 : Illustration des processus de l'économie circulaire par le WRAP. 

Les diagrammes suivants présentent des appareils numériques selon un modèle circulaire. Le premier (Figure 10) est tiré du secteur de la normalisation des télécommunications de l’UIT (UIT-T)1. Il établit une distinction importante pour les biens des technologies de l’information de la communication (TIC) entre la fin de vie d’un cycle d’utilisation, qui peut s’arrêter avec le recyclage, l’élimination dans une décharge ou le retour à l’utilisation par le biais d’un reconditionnement/réemploi, et la fin du dernier cycle de vie, lorsqu’un produit part au recyclage ou dans une décharge. La Figure 11 s’intéresse à une durée de vie prolongée incluant différents cycles de réutilisation autour de la phase d’utilisation, impliquant directement les citoyens, le reconditionnement professionnel local ou la fabrication et refabrication au niveau mondial, avec des phases de reconditionnement en usine dans l’optique de créer le minimum de fuite de déchets électroniques vers des décharges et un minimum d’intrants de matières premières.

 

mod3-fig10.png

Figure 10 : Les flux de cycle de vie matérielle des biens des TIC. Source: ITU-T Supplement 28   

mod3-fig11.png

Figure 11 : Léconomie circulaire des appareils numériques. Source: Franquesa 2018.     

Le modèle Value Hill : les processus de l’économie circulaire des appareils numériques

L’économie circulaire inclut plusieurs processus au cours du cycle de vie d’un appareil numérique. Ces processus sont interdépendants et créent de nouvelles boucles au sein du cycle de vie élargi d’un appareil numérique.

mod3-fig12.png

Figure 12 : Le modèle Value Hill (Source: The Sustainable Finance Lab, 2016).

Le modèle Value Hill de l’économie circulaire1 propose une compréhension de la manière de positionner ces processus en termes de valeur (utilité) dans un contexte circulaire. Tel qu’indiqué à la Figure 12, la valeur augmente à mesure que le produit est élaboré dans la phase de pré-utilisation (montée à gauche). La surface place représente la phase d’utilisation d’un appareil, au moment où la valeur du produit est à son maximum. Après un cycle d’utilisation, la valeur du produit décroît tout au long de phase post-utilisation (descente à droite).

Les choix circulaires dans chacun des processus de ces trois phases sont interreliés. Les choix opérés lors de la montée peuvent contribuer à, et prolonger, la phase d’utilisation, et faciliter une descente plus lente. Le réemploi, le reconditionnement et l’entretien d’un appareil, facilité par une conception de produit circulaire, peuvent remettre des appareils en utilisation, sur la phase plane en hauteur. Enfin, la récupération de composants et de matériaux est facilitée par la prise de bonnes décisions lors des processus de conception circulaire et de fabrication.

L’économie circulaire tente de préserver les appareils en tant que ressources dotées de la valeur la plus élevée possible pendant le plus longtemps possible. La valeur peut inévitablement diminuer, mais des processus régénérateurs peuvent redonner aux appareils une valeur supérieure grâce au reconditionnement, à la réparation et à la maintenance afin de trouver et de satisfaire les besoins de nouveaux utilisateurs, ou une valeur inférieure grâce à la récupération de composants, au recyclage accompagné de la récupération de tous les composants utiles ou à la minimisation de l’impact de la fraction irrécupérable des composants (matériaux séparés, compacts ou traités avec des substances toxiques pour éviter les dommages).

La circularité ne peut pas être tout et n’importe quoi

Le concept d’économie circulaire peut devenir trop élastique. Sa signification peut varier considérablement en fonction des intérêts de la personne qui la définit. Par exemple, est-ce circulaire de brûler des déchets pour la génération d’énergie ?

Le langage de l’économie circulaire et de la circularité est parfois utilisée à mauvais escient, à des fins d’écoblanchiment (greenwashing), sans véritablement limiter les impacts négatifs sur l’environnement, la société et l’économie. Les idées telles que le « charbon vert » ou le « marketing vert », qui se servent de « logos verts », peuvent mettre en péril la différence radicale entre une approche de la « ressource pérenne » et du « déchet en devenir ».

La circularité implique la régénération de ressources sur de multiples cycles, et non sur quelques cycles choisis seulement. L’économie circulaire ressemble actuellement à une spirale économique vers le bas : les déchets électroniques sont toujours produits et les ressources ne sont pas toutes entièrement régénérées à leur valeur d’utilisation initiale1 ; les produits ne sont pas recyclés à plusieurs reprises et on peu de cycles de réemploi ; et la durée de vie des produits est limitée par les composants non remplaçables et le manque de modularité et d’évolutivité des appareils. Ceci signifie que des évaluations transparentes des impacts, la disponibilité des données et la réglementation et la certification de la circularité sont très importantes.

Quelques termes et définitions utiles

Conformément au modèle de Value Hill, nous pouvons regrouper les processus circulaires en trois phases de durée de vie des appareils numériques : la pré-utilisation (ou intrants), l’utilisation et la post-utilisation (ou produits).

La phase de pré-utilisation

Les décisions relatives à la conception et à la fabrication déterminent l’utilisation de matières premières, douloureusement extraites de la nature1, ou l’utilisation de matières premières secondaires, collectées et recyclées dans le cadre d’une extraction urbaine.

Une mine urbaine fait référence aux métaux rares jetés parmi les déchets électroniques qui peuvent être récupérés par le biais de traitements mécaniques ou chimiques.

L’extraction minière artisanale est un mode d’extraction en grande partie manuelle pratiquée par des individus, des groupes ou des communautés2.

L’extraction industrielle à grande échelle fait référence à un mode de production mécanisé réalisé par de grandes entreprises, souvent internationales3. Ces pratiques minières sont parfois qualifiées d’industries extractives ou d’« extractivisme ».

Les minéraux de conflits sont des minéraux extraits dans une zone où règne un conflit armé, et qui sont souvent vendus de manière illicite pour financer le conflit. Parmi les minéraux de conflits figurent les suivants :

la columbite-tantalite (ou « coltan », terme utilisé en Afrique), dont on extrait le tantale. Le tantale sert principalement à fabriquer des condensateurs tantale.

La cassitérite est le principal minerai servant à produire de l’étain, indispensable à la production de boîtes de conserve et éléments de soudure des circuits imprimés des équipements électroniques.

la wolframite est une importante source de tungstène. Le tungstène est un métal très dense. Il sert, notamment, dans les mécanismes de vibration des téléphones portables.

l’or sert dans l’électronique des connecteurs. Il est également présent dans d’autres composés chimiques utilisés dans certains processus de fabrication de semi-conducteurs.

Ceux-ci sont communément appelés les "3T et l’or", ou simplement "les 3T".

Les équipements électriques et électroniques (EEE)4 incluent une large gamme de produits contenant des composants de circuits électriques dotés d’une alimentation électrique ou d’une pile. Les EEE comptent parmi les principaux contributeurs au réchauffement climatique et à notre crise des déchets.

Un fabricant d’équipement d’origine (OEM) est une entreprise qui produit des pièces détachées et équipements, qui peuvent être vendus par un autre fabricant. Un exemple d’OEM est Foxconn, une entreprise taïwanaise d’électronique qui fabrique des pièces détachées et des équipements pour d’autres entreprises, telles que Apple, Dell, Google, Huawei et Nintendo.

Services de fabrication d’électronique (EMS) est un terme utilisé pour les entreprises qui conçoivent, fabriquent, testent, distribuent et fournissent des services de retour/réparation pour les composants électroniques et les assemblages des OEM.

L’objectif de conserver la valeur la plus élevée aussi longtemps que possible va à l’encontre du concept d’obsolescence, qui a lieu lorsqu’un produit n’est plus réparable ou qu’il se détériore alors qu’il peut toujours être en état de fonctionner.

L’obsolescence technique intervient lorsqu’un nouveau produit ou technologie dépasse l’ancienne (un appareil « nouvelle génération »).

L’obsolescence programmée est une politique de planification ou de conception d’un produit doté d’une durée de vie utile artificiellement limitée, afin qu’il devienne obsolète (c.-à-d. dépassé ou plus fonctionnel) après un certain temps. Les fabricants s’en servent pour entraîner des volumes de vente à long terme en réduisant la durée entre des achats répétés.

La responsabilité élargie du producteur (REP) dans le domaine de la gestion des déchets est une stratégie qui consiste à ajouter l’ensemble des coûts environnementaux associés à un produit tout au long de son cycle de vie au prix de vente du produit. La REP encourage les fabricants à concevoir des produits respectueux de l’environnement en tenant les producteurs pour responsables des coûts de prise en charge de leurs produits à la fin de leur vie.

La conception écologique ou écoconception est une approche de la conception qui accorde une attention particulière aux impacts environnementaux du produit tout au long du cycle de vie.

L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthode d’évaluation des impacts environnementaux associés à toutes les étapes du cycle de vie d’un produit, d’un processus ou d’un service commercial. Dans le cas d’un produit manufacturé, par exemple, les impacts environnementaux sont évalués depuis l’extraction et le traitement des matières premières (« berceau »), pendant la production du produit, sa distribution et son utilisation est jusqu’au recyclage ou à l’élimination finale des matériaux qui le composent (« tombeau »). Ces évaluations peuvent s’étendre pour inclure les impacts économiques et les impacts sociaux.

Le passeport numérique d’un produit fait référence à un portail ou une base de données en ligne où toute personne peut accéder à des informations sur la durabilité du produit. Cette initiative est en cours d’élaboration active dans la région de l’UE et par l’UIT-T à l’échelle mondiale, et cible à la fois les industries et les consommateurs.

De nombreux processus dans la vie d’un appareil numérique impliquent des efforts humains. Ces activités sont parfois reconnues comme un travail protégé par des lois et des conventions, mais une partie est informelle, susceptible de donner lieu à des abus. Par exemple, contrairement aux pressions croissantes sur la supervision des conditions de travail dans le domaine de la fabrication, de nombreuses autres activités de l’économie circulaire ne sont même pas reconnues comme du travail : l’extraction minière artisanale, les réparations informelles ou la manipulation informelle des déchets électroniques.

Le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail. Il regroupe l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leur vie, et l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes.

Le travail informel est un travail qui ne s’appuie pas sur un arrangement formel soutenu par la loi ou par la pratique. Il peut être rémunéré ou non rémunéré et est toujours non structuré et non réglementé.

Le processus d’approvisionnement des organisations publiques et privées inclut généralement l’acquisition de biens ou de services, ou le travail d’une source externe, souvent par l’intermédiaire d’un processus de soumissions ou d’appel d’offres. Les politiques, les choix et les dispositions de l’approvisionnement sont essentiels pour respecter les standards environnementaux, professionnelles, de sécurité et de qualité.

Le marché public (également connu sous le nom d’approvisionnement public) est, dans le contexte appareils numériques, l’achat volumineux de ces appareils (ordinateurs, imprimantes, serveurs, etc.) par les gouvernements ou des entreprises de l’État. Les marchés publics ont représenté 12 % du PIB mondial en 2018. Cela signifie que les gros contrats d’approvisionnement public ont tiré profit de leur pouvoir pour veiller à plus de transparence et un meilleur respect des réglementations de la part des fabricants et autres parties prenantes de la chaîne d’approvisionnement.

La phase d’utilisation

Lors de la phase d’utilisation, les appareils peuvent être utilisés et transférés pour réemploi jusqu’à ce qu’ils ne soient plus d’aucune utilité.

La valeur d’usage s’entend comme la notation de l’utilité d’un produit à une fin donnée. Elle peut être comparée à une "valeur d’échange", qui considère le prix d’un produit sur le marché. La valeur d’échange peut parfois être en concurrence avec la valeur d’usage1. Par exemple, un ordinateur neuf à un prix très bas peut inciter à l’achat plutôt qu’au souhait de continuer à utiliser un ancien ordinateur.

La valeur d’usage nulle qualifie la fin de vie d’un appareil.

Les ressources électroniques (e-ressources) : équipements électriques ou électroniques (EEE), pièces détachées ou composants qui peuvent procurer un avantage en servant à une fonction ou en étant utilisés par une personne6.

La durée de vie d’un produit est la durée pendant laquelle un produit est utilisé pour la fonction pour laquelle il a été conçu (ou fonction primaire). (Voir « obsolescence »).

Le réemploi est l’action ou la pratique d’utiliser un article, que ce soit dans sa fonction initiale (réemploi conventionnel) ou pour remplir une nouvelle fonction (réemploi créatif ou réaffectation). Il doit être distingué du recyclage, qui consiste à démonter des articles usagés pour obtenir des matières premières pour la fabrication de nouveaux produits.

L’effet de substitution est le fait que la prolongation de la vie utile d’appareils numériques contribue à limiter la nécessité de fabriquer de nouveaux appareils. En outre, il crée des occasions de satisfaire des usages d’appareils numériques moins exigeants, à un coût économique et environnemental bien moindre que celui d’acheter de nouveaux appareils. Il inclut le fait que le reconditionnement est souvent réalisé localement, alors que la nouvelle production a généralement lieu dans de grandes usines très loin.

L’extension de la durée de vie des produits fait référence à la prolongation du cycle de fonctionnement de produits et de composants grâce à la réparation, la mise à jour ou la revente.

Le reconditionnement est un processus utilisé pour remettre un produit en état de fonctionnement satisfaisant, sans procéder à d’importantes modifications du produit7.

La refabrication consiste à redonner à un produit ou composant usagé ses performances initiales, avec la garantie qu’il soit équivalent ou mieux qu’un produit nouvellement fabriqué8. La refabrication implique le fabricant d’origine, sa marque et sa certification, contrairement au reconditionnement réalisé par une tierce partie.

La servitisation est le processus de création de valeur en ajoutant des services à des produits. Il ne s’agit pas de posséder un produit matériel, mais bien plutôt d’inclure un accord de service qui comprend généralement l’entretien (p. ex. avoir accès à un ordinateur en état de marche pendant une certaine période plutôt que de posséder un ordinateur donné).

La mutualisation d’appareils numériques, comme celle d’autres biens collectifs, est un système (communautaire) de ressources auquel contribuent toutes les parties prenantes par le biais de dons, d’entretien, de données et d’autres contributions, puisque la mutualisation génère des services informatiques utiles à leurs bénéficiaires. La conception institutionnelle de la gouvernance collective est nécessaire pour orienter les participants, à l’aide de limites prédéfinies, de suivi et de processus décisionnels collectifs, afin d’assurer un fonctionnement correct en termes sociaux, environnementaux et économiques : garantir la prospérité tout en évitant la tragédie des biens communs. 

La localité se réfère à la proximité. En termes socio-économiques, la localité porte sur les effets de nos interactions sociales ou économiques sur les autres. L’engagement auprès d’acteurs locaux est un acte de soutien qui apporte des avantages supplémentaires à la communauté (recirculation de valeur et d’argent), contrairement aux interactions non locales, qui peuvent n’avoir aucun effet positif sur la communauté environnante (la valeur et l’argent locaux sont extraits). En termes environnementaux, la localité limite, notamment, l’impact des transports et évite les effets négatifs de la concentration (élimination de déchets très loin dans des pays ou régions moins réglementés, etc.).

La logistique inverse est l’inspection et la réévaluation de l’état actuel d’un produit, sa redistribution/réemploi et sa refabrication.

La phase de post-utilisation

Cette phase inclut l’élimination ou la collecte d’appareils numériques, le recyclage et le réemploi des matériaux récupérés.

Les déchets sont les produits ou matériaux non désirés ou inutilisables jetés après utilisation. Un déchet peut devenir une ressource grâce à une intervention qui élève sa valeur au-dessus de zéro.

Les déchets électroniques (e-déchets) sont les équipements et composants électriques et électroniques jetés au rebut sans intention de le réutiliser9.

La ferraille inclut les matériaux recyclables résiduels générés durant la fabrication et la consommation. Contrairement aux déchets, la ferraille a une valeur matérielle, surtout en ce qui concerne les métaux récupérés.

La nouvelle ferraille est la ferraille générée par les processus de fabrication. Sa composition est connue, généralement très pure et d’origine. Elle peut souvent être recyclée au sein d’une usine de traitement et réutilisée à nouveau en tant que ressource secondaire.

La vieille ferraille, ou ferraille post-consommateurs, qualifie les matériaux contenus dans des produits parvenus à la fin de leur vie utile. Il s’agit souvent d’un mélange de matériaux de rebut, tels que les plastiques ou alliages, ce qui signifie que le recyclage nécessite des processus plus détaillés pour une récupération adéquate.

Le recyclage est le processus de récupération de la ferraille ou de conversion de matériaux jetés en de nouveaux matériaux et objets. La recyclabilité d’un matériau dépend de sa capacité à acquérir à nouveau les propriétés qu’il avait à l’état vierge ou d’origine.

Le surcyclage (également connu en tant que réemploi créatif), est le processus de transformation de produits dérivés, de matériaux jetés et inutilisables ou non désirés en de nouveaux matériaux ou produits qui peuvent, par exemple, acquérir une valeur pratique, artistique ou environnementale.

Le décyclage est le recyclage de déchets dans lesquels le matériau recyclé est de moindre qualité et fonctionnalité que le matériau d’origine.

La valeur recyclable est une notation de la valeur d’un appareil numérique en fonction de la valeur des matières premières et du coût de leur recyclage10. Cette valeur peut être positive ou négative. Si elle est négative, le recyclage ne sera possible qu’avec une contribution économique compensant le coût du recyclage.

Une décharge, également connue sous le nom de dépotoir ou de déchetterie, est un site d’élimination des déchets. Les décharges sont un énorme problème pour les gens et pour l’environnement. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il est question de déchets électroniques qui contiennent, notamment, des matériaux toxiques et des matériaux qui ne se corrodent pas aisément.

Références

[1] Gladek, E. (2019, 15 Août). The Seven Pillars of the Circular Economy. Metabolic. https://www.metabolic.nl/news/the-seven-pillars-of-the-circular-economy  

[2] Le décret 110/2015 en Espagne, ainsi que d’autres lois et réglementations dans de nombreux pays mais pas tous. Voir: https://globalewaste.org/map

[3] Commission européenne. (2014). Vers une économie circulaire : programme zéro déchet pour l’Europe. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A52014DC0398

[4] Joyce, A. (2015, 17 April). The triple layered business model canvas – a tool to design more sustainable business models. SustainableBusinessModel.orghttps://sustainablebusinessmodel.org/2015/04/17/the-triple-layered-business-model-canvas-a-tool-to-design-more-sustainable-business-models

[5] ITU-T. (2016). Circular economy in information and communication technology: definition of approaches, concepts and metrics. Supplement 28 to ITU-T L-Series Recommendations. http://handle.itu.int/11.1002/1000/13151

[6] Achterberg, E., Hinfelaar, J., & Bocken, N. (2016). Master Circular Business with the Value Hill. Circle Economy & Sustainable Finance Lab. https://www.circle-economy.com/resources/master-circular-business-with-the-value-hill 

[7] Un appareil réutilisé, plus durable, qu’un nouvel appareil ou un appareil reconditionné, mais l’utilisateur individuel peut ne pas être d’accord. La maturité de la technologie, la conception faite pour durer est un bon reconditionnement font toute la différence.

[8] “Ecological amputation” as the physical removal of ecosystems in open-pit mega-mining. See Gudynas, E. (2018). Extractivisms: Tendencies and consequences. In R. Munck & R. Delgado Wise (Eds.), Reframing Latin American Development. Routledge. http://gudynas.com/wp-content/uploads/GudynasExtractivismsTendenciesConsquences18.pdf  

[9] Stoop, N., Verpoorten, M., & van der Windt, P. (2019). Artisanal or industrial conflict minerals? Evidence from Eastern Congo. World Development Journal, 122, 660-674. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.06.025

[10] Ibid.

[11] StEP Initiative. (2014). Solving the E-Waste Problem (StEP) White Paper: One Global Definition of E-waste. StEP Initiative/United Nations University. https://step-initiative.org/files/_documents/whitepapers/StEP_WP_One%20Global%20Definition%20of%20E-waste_20140603_amended.pdf

[12] Franquesa, D., & Navarro, L. (2018). Devices as a Commons: Limits to premature recycling. In Proceedings of the Second Workshop on Computing within Limits (LIMITS ’18). ACM. https://computingwithinlimits.org/2018/papers/limits18-franquesa.pdf  

[13] Ils sont définis par contraste avec les EEE indésirables ou inutilisables que sont les déchets électroniques.

[14] ITU-T. (2019). Circular economy: Definitions and concepts for material efficiency for information and communication technology. Recommendation ITU-T L.1022. http://handle.itu.int/11.1002/1000/13962

[15] Ardente, F., Peiró, L. T., Mathieux, F., & Polverini, D. (2018). Accounting for the environmental benefits of remanufactured products: Method and application. Journal of Cleaner Production, 198, 1545-1558. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652618319796

[16] Baldé, C. P., Forti, V., Gray, V., Kuehr, R., & Stegmann, P. (2017). The Global E-waste Monitor – 2017. United Nations University (UNU), International Telecommunication Union (ITU) & International Solid Waste Association (ISWA). https://www.itu.int/dms_pub/itu-d/opb/gen/D-GEN-E_WASTE.01-2017-PDF-E.pdf

[17] Franquesa, D., & Navarro, L. (2018). Op. cit.


Étude de cas - eReuse : Construire des circuits de réutilisation pour l’inclusion sociale

Écrit par Leandro Navarro, Université polytechnique de Catalogne (UPC) et Pangea

Projet / Programme

eReuse

Région / Pays

Espagne

Site web

https://www.ereuse.org

Circularité

Inclusion sociale et économique, ordinateurs reconditionnés, déchets électroniques, modèle de distribution innovant et axé sur les services.

Résumé

Depuis 1995, l’Université polytechnique de Catalogne à Barcelone (Espagne) dirige un programme appelé Reutilitza (Réutilisation). Dans le cadre de ce programme organisé par le Centre de coopération pour le développement, des professeur·e·s et des étudiant·e·s de plusieurs facultés réparent des ordinateurs jetés par l’université afin qu’ils soient réutilisés par des organisations sociales. eReuse est de ce projet et s’est étendu au-delà de l’université : en soutenant plusieurs entreprises sociales qui collectent et reconditionnent des ordinateurs et des téléphones portables usagés donnés par des organisations publiques et privées. Ces appareils sont distribués à des citoyen·ne·s vulnérables, avec le soutien de commanditaires qui couvrent les frais de remise en état et aident les usagers et usagères à s’en servir dans une optique d’inclusion sociale.

À propos du projet

Les appareils électroniques jetés (ordinateurs, tablettes, mobiles) constituent une ressource pour l’inclusion sociale et la participation locale. Notre mission est de faire en sorte que les organisations publiques et privées agissent pour le bien commun, pour un meilleur internet, plus inclusif et respectueux de l’environnement, en faisant don de leurs appareils indésirables à des entreprises sociales qui les réparent et les remettent à neuf. Ces appareils peuvent ensuite être distribués à des familles qui en ont besoin à des fins éducatives et pour participer à des activités socioéconomiques sur internet. Ce marché de seconde main permet d’obtenir des appareils réutilisables reconditionnés à moindre coût, et alimente une économie circulaire qui améliore les conditions socioéconomiques et environnementales locales.

Le projet eReuse a débuté en 2013 et a franchi un cap important en 2015 avec le lancement d’une campagne de dons d’ordinateurs. Ce sont plus de 10 000 ordinateurs 1qui ont été traités jusqu’à ce jour. Au total, on dénombre qu’une centaine d’institutions telles que des écoles, des établissements publics et des ONG ont bénéficié du programme, et que 47 différents bailleurs de fonds ont contribué aux appareils reconditionnés. Nous avons plus de 1 200 appareils en circulation sur le mode de propriété commune, ce qui fait partie de notre modèle d’affaires axé sur les services.

Les circuits eReuse

Nous travaillons présentement avec environ une quinzaine d’organisations sociales et nous avons ce que nous appelons des « circuits eReuse » locaux à Barcelone et à Madrid. Ces circuits locaux servent d’espaces de coordination entre les différentes parties prenantes d’une même localité pour qu’elles puissent échanger des ressources et des compétences complémentaires afin d’équilibrer l’offre et la demande, de partager les coûts et de s’entraider. Les donateurs et donatrices d’appareils, les entreprises de remise à neuf, les organismes de soutien communautaire et les entreprises de recyclage travaillent ensemble dans un système de ressources communes (« common-pool resource »)1 constituées d’appareils numériques usagés à usage prolongé.

Les appareils sont reconditionnés par des travailleurs et travailleuses d’entreprises sociales ou de centres de réutilisation, et parfois par des bénévoles ou des étudiant·e·s en apprentissage par le service communautaire.

Les bénéficiaires de nos activités sont des citoyen·ne·s intéressé·e·s par les ordinateurs usagés, des citoyen·ne·s venant de programmes sociaux municipaux, des écoles, des établissements publics, et des familles soutenues par des organisations sociales de quartier.

Dans un circuit typique, une organisation donatrice (qu’elle soit publique ou privée) donne des appareils déclassés qui sont collectés par une entreprise sociale. Puis, celle-ci transporte ces palettes d’ordinateurs à un centre de réutilisation ou à un centre de remise à neuf géré par une autre entreprise sociale. Là-bas, les appareils sont placés sur des étagères et – à l’aide de logiciels eReuse – ils sont inspectés et testés, on efface leurs données et on y installe un système d’exploitation (généralement une distribution Linux), le tout en parallèle (la figure 1 illustre le processus). Ceux qui ne passent pas le test sont envoyés au recyclage et sont tout de même enregistrés dans notre système comme étant « prêts au recyclage ». Les ordinateurs qui passent le test sont nettoyés, inspectés plus en détail et sont parfois mis à niveau (batterie, mémoire vive, stockage). Ensuite, ils sont étiquetés et stockés en vue d’être vendus ou donnés (le coût étant commandité par une tierce partie, bien qu’il soit recommandé que le bénéficiaire apporte une certaine contribution à titre d’engagement).

À Barcelone, le coût du processus est de l’ordre de 20 à 120 euros par appareil.

Des organisations de soutien social ou des organisations publiques, ainsi que quelques particuliers, acquièrent ces appareils et s’engagent à les renvoyer à l’organisation intermédiaire après utilisation pour une autre remise à neuf ou un recyclage final.

Un modèle d’affaires axé sur les services

Nous avons aussi développé un modèle d’affaires « axé sur les services », où les usagers et usagères paient pour utiliser du matériel informatique en tant que service. Par exemple, lorsque nous installons des ordinateurs dans une classe d’école, les différentes organisations du circuit s’assurent que les ordinateurs sont performants, les entretiennent, les mettent à niveau et les remplacent en échange de frais mensuels ou annuels. De cette façon, les usagers et usagères ont accès au matériel informatique qui répond à leur besoin, mais la propriété des appareils demeure dans le circuit eReuse.

Le logiciel eReuse enregistre tous ces transferts et peut générer un registre complet de la provenance de chaque appareil pendant toute sa durée de vie, sans révéler aucun détail personnel sur les usagers et usagères. Des codes QR sont placés sur chaque appareil pour en faire le suivi.

Nous avons développé des ententes avec des institutions publiques et privées donatrices d’appareils, des organisations sociales travaillant avec les utilisateurs et utilisatrices finales, et avec des entreprises sociales qui participent à des programmes d’inclusion sociale par le reconditionnement et le recyclage. Les entreprises de recyclage avec lesquelles nous travaillons sont spécialisées dans les déchets électroniques et peuvent être de type public, commercial ou social. Elles peuvent participer à l’enrichissement des données eReuse en enregistrant et scannant les codes QR des appareils qu’elles reçoivent.

Ces ententes nous permettent de collecter des données à propos des appareils (créant ainsi ce que nous appelons une « chaîne de possession »), de rassembler les données et d’en analyser l’utilité sociale (en heures d’utilisation des appareils) et l’impact environnemental (réduction des eqCO2). Cela génère des ensembles de données sur les impacts et sur la durabilité des appareils que nous traitons.

eReuse forme également les parties prenantes aux différents aspects de la remise à neuf des appareils et les sensibilise à l’impact environnemental des technologies de l’information et de la communication (TIC).

casestudyimg.png

Figure 1 : Un travailleur prépare des ordinateurs pour leur réutilisation dans l’atelier d’une entreprise sociale faisant partie d’un circuit eReuse.

Impact du projet

Les principaux impacts et résultats globaux du projet eReuse sont :

Le manque de financement est un facteur qui limite la possibilité d’étendre le processus à d’autres régions. Le processus comprend la formation de départ, le développement et la certification de bonnes pratiques, la coordination des tâches et la gestion de l’offre et la demande stables. Le développement et l’entretien des outils logiciels et des services doivent également avoir lieu.

Les circuits fonctionnent tant qu’il y a un minimum de parties prenantes impliquées (dons, reconditionnement, utilisation), avec une demande et une offre minimalement stables pour assurer un traitement efficace (idéalement à l’échelle industrielle). Le processus doit être durable sur le plan économique, social et environnemental. L’entretien et le soutien aux utilisatrices et utilisateurs finaux permettent de surmonter les obstacles liés au changement de comportement.

Conclusion

eReuse a mis en place un modèle de circuits de réutilisation qui fonctionnent dans différentes villes et régions d’un pays comme l’Espagne. Le modèle semble être efficace, car il est économiquement, socialement et écologiquement durable. La coordination entre des parties prenantes complémentaires permet de garantir l’ensemble des capacités et compétences nécessaires à la mise en place d’une économie locale et circulaire d’appareils électroniques. Les outils logiciels nous permettent d’améliorer l’efficacité (temps de traitement) et la qualité de la remise à neuf. Les données collectées nous permettent de calculer les impacts et de les communiquer aux bailleurs de fonds et au public. Les ensembles de données ouverts sont utiles aux activistes et aux gouvernements afin d’encourager les utilisateurs et utilisatrices d’appareil et les fabricants à agir de façon responsable. En somme, ceci nous aide à relever le défi du développement d’une économie circulaire d’appareils numériques : où les TIC font partie de la solution pour un développement durable (moins d’inégalités, moins d’impact environnemental) et non du problème.

Références et lectures complémentaires :

Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). Ensembles de données eReuse, 2013-10-08 à 2019-06-03 avec 8458 observations d’ordinateurs portables et de bureau, incluant jusqu’à 192 caractéristiques pour chaque appareil. http://dsg.ac.upc.edu/ereuse-dataset

Franquesa, D., Baig, R., & Navarro, L. (2017). Sustainability and participation in the digital commons. ACM Interactions, 24(3). http://people.ac.upc.edu/leandro/pubs/2017-interactions.pdf

Logiciel eReuse : https://www.ereuse.org/software et https://github.com/eReuse

Centre de coopération pour le développement (UPC) : https://www.upc.edu/ccd/en

Rapports de pays de l’Observatoire mondial de la société de l’information (OMSI – GISWatch en anglais) 2020 :

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237 

 

Notes de bas de page

[1] Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). eReuse datasets, 2013-10-08 to 2019-06-03 with 8458 observations of desktop and laptop computers with up to 192 features each. http://dsg.ac.upc.edu/ereuse-dataset

[2] Franquesa, D., Baig, R., & Navarro, L. (2017). Sustainability and participation in the digital commons. ACM Interactions, 24(3). http://people.ac.upc.edu/leandro/pubs/2017-interactions.pdf

 

Annexe 2 : Le modèle d’affaires tridimensionnel du réemploi dans l’électronique

Voici un modèle d’affaires tridimensionnel (BMC) élémentaire pour la fédération du réemploi dans l’électronique entre plusieurs entreprises sociales, donateurs et utilisateurs d’ordinateurs d’occasion. Ce modèle est détaillé dans un article de revue1 et présenté dans un article de blog.2

 

 

Conçu pour:

Conçu par:

Date:

Version:

BMC économique

eReuse.org circuits

Leandro@ereuse.org

 

 

Partenaires clés

Activités clés

Proposition de valorisation

Relations clientèle

Segments de clientèle

 

Réseau d’agents et partenaires qui font fonctionner les circuits :

Régulateurs (permission),

fabricants (déploiement),

gouvernement (politiques),

localités,

initiatives connexes,

bibliothèques, écoles (éducation) et universités (recherche),

financeurs,

parrains

Nettoyage,

transport,

enregistrement,

préparation,

allocation,

transfert des données

Produits et services qui donnent de la valeur :

Utilisation des appareils,

préparation au réemploi,

gestion de l’inventaire,

traçabilité,

certification,

réduction de la fraction numérique

 

Accords avec des bénévoles, l’administration publique, les professionnels,

des donateurs institutionnels

des investisseurs, incitations, dissuasion, réputation, etc.

Groupes de personnes ou d’organisations à atteindre et à servir :

Les citoyens et organisations,

fabricants,

recycleurs et réparateurs,

les gouvernements (en tant qu’usagers ou donateurs)

Principales ressources

Canaux

Technologiques : inventaires, outils et services

 

Humaines : organisations, participants

 

Financières : Contributions

 

Physiques : Stockage, entrepôt

Bouche-à-oreille, campagnes web, appli, QR codes, réunions, organisations partenaires, événements sociaux, campagnes

Structure des coûts

Flux de revenus

Investissement initial : Dans les installations et le développement d’outils et services logiciels, dépenses de fonctionnement

 

Ressources humaines : Préparation, coordination et support

Contributions reçues de chacun des segments de clientèle :

Cotisation des participants, dons (par appareil, par service)

 

 

 

Conçu pour:

Conçu par:

Date:

Version:

BMC du cycle de vie environnementale

eReuse.org circuits

Leandro@ereuse.org

 

 

Fournitures et externalisation

Production

Valeur fonctionnelle

Fin de vie

Phase d’utilisation

Outils de reconditionnement

 

Espace de stockage

 

Transport des appareils

 

Fournitures : batteries

 

Produits de nettoyage

Imprimantes d’étiquettes pour identifier les appareils

Réparation et remplacement de pièces détachées (0,5 %)

Un ordinateur reconditionné opérationnel par personne (utilisateur) pendant 5 années (conservation de l’appareil)

Un ordinateur reconditionné opérationnel par personne (utilisateur) pour un coût annuel (servitisation de l’appareil)

 

 

 

Appareil envoyé à un partenaire de réemploi électronique pour un nouveau reconditionnement ou le recyclage s’il n’est pas assez performant pour un nouvel utilisateur

Énergie de l’usage 10 %

Matériaux

Distribution

Nouvelle batterie 1 %

 

Modifications des composants d’occasion 0 %

 

Nouveau HDD ou SSD 10 %

Transport (collecte auprès des donateurs) 5 %

 

L’utilisateur final prend charge le transport de son propre appareil 2 %

Impacts environnementaux

Avantages environnementaux

7/10 empreinte carbone du coût initial de fabrication de nouveaux appareils

 

2/10 CO2e de l’utilisation (électricité)

 

1/10 CO2e du recyclage final

 

~0/10 CO2e du reconditionnement

Économies d’empreinte CO2e grâce au reconditionnement et réemploi des appareils

 

Économies d’empreinte CO2e grâce au recyclage final

 

Comptabilité de l’empreinte CO2e par appareil pendant toute sa durée de vie

 

Économies d’empreinte CO2e pour les organisations donatrices en tant qu’impact positif

 

 

 

Conçu pour:

Conçu par:

Date:

Version:

BMC des parties prenantes sociales

eReuse.org circuits

Leandro@ereuse.org

 

 

Communautés locales

Gouvernance

Valeur sociale

Culture sociétale

Utilisateur final

300 000 à 500 000 ordinateurs dans les écoles (utilisateurs)

 

Reconditionneurs dans des programmes d’inclusion socio-économique (entreprises sociales)

 

Donateurs d’appareils (organisations publiques et privées)

 

Recycleurs (à but lucratif et non lucratif)

Biens communs :

- Fédération d’entreprises sociales

- Donateurs d’appareils

Propose une inclusion sociale (revenus stables, emplois) par le reconditionnement d’appareils

 

Améliore l’inclusion numérique des citoyens

 

Aide les citoyens à participer à la société numérique sans contribuer à augmenter l’impact sur l’environnement

 

Retours d’information/mesures d’économies sur l’impact environnemental

Culture d’impact environnemental faible

 

Culture de solidarité entre donateurs et bénéficiaires

 

Engagement envers la circularité

 

Culture de la collaboration pour la prise en charge de grands volumes d’appareils

Les citoyens travaillent/apprennent/interagissent à distance

 

Réduction de l’impact environnemental (utilisation de l’ordinateur)

 

Réduction du fardeau (servitisation : ordinateur en tant que service)

 

Employés

Mesure de la sensibilisation

- Employés par des entreprises sociales

 

Liens sociaux entre donateurs, bénéficiaires, reconditionneurs et recycleurs

 

Éducation à la circularité

 

Impacts sociaux

Avantages sociaux

Bénévoles : Responsabilité lors d’une défaillance des appareils

 

Professionnels : Problèmes avec la portée et diversité des appareils d’occasion

 

Santé et sécurité

 

Effort bénévole, frais généraux, contributions qui ne peuvent être directement prises en compte

Informatique à plus bas coût

 

Transparence de l’impact social (emplois créés, comptabilisation des heures offertes aux utilisateurs)

 

Souverainement numérique

 

Sens de la communauté

 

Inclusion sociale

 

[1] Joyce, A., & Paquin, R. L. (2016). The triple layered business model canvas: A tool to design more sustainable business models. Journal of cleaner production, 135, 1474-1486. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0959652616307442  

[2] Joyce, A. (2015, 17 April). The triple layered business model canvas – a tool to design more sustainable business models. SustainableBusinessModel.org. https://sustainablebusinessmodel.org/2015/04/17/the-triple-layered-business-model-canvas-a-tool-to-design-more-sustainable-business-models

 

Module 4 : Impact de la production des appareils numériques sur les ressources naturelles et les personnes

Pour trouver et conserver "un espace sûr et juste pour les gens et la planète1", il faut maximiser la récupération de matériaux en recyclant et minimiser l’extraction minière et d’autres ressources.

La nécessaire réduction de la quantité de matières premières dans la fabrication d’appareils numériques

Un appareil numérique se compose de ressources naturelles qui sont extraites du sol (matières premières ou « linéaires ») ou récupérées (matières premières secondaires ou "circulaires"). L’extraction et l’exploitation des ressources naturelles pour les appareils numériques n’est pas durable et entraîne, dans de très nombreux cas, des violations flagrantes des droits humains, et notamment vivre dans un environnement sain2. Dans une économie linéaire, les ressources naturelles extraites et utilisées dans les appareils numériques n’ont pas de valeur hormis leur utilisation dans cet appareil numérique. Un des principaux objectifs des économies circulaires est la réduction drastique de l’extraction de ressources naturelles par le biais de la réparation et du recyclage, et l’augmentation de l’utilisation de matériaux récupérés et recyclés.

Que sont les mines urbaines ? 

Le terme "extraction urbaine" fait référence à la récupération mécanique ou chimique de métaux rares qui se trouvent dans les déchets électroniques.

Extraction, minéraux de conflits et extractivisme

L’extraction et l’exploitation sont le premier processus du cycle de vie d’un appareil numérique. Un téléphone portable se compose d’environ 70 éléments chimiques (voir Figure 13)3, notamment de minéraux rares (appelés "terres rares"), d’une longue liste d’alliages, de plastiques et de nombreuses ressources naturelles, dont beaucoup d’eau4.

Comme indiqué dans le glossaire de termes utiles au Module 3, certains minéraux sont ce que l’on appelle des "minéraux de conflits". Extraits dans des zones de conflit, ces minéraux sont souvent vendus de manière illicite pour alimenter le conflit armé. Le tantale, l’étain, le tungstène et l’or comptent parmi les minéraux de conflits et sont communément appelés les "3T et l’or", ou simplement "les 3T" (du fait des noms tantalum, tin et tungsten en anglais).

Pour bien comprendre certains des impacts les plus sévères de l’extraction et de l’exploitation des matériaux qui servent à fabriquer des appareils numériques, il est important de définir le terme "extractivisme". Gudynas indique que trois conditions doivent être réunies pour que l’on puisse parler d’extractivisme :

Malgré la popularisation du terme "industries extractives", il est important de comprendre que l’extractivisme n’est pas forcément une industrie, car les ressources sont exportées sous forme de matières premières et ne subissent aucun processus d’assemblage ou de fabrication, auquel le concept "d’industrie" fait pourtant référence.

Les conditions de travail dans l’extraction et l’exploitation ont donné lieu à certaines des infractions des droits humains et environnementaux les plus graves. Des conditions de travail précaires et inhumaines, des problèmes sociaux et des violations des droits humains sont influencés, aggravés et masqués par les chaînes d’approvisionnement mondiales complexes de l’électronique. Les exemples qui illustrent de tels cas dans ce module incluent le Mexique et la République démocratique du Congo (RDC). Ils soulignent les difficultés particulières, les risques et les menaces auxquels les communautés locales sont confrontées lorsqu’elles tentent de résister aux pires effets de l’extractivisme.

L’extraction artisanale et à grande échelle

Le système d’information sur les matières premières (RMIS) créé par l’Union européenne démontre l’impact de l’extraction artisanale et à petite échelle. Selon des estimations très grossières du RMIS, l’extraction artisanale et à petite échelle produit entre 15 % et 20 % des minéraux mondiaux, dont 80 % de tous les saphirs, 20 % de tout l’or et 20 % des diamants. Elle est également un producteur majeur de matières premières stratégiques pour la fabrication électronique, et représente 26 % de la production mondiale de tantale et 25 % de celle d’étain6.

La croyance selon laquelle l’extraction artisanale et à petite échelle est plus durable que l’extraction à grande échelle est répandue. Mais de récentes études7 et les exemples présentés dans ce module illustrent la complexité des difficultés et des risques que posent l’extraction artisanale et l’extraction à grande échelle. Alors que l’extraction artisanale et à petite échelle est généralement considérée intimement liée aux moyens d’existence de communautés locales dans le monde, ces activités sont de fait souvent contrôlées et fortement taxées par des élites locales, avec très peu de voies de recours possibles en cas d’enfreinte des droits.

L’extraction à grande échelle tend à être davantage en lien avec des acteurs nationaux et mondiaux, qui entretiennent des liens très faibles avec les communautés locales et l’économie locale autour des sites d’extraction et d’exploitation. Ces différences font que l’extraction minière artisanale et l’extraction minière à grande échelle ont des relations très différentes avec les conflits et les violations des droits humains et environnementaux.

Les appareils portables dépendent souvent de minéraux qui peuvent être extraits dans des conditions de conflit armé et qui entraînent de nombreuses violations des droits humains. Bien que de multiples initiatives mondiales tentent d’améliorer la transparence et la redevabilité des chaînes d’approvisionnement des minéraux8, nombre de ces initiatives ne remettent pas en cause la logique et l’histoire coloniale de l’extractivisme dans les pays du Sud9. De ce fait, de nombreux appareils continuent d’être produits avec des minéraux de conflits10.

Et dans la pratique ?

Plus de 230 organisations de la société civile du monde entier ont publié en septembre 2020 une déclaration demandant à la Commission européenne (CE) de réévaluer ses plans pour l’obtention de matières premières. La déclaration faisait état d’irrégularités, d’un manque de mécanismes de transparence et d’un manque de considération pour la résistance croissante des communautés locales. Elle appelait la CE à mettre en place des politiques visant à réduire la consommation, promouvoir le recyclage et contribuer à "une part équitable de soutien aux nations du Sud en guise de réparation suite à l’extraction continue des richesses du Sud au profit de l’Europe, qui a lieu depuis des siècles11".

module4.png

Figure 13 : Éléments trouvés dans les équipements électriques et électroniques. (Source: Global E-waste Monitor 2020)

La demande de cobalt, composant clé des batteries rechargeables, devrait rapidement dépasser l’offre disponible. Plus de 60 % de l’extraction de cobalt dans le monde est réalisée en RDC, et 90 % des mineurs de cobalt dans le pays travaillent pour des mines artisanales et à petite échelle, qui ont pour beaucoup des conditions de travail dangereuses12, font travailler des enfants et n’ont qu’un accès limité aux marchés légaux et transparents. L’Alliance du cobalt équitable a été créée pour soutenir la gestion de l’extraction artisanale et à petite échelle, pour éradiquer le travail des enfants et augmenter les revenus des ménages en investissant dans des programmes communautaires et un renforcement des capacités hors site13.

La vérification de la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et les concepts tels que l’« enquête raisonnable » – qui excluent la nécessité d’audit interne – et la « diligence raisonnable » visent à appuyer les réponses institutionnelles aux violations des droits dans l’extraction artisanale et à petite échelle et devraient permettre d’identifier de manière fiable des minéraux source avec davantage de transparence et de redevabilité. Les organisations tierces de suivi et d’évaluation réalisent ce travail sur toute la chaîne d’approvisionnement de l’industrie électronique. Ce sont notamment Electronics Watch, le Global Electronics Council, TCO Certified et le GoodElectronics network, qui compte plus d’une centaine de membres dans le monde.

 

Références

1 Raworth, K. (2012). A Safe and Just Space for Humanity: Can we live within the doughnut? Oxfam. https://policy-practice.oxfam.org/resources/a-safe-and-just-space-for-humanity-can-we-live-within-the-doughnut-210490

2 Campagne pour le droit à vivre dans un environnement sain. (2020, 10 septembre). The Time is Now! Global Call for the UN Human Rights Council to urgently recognise the Right to a safe, clean, healthy and sustainable environment. https://www.ciel.org/wp-content/uploads/2020/09/Global-Call-for-the-UN-to-Recognize-the-Right-to-a-Healthy-Environment-English.pdf

3 Deubzer, O., Herreras, L., Hajosi, E., Hilbert, I., Buchert, M., Wuisan, L., & Zonneveld, N. (2019). Baseline and gap/obstacle analysis of standards and regulations. CEWASTE. https://cewaste.eu/wp-content/uploads/2020/03/CEWASTE_Deliverable-D1.1_191001_FINAL-Rev.200305.pdf

4 La fabrication de puces électroniques consomme beaucoup d’eau. TSMC, à Taïwan, par exemple, la plus grande fonderie indépendante dédiée aux semi-conducteurs (pure-play), a consommé plus de 156 millions de litres d’eau par jour en 2019. TSMC. (2019). Corporate Social Responsibility Report.https://esg.tsmc.com/download/csr/2019-csr-report/english/pdf/e-6-greenManufacturing.pdf

5 Gudynas, E. (2013). Extracciones, extractivismos y extrahecciones. Un marco conceptual sobre la apropiación de recursos naturales. Observatorio del desarrollo, 18. http://ambiental.net/wp-content/uploads/2015/12/GudynasApropiacionExtractivismoExtraheccionesOdeD2013.pdf

6 Voir également: Weldegiorgis, F., Lawson, L., & Verbrugge, H. (2018). Women in Artisanal and Small-Scale Mining: Challenges and opportunities for greater participation. International Institute for Sustainable Development. https://www.iisd.org/system/files/publications/igf-women-asm-challenges-opportunities-participation.pdf

7 Stoop, N., Verpoorten, M., & van der Windt, P. (2019). Artisanal or industrial conflict minerals? Evidence from Eastern Congo. World Development, 122, 660-674. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.06.025

8 Centre de développement de l’OCDE. (2019). OECD and EITI Standards for Transparent Mineral Supply Chains. Centre de développement de l’OCDE.https://eiti.org/document/oecd-eiti-standards-for-transparent-mineral-supply-chains

9 Gudynas, E. (2013). Op. cit.

10 Church, C., & Crawford, A. (2018). Green Conflict Minerals: The fuels of conflict in the transition to a low-carbon economy. International Institute for Sustainable Development. https://www.iisd.org/system/files/publications/green-conflict-minerals.pdf

11 Sauvons la forêt. (2020, 28 septembre). Dicen a la Comisión Europea que no podemos superar la crisis climática minando el planeta.https://www.salvalaselva.org/comunicados-prensa/9870/dicen-a-la-comision-europea-que-no-podemos-superar-la-crisis-climatica-minando-el-planeta

12 Amnesty International. (2016). "Voilà pourquoi on meurt" les atteintes aux droits humain en République Démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt. https://www.amnesty.org/en/documents/afr62/3183/2016/en/

13 Fairphone. (2020, 24 août). Be part of the change: Join the Fair Cobalt Alliance. https://www.fairphone.com/en/2020/08/24/be-part-of-the-change-join-the-fair-cobalt-alliance

 

Étude de cas - Le sort des femmes dans les mines artisanales du Katanga en République démocratique du Congo

Par Patience Luyeye

La République démocratique du Congo (RDC) produit 60 % du cobalt dans le monde, et plus d’un million de tonnes de cuivre chaque année. Le cobalt (également appelé "diamant de sang") est indispensable à la fabrication d’appareils électroniques. Le cuivre et le cobalt sont tous deux extraits dans la province du Katanga, dans l’est de la RDC. L’extraction minière est une industrie dont dépend la majeure partie de la population dans la région, mais de graves violations des droits humains y sont désormais associées, touchant particulièrement les vies des femmes et des enfants.

Quelles fonctions sont remplies par les femmes et les enfants dans les mines?

Ils et elles remplissent plusieurs rôles dans les mines de cobalt. Il y a des épouses de mineurs et de prospecteurs, certaines accompagnées de leurs enfants; il y a les entrepreneures qui négocient et achètent des minéraux, particulièrement pour les revendre à des investisseurs chinois, libanais et indiens; et enfin les femmes mineuses artisanales – souvent appelées les  "purificatrices", car elles passent toute la journée à traiter et laver des kilos de matières premières dans l’eau, qu’elles vendent ensuite à des entreprises minières qui les achètent à très bas prix. Et enfin il y a les enfants, qui descendent dans les mines.

À quels genres de dangers les femmes et les enfants sont-elles et ils confrontés dans l’extraction minière artisanale?

They spend hours in the small rivers of the quarries washing the raw materials to sort the ore, a very trying job. They extract ore in an artisanal way. The processing of ore requires protection, because it exposes people to toxins which are harmful to your health. They are obviously exposed to various diseases and health problems, such as birth defects, tuberculosis and a dry cough, because they work without protective equipment.

For lack of means to meet their needs, most of the population of Katanga devote themselves to informal mining. But what is sad is that the children also take part in this mining activity after leaving school. Going down into the mines is a very dangerous job, since the ground can collapse at any time and they risk being trapped. The situation of women and children working in artisanal mines is becoming very worrying. In 2015, UNICEF had to organise conferences and workshops on the issue. Young people engage in prostitution in exchange for access to sites or to negotiate for a few minerals. The women are subjected to rape by the men present in the quarries of the mines, and there is marital sexual violence. Women are marginalised, suffering; it pushes many women to prostitute themselves.

What is the role of international mining companies in this?

Elles et ils passent des heures dans les petites rivières des carrières à laver les matières premières afin de trier le minerai. C’est une tâche absolument épuisante. Le minerai est extrait artisanalement. Ce processus nécessite de se protéger, car il expose les travailleuses à des toxines nocives pour la santé. Les femmes et les enfants sont exposées à diverses maladies et problèmes de santé, tels que les malformations congénitales, la tuberculose et la toux sèche, car personne ne dispose d’équipement de protection individuelle.

Sans autre moyen de satisfaire ses besoins, la population du Katanga travaille majoritairement dans l’extraction informelle. Ce qu’il y a de plus triste encore, c’est que les enfants prennent part à ces activités extractives après l’école. C’est très dangereux de descendre dans les mines, car le sol peut s’affaisser à tout moment et les mineurs risquent d’y rester coincés. La situation des femmes et des enfants qui travaillent dans les mines artisanales devient très inquiétante. En 2015, l’Unicef a dû organiser des conférences et ateliers sur ce thème. Les jeunes pratiquent la prostitution pour pouvoir accéder aux sites ou négocier des minéraux. Les femmes sont violées par les hommes présents dans les carrières, et il y a une forte prévalence de violence conjugale. Les femmes sont marginalisées et elles souffrent, ce qui en incite beaucoup à se prostituer.

Quel est le rôle des sociétés minières internationales dans tout cela?

Les investisseurs sont généralement dans les carrières lorsque les prospecteurs sont partis. Ils attendent que les prospecteurs et les mineurs découvrent un site, pour ensuite se l’approprier et en chasser les mineurs. Les acheteurs prennent possession de la carrière tout entière. Les mineurs ou les prospecteurs sont appelés ainsi, car toutes ces sociétés étrangères mettent leurs entreprises d’extraction sur pied grâce aux prospecteurs qui détectent le lieu exact où se trouvent les minéraux. Les escortes militaires arrivent ensuite sur place pour les en chasser et les sociétés étrangères installent leur équipement d’extraction. L’accès aux sites est ensuite contrôlé, et interdit aux personnes qui ne travaillent pas pour la société. Malgré cela, il y a quand même de nombreuses femmes et beaucoup d’enfants qui travaillent dans les mines.

Le contenu de cuivre a récemment chuté de plus de 30 %, ce qui explique pourquoi les carrières prisées par les investisseurs internationaux ne permettent pas à la population congolaise d’accéder aux sites des mines. La situation s’est envenimée. Nous nous demandons : mais qui profite de ces minéraux, en fin de compte?

Pour en savoir plus sur les conditions de travail dans l’extraction minière du cobalt en RDC, visionner: https://www.youtube.com/watch?v=KO3s24gSgHM

Consulter les rapports sur une thématique connexe de l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020:

Big tech goes green(washing): Feminist lenses to unveil new tools in the master’s houses (rapport thématique): https://www.giswatch.org/node/6254

Latin America (rapport régional): https://www.giswatch.org/node/6247

 

 

Étude de cas - "Nous luttons pour notre survie" : La résistance contre l’exploitation minière à Acacoyagua, Chiapas

Écrit par jes ciacci, Sursiendo

"Nous ne bougerons pas d’ici tant que les machines seront là. Nous n’avons pas peur, nous avons le courage de rester ici même si on nous dit qu’on ira en justice" déclarait une défenseure du Frente Popular en Defensa del Soconusco 20 de Junio (FPDS) pendant le blocage "José Luciano", qui empêchait l’accès à la mine de "Casas Viejas" dans la municipalité d’Acacoyagua dans l’État mexicain du Chiapas.

Extractivisme et ressources limitées

On dit toujours que l’exploitation minière est la "mère" de toutes les industries modernes. Mais si les minerais sont indispensables, pourquoi donc y a-t-il tant de résistance dans les pays où ils sont extraits ?

Les minerais font partie de notre quotidien. Sans eux, la vie telle que nous la connaissons n’existerait pas. Ils sont également présents dans nos technologies. Un téléphone portable, par exemple, comporte plus de 200 minerais, 80 éléments chimiques et plus de 300 alliages et sortes de plastique. D’où viennent nos appareils ? Que savons-nous de leur impact?

Nous entendons souvent parler de l’extraction des données comme étant inhérente au modèle commercial des grandes plateformes numériques. Mais nous n’en savons que peu sur les « autres » extractions qui ont lieu tout au long de la chaîne de production. Dès leur conception, ces technologies sont pensées pour être construites dans un monde aux ressources illimitées. Mais les ressources dans le monde dans lequel nous vivons sont limitées.

L’économie des matériaux se présente sous forme de système linéaire. Il est question d’exploitation de matières premières, de transformation, de transport, d’assemblages, de davantage de transport, de consommation, d’encore plus de transports, puis de déchets. La variable "individu" n’est pas incluse dans les équations à chacune de ces étapes.

Nous vivons cependant dans un monde aux ressources limitées, un monde de cycles et non de systèmes linéaires, où des personnes transitent dans chaque petit détail de ces chaînes de production. En outre, certaines personnes font l’objet de davantage d’attention que d’autres dans ces systèmes, quand le maillage de politiques publiques et de diplomatie économique profite davantage aux grandes entreprises qu’aux populations locales.

Un modèle de développement technologique ancré dans cette conception extractiviste entraîne de lourds impacts négatifs, tant pour les sociétés que pour l’environnement.

Résistance contre l’exploitation minière dans le Soconusco, Chiapas

Le Mexique est l’un des 17 pays mégadivers du monde1, et l’un des principaux d’Amérique latine à abriter une telle variété d’espèces endémiques. Parmi les circonstances à l’origine de l’existence de cette diversité de plantes, d’animaux, de champignons et de micro-organismes figurent la diversité des climats, le mélange de zones biogéographiques et un relief complexe de chaînes montagneuses, dont la Sierra Madre de Chiapas dans le sud-est du pays.

Nos appareils contiennent une quantité importante de minerais extraits de cette biodiversité, pour être transformés en boîtiers, circuits, condensateurs, écrans et capteurs. Certains d’entre eux se trouvent dans le Chiapas, où près de 20 % du territoire a été concédé à des exploitations minières. Jusqu’en septembre 2019, le secrétariat de l’Économie avait enregistré 140 mines à ciel ouvert2, disposant de permis d’exploitation valables jusqu’en 2060 et consommant d’importantes quantités d’eau. « Une petite mine consomme environ 250 000 litres d’eau par heure, alors qu’une grande en utilise entre un et trois millions dans le même laps de temps3. »

L’information qu’omettent délibérément les documents de concessions porte sur les conséquences sur la diversité naturelle et la santé des populations. Ce fut là un des motifs pour lesquels les personnes habitant la municipalité d’Acacoyagua4, où vivent près de 17 000 personnes à l’abri dans les réserves de biosphère de La Encrucijada et d’El Triunfo (le « Soconusco »), se sont organisées pour résister aux exploitations minières. Treize concessions minières s’y trouvent, pour l’exploitation de l’or, de l’argent, du plomb, du zinc, du fer et du titane.

Le titane5 occupe la première place de tous ces minerais. Son usage le plus courant, sous forme d’oxyde de titane, sert à blanchir le maquillage, le dentifrice, la peinture et des aliments tels que le lait. On trouve également du titane dans les instruments de chirurgie, les armes à feu, et bien sûr les ordinateurs et autres appareils électroniques.

Le 20 juin 2015, préoccupée par les impacts qu’elle constatait sur sa santé et l’environnement, la population locale a constitué le mouvement citoyen pacifique Frente Popular en Defensa del Soconusco (FPDS). Un peu plus d’une année plus tard, le mouvement installa deux campements qui, avec une seule corde, bloqua le passage des machines vers les mines. Libertad Díaz Vera, qui est avec le FPDS depuis le début, raconte qu’en 2006 déjà, des personnes d’Acacoyagua avaient remarqué l’arrivée d’entreprises intéressées par l’exploitation minière6. Les premiers permis datent cependant de 2012, et furent acceptés sans aucune forme d’information ou de consultation qui prenne en compte les besoins de temps et le mode de fonctionnement des populations locales.

Les premiers impacts sur la santé se sont fait ressentir dès 2015, avec des maladies dermatologiques comme l’urticaire, des taches blanches ou de la sécheresse cutanée, mais également avec une augmentation des nombres de cancers. Juan Velázquez, médecin dans la région7, estime qu’entre 2005 et 2015 le taux de mortalité due au cancer a grimpé de 7 à 22 %. "Tous les types de cancers, mais principalement du foie, sont devenus la première cause de mortalité localement. Nous luttons pour notre survie." L’activité minière libère en effet des particules toxiques et radioactives comme le thorium et la silice.

Le changement le plus évident dans l’environnement a été constaté au niveau de la pollution de l’eau du Cacaluta, le principal fleuve de la région. Il irrigue toute la région d’Acacoyagua, depuis sa source dans la réserve, jusqu’aux côtes du Chiapas. "La municipalité dispose d’un système hydraulique circulaire, ce qui signifie que le fleuve remplit les nappes phréatiques et approvisionne les foyers en eau sans système d’assainissement: tout ce qui s’infiltre dans l’eau parvient directement à la bouche des personnes", explique Díaz Vera8.

Et alors que les maladies se multipliaient, les poissons ont commencé à mourir. Les populations locales ne pouvaient ainsi plus se nourrir de mojarras, langoustines, langoustes ou sardines qu’elles avaient l’habitude de pêcher dans le fleuve. "Les gens ont alors commencé à se douter qu’il se passait quelque chose." C’est ainsi qu’a commencé le processus de défense du territoire, qui implique aujourd’hui d’avoir non seulement déclaré la municipalité exempte de toute exploitation minière, mais qui questionne également d’autres formes de surexploitation du territoire, telles que les industries agroalimentaires présentes dans la région.

Un article publié dans la revue Mongabay écrit que "d’après le délégué au ministère de l’Environnement (SEMARNAT) du Chiapas, Amado Ríos, les permis de prospection et d’exploitation accordés à El Puntal avaient pour objet l’extraction brute de matières premières et leur transport dans un autre lieu pour en extraire le titane, ce qui sous-entend que la mine de Casa Viejas ne pollue pas9". Les gens voient dans leurs propres corps les effets des pierres extraits de la mine.

Malgré le fort mouvement social et la connaissance approfondie des exploitations minières acquise depuis le début de l’organisation de la résistance, il demeure difficile de déterminer quelles sont les entreprises qui investissent dans ce domaine. Les différentes instances des gouvernements de l’État et du pays se renvoient mutuellement la responsabilité du devoir d’informer, ce qui a pour résultat l’absence de toute donnée. On ne parvient pas non plus à expliquer pourquoi des projets miniers sont autorisés dans des réserves naturelles. L’article susmentionné indique que pour l’Institut mexicain de la concurrence, "les dossiers de chaque concession ne peuvent être consultés que par les personnes pouvant démontrer qu’elles y ont un intérêt juridique, ou par le biais de la loi générale sur la transparence et l’accès à l’information publique10".

On sait, néanmoins, que les concessions ont changé de propriétaire : une procédure très courante dans le secteur de l’exploitation minière où les projets de prospection et d’exploration sont souvent lancés par de petites ou moyennes entreprises nationales, pour être ensuite vendus à de grands investisseurs, nationaux ou transnationaux, dès que la présence de métaux en quantité suffisante pour l’exploitation est constatée. Il est donc compliqué de suivre le parcours des concessions dès qu’il s’agit d’exploitations de grande envergure, car les principales entreprises minières s’installent dans les pays par le biais de filiales, sous couvert de relations juridiques très complexes qui rendent très difficile l’identification des liens légaux avec la maison mère.

Les villes d’Escuintla et d’Acacoyagua furent parmi les premières à s’organiser pour résister à l’exploitation minière. Selon le FPDS, elles se sont unies au sein de la Red Mexicana de Afectados por la Minería (REMA) et établissent depuis des stratégies pour défendre leur territoire : des actions directes, comme le barrage de la route mentionné précédemment, des processus d’information, des déclarations d’assemblées, des actions médiatiques et des procédures juridiques, notamment. Bien que les représailles ne se soient pas fait attendre, une participante aux barrages a déclaré : "nous défendons notre territoire pour que nos enfants puissent continuer à y vivre heureux et heureuses, comme nous l’avons été en ces lieux11".

En 2018, les communautés ont levé le barrage des routes mais conservé un système de surveillance active dans lequel des personnes des communautés font des rondes à vélo et alertent immédiatement les autres villages si elles voient un camion de la mine, afin que tout le monde vienne bloquer l’engin.

Ce mélange de stratégies a en quelque sorte permis de ralentir les effets néfastes dont souffre la population. « Les gens sont contents maintenant, parce qu’ils ont remarqué un changement très notable. Nous avons une photo de 2019 sur laquelle des langoustines du fleuve sont servies à l’occasion d’un repas dans la montagne organisé pour un journaliste. "Les gens commencent à voir la vie vraiment revenir dans le fleuve", explique Díaz Vera12. Quant aux maladies dermatologiques, une légère amélioration a été remarquée, tant chez les enfants que chez les adultes. Les maladies les plus graves, touchant le foie et les reins, persistent néanmoins.

Deux dates essentielles marquent la lutte pour les communautés de la municipalité. Chaque année, une fête le 20 juin marque l’anniversaire du processus d’organisation du mouvement : on y chante près du fleuve, on danse des danses de la région, on lit des poèmes et on échange. C’est un moment culturel important, où l’on revient sur le processus d’organisation du mouvement. Et en décembre, un festival est organisé en hommage à la résistance, où l’on se retrouve pour manger au rythme des marimbas, organiser des tombolas et taper sur une piñata. De plus, lors du défilé de la fête nationale le 15 septembre l’an dernier, le « personnage anti-exploitation minière » qui symbolise la résistance a défilé. "L’identité des communautés est maintenant intégrée jusque dans les institutions", commente Díaz Vera13.

Changeons le modèle

Malgré les impacts négatifs et les dommages sanitaires et environnementaux, les économies actuelles continuent à reposer sur l’extractivisme. Elles privilégient toujours les règles de la valeur du change au détriment de celles de la valeur de l’utilisation. Le prix de la nature est plus élevé que la valeur de l’attention que l’on accorde à en prendre soin, pour les générations actuelles et futures.

Le système de domination économique est soutenu par une idéologie totalement éloignée de la terre et de ses êtres vivants, y compris des personnes. Le système de développement technologique entretient ces prémisses, et entraîne des impacts négatifs sur les corps et sur les territoires.

Suivre le parcours de ces technologies est très difficile, essentiellement du fait de l’absence de mécanismes de transparence et de reddition de compte à chacun des nœuds de production. Les solutions proposées par les entreprises technologiques s’apparentent à du capitalisme "vert", soit un ensemble de "réponses" à la crise climatique qui ne remettent pas en question les formes actuelles de consommation, mais qui proposent plutôt des façons "propres" de continuer à consommer à l’infini, par le biais d’une énergie produite par d’immenses barrages hydroélectriques, parcs éoliens ou solaires, biocarburants et géoingénierie. Plus de 230 organisations de la société civile du monde entier ont récemment réclamé à la Commission européenne dans un communiqué1 qu’elle réévalue ses plans d’obtention de matières premières, qui sont truffés d’irrégularités, exempts de mécanismes de transparence et ignorants de la résistance croissante des populations locales. "Pour faire preuve de réel leadership en matière climatique, la CE doit définir et mettre en œuvre des politiques pratiques pour une transition vers une basse consommation d’énergie et de matériaux en Europe, qui met l’accent beaucoup plus sur la réduction de la demande, le recyclage et la contribution d’une juste part de soutien aux pays du Sud afin de rectifier l’extraction continue des richesses des pays du Sud au profit de l’Europe, qui a lieu depuis des siècles", souligne le communiqué2.

Depuis des décennies, les processus de défense des territoires d’Amérique latine mettent en œuvre diverses stratégies pour prendre soin de leurs vies et de leurs environnements. Les luttes prennent des dimensions diverses, mais comme nous le montre l’histoire d’Acacoyagua, ce qui a fonctionné pour arrêter la pollution a été un processus d’organisation fort, et des actions directes non violentes.

Pour construire des technologies de l’avenir qui respectent le souhait de protéger le vivant, il faut se reconnecter avec d’autres modèles de consommation locale, de proximité, qui privilégient la diversité et la connexion avec les producteurs et productrices, qui écoutent les cycles de la vie (la nature a mis des millions d’années à produire les minéraux et le pétrole) et des conceptions qui répondent à ces prémisses.

Ces formes de développement qui respectent les besoins des communautés locales nous permettront également de réfléchir à des modalités de relocalisation des technologies, leur production et leur circulation, de progrès au niveau des modèles ouverts de développement de logiciels et matériels informatiques, de réduction et de diversification de la consommation, de réponse à des problématiques localisées, et qui donnent lieu à des propositions reposant sur l’attention aux populations, communautés et environnements. Cela pourrait bien être le développement technologique qui permettra d’obtenir l’impact désiré dans les mondes que nous habitons.

Références

1 Comisión Nacional para el Conocimiento y Uso de la Biodiversidad. (2020, 8 octobre). ¿Qué es la biodiversidad?https://www.biodiversidad.gob.mx/biodiversidad/que_es.html

2 Domínguez, A. (2019, 1 septembre). Los conflictos futuros de Chiapas por la defensa del territorio. Chiapas Paralelo. https://www.chiapasparalelo.com/noticias/chiapas/2019/09/los-conflictos-futuros-de-chiapas-por-la-defensa-del-territorio

3 Martínez García, M. A. (2015, 10 février). Minería pone en riesgo a áreas naturales protegidas: Gustavo Castro. Americas Program. https://www.americas.org/es/mineria-pone-en-riesgo-a-areas-naturales-protegidas-gustavo-castro

4 Instituto Nacional de Estadística y Geografía. (2020). Espacio y datos de México. https://www.inegi.org.mx/app/mapa/espacioydatos/default.aspx?ag=07001

5 Outlet Minero. (2016, 17 Février). Titanio, usos y propiedades. https://outletminero.org/titanio

6 Entretien avec Libertad Díaz Vera, le 24 septembre 2020.

7 Movimiento Mesoamericano contra el Modelo Extractivo Minero. (2016, 13 October). Habitantes del Soconusco, Chiapas, se organizan para detener la minería. https://movimientom4.org/2016/10/habitantes-del-soconusco-chiapas-se-organizan-para-detener-la-mineria

8 Entretien avec Libertad Díaz Vera, le 24 septembre 2020.

9 Soberanes, R. (2017, 20 octobre). Comunidades se oponen a 21 proyectos mineros en la Sierra Madre de México. Revista Mongabay. https://es.mongabay.com/2017/10/no-la-mineria-la-lucha-conservar-la-sierra-madre-mexico

10 Ibid.

11 Movimiento Mesoamericano contra el Modelo Extractivo Minero. (2016, 13 octobre). Op. cit.

12 Entretien avec Libertad Díaz Vera, le 24 septembre 2020.

13 Ibid.

14 Friends of the Earth Europe. (2020, 28 septembre). Open letter from NGOs, community platforms and academics on concerns over critical raw material plans of the European Commission. https://www.foeeurope.org/sites/default/files/resource_use/2020/civil_society_open_letter_-_concerns_on_eu_critical_raw_material_plans.pdf

15 The Gaia Foundation. (2020, 28 septembre). We Can’t Mine Our Way Out of the Climate Crisis. https://gaiafoundation.org/ec-we-cant-mine-our-way-out-of-the-climate-crisis

Étude de cas - Le modèle de la micro-usine : SMaRT innove dans l’exploitation des déchets urbain

Rédaction: Syed Kazi, Digital Empowerment Foundation

Project / Programme

Centre for Sustainable Materials Research and Technology (SMaRT)

Région / Pays

Australie

Site web

http://www.smart.unsw.edu.au/

Circularité

Une micro-usine qui transforme les déchets, y compris les déchets électroniques, et revalorise les produits ainsi fabriqués. Elle crée des emplois et favorise l’esprit d’entreprise dans le domaine du recyclage, donnant de la valeur ajoutée au travail des personnes qui vivent du recyclage informel.

Résumé

L’augmentation des déchets dans notre vie quotidienne représente un problème croissant, et il faut y trouver une solution. Aussi bien l’économie que l’environnement bénéficieront du recyclage des matières contaminées et jetées pêle-mêle, que ce soit le verre, le plastique, le bois, les déchets marins ou les textiles. Très peu a été fait jusqu’à présent pour gérer les déchets mélangés avant leur séparation et leur traitement préliminaire. À l’université de New South Wales à Sydney, en Australie, le Centre for Sustainable Materials Research and Technology (Centre pour la recherche et technologie sur les matériaux durables – SMaRT) s’intéresse à cette question. C’est dans cette optique qu’il a créé la première micro-usine au monde consacrée aux déchets électroniques.

À propos du projet

Le programme SMaRT a été créé en 2008 à l’Université de New South Wales, par Veena Sahajwalla, professeure de science des matériaux et lauréate de l’ARC. Le projet s’est associé à des industriels, des partenaires de la recherche internationale, des associations locales à but non lucratif, ainsi qu’au gouvernement de l’État et au gouvernement fédéral. Il vise à développer des solutions innovantes en matière d’environnement, dans le but de résoudre les problèmes les plus importants que les déchets engendrent dans le monde. Les technologies innovantes et les nouveaux produits développés cherchent à en réduire les répercussions sur l’environnement et apporter davantage de bénéfices à la communauté. Le projet travaille également à la création d’une plateforme pour favoriser la participation au projet, donner davantage de possibilités d’immersion et accroître l’impact de la recherche des centres SMaRT dans le monde.

Le centre s’est agrandi et aujourd’hui, 30 personnes y travaillent en collaboration avec des chercheurs des facultés de sciences, d’ingénierie et de l’environnement bâti.

Développer le modèle des micro-usines

Le projet SMaRT a développé un modèle de micro-usines pour transformer les déchets en produits à valeur ajoutée. Il a également créé la première micro-usine au monde consacrée aux déchets électroniques. Selon sa définition, une micro-usine consiste en "une ou une série de petites machines et appareils qui utilisent une technologie brevetée pour réaliser une ou plusieurs tâches destinées à transformer des produits issus des déchets en de nouvelles ressources utilisables." Une micro-usine SMaRT fonctionne selon un modèle modulaire, qu’il est possible de répliquer et d’installer partout où les déchets sont entreposés. Elle n’a besoin que d’une surface de 50 mètres carrés pour fonctionner.

La micro-usine installée sur le campus de l’université produit des filaments en plastique pour imprimantes 3D à partir des déchets électroniques. Son premier client potentiel pourrait être une entreprise de montures de lunettes, si elle parvient à démontrer la solidité des filaments. L’équipe de SMaRT a également créé un prototype de micro-usine pour transformer les déchets de textiles, de verre et même de matelas en panneaux de construction efficaces comme isolants thermiques et sonores, qui suscitent déjà un intérêt commercial. SMaRT a également élaboré un nouveau concept en matière de traitement des déchets complexes, intitulé micronisation thermique. Il devrait lui aussi être applicable bien au-delà de cette étude. La micronisation thermique utilise en effet les gaz produits par les déchets plastiques des flux de résidus complexes comme les déchets électroniques pour former des particules submicroniques, dans le cas présent des nanoparticules de cuivre-étain (Cu-Sn) à valeur ajoutée, qui ont des applications industrielles.

Différents acteurs travaillent avec SMaRT, notamment Vinyl Council Australia, the Indian Institute of Technology Roorkee, Molycop, Resource Recovery Australia, the Australia New Zealand Recycling Platform et Mobile Muster, pour n’en citer que quelques-uns. Les communautés sont également sollicitées pour des donations de déchets, qui servent à la fabrication de nouveaux produits.

À ce stade, ce qui limite le modèle de micro-usine en est la portée relativement restreinte. Celle-ci ne pourra augmenter que par davantage de diffusion pour faire connaître ce type de modèle.

Conclusion

La gestion des déchets électroniques implique des enjeux de plus en plus importants. Jusqu’à présent, les efforts dans le Sud global ont porté sur le domaine du numérique pour en accroître l’accès, mais il convient maintenant de s’occuper des déchets électroniques que cela a généré. Le modèle de micro-usine de SMaRT peut s’adapter à un pays comme l’Inde, où plus d’un million de personnes pauvres sont concernées par les activités de recyclage manuel. Il peut leur offrir la possibilité de devenir fabricants et fabricantes, ce qui contribuera à leur indépendance financière.

Références et lectures complémentaires

Centre for Sustainable Materials Research and Technology, University of New South Wales, Sydney. https://www.smart.unsw.edu.au

Mehta, A. (2019, 29 avril). Australian university pioneers urban mining 'microfactories'. Reuters. https://www.reutersevents.com/sustainability/australian-university-pioneers-urban-mining-microfactories 

 

Dans l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020, voir les rapports de pays suivants (en anglais) :

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République Démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

 

 

Module 5 : La conception des appareils numériques se doit d’être transparente

Nous avons le pouvoir de réclamer davantage d’informations à propos des appareils numériques disponibles sur le marché. L’achat d’un appareil devrait inclure le droit d’accéder à cette information, pour nous permettre d’en évaluer la circularité et notre contribution à un monde durable.

Conception d’un appareil et durabilité

La conception d’un appareil numérique est le fruit d’une série de décisions. Cette phase permet de déterminer les matériaux utilisés, leur provenance (quel fournisseur ou fabricant spécifique), la facilité du démontage de l’appareil, la durabilité de ses composants et le fait qu’ils soient aisément remplaçables, réparables, réutilisables ou recyclables.

La possibilité de mettre un appareil numérique à niveau en ajoutant de l’espace de stockage ou de mémoire (RAM), ou grâce à une nouvelle batterie ou un appareil photo, peut grandement prolonger sa durée de vie utile, et rendre sa puissance informatique comparable à celle d’un nouvel appareil[1]. Mais la durabilité est l’ennemie pour un fabricant dont l’objectif est de continuellement vendre de nouveaux produits. C’est pour cela que la conception technologique peut prendre des décisions favorables, ou défavorables, à l’obsolescence. L’obsolescence programmée est un immense obstacle à la circularité des appareils numériques.

L’importance de l’accès public aux données techniques

L’accès aux données techniques des appareils est crucial. Il peut aider les organisations à échanger et à collecter des registres de données relatives aux modèles et aux appareils afin de produire des statistiques sur leur durabilité, entre autres qualités. Cela contribue également à une gestion plus redevable et vérifiable du recyclage et des déchets électroniques.

Des fiches techniques publiques détaillées incluant, par exemple, la composition d’un produit, les méthodes utilisées lors de sa fabrication, l’origine de ses composants, les liens vers les manuels d’utilisation, d’entretien, de réparation ou de recyclage, ainsi que sa note de durabilité, sont indispensables à l’évaluation de la durabilité d’un produit. Ces fiches techniques publiques concernent généralement des modèles spécifiques, mais elles pourraient être déclinées selon des variations régionales, les lots fabriqués dans une usine donnée, voire des éléments individuels portant un numéro de série unique. La représentation numérique de ces données, liée à d’autres séries de données numériques, est ce que l’on appelle le « jumeau numérique » ou « passeport numérique » d’un produit. Il permet de trouver automatiquement les détails d’un produit, de comparer plusieurs produits entre eux et d’évaluer leur niveau de circularité. Il peut également faciliter l’entretien, la réparation, la réutilisation et le recyclage d’un appareil.

Les fabricants eux-mêmes peuvent assurer la transparence des détails techniques de leurs appareils, ce qui les distinguerait de leurs concurrents. Les gouvernements peuvent également imposer des exigences minimales au secteur. Des mécanismes volontaires de production de rapports et de supervision peuvent devenir une incitation à concevoir et utiliser des appareils numériques plus circulaires.

Et dans la pratique ?

Pour promouvoir une conception circulaire, des initiatives d’écoconception définissent des exigences minimums ou des notations[2] pour la promotion de la durabilité et de la réparabilité des appareils numériques. Certaines initiatives d’écoconception ont plaidé pour étendre ces exigences à l’approvisionnement. Les organisations de certification, d’évaluation et de supervision des appareils numériques et des processus d’approvisionnement sont abordées au Module 7.

Fairphone, une entreprise sociale décrite dans une étude de cas de ce module, est probablement l’exemple le plus documenté d’élaboration de smartphones conçus et produits avec un impact minimum sur l’environnement. Fairphone a été fondée pour concevoir un appareil mobile qui ne contienne pas de minéraux de conflits, offre des conditions de travail équitables tout le long de la chaîne d’approvisionnement et aide les gens à utiliser leur téléphone plus longtemps.

 

Références

[1] La modularité du Fairphone 3 a permis aux propriétaires de ce modèle d’acheter un ensemble de mise à niveau leur permettant de remplacer les modules de l’appareil photo afin d’atteindre le niveau du modèle 3+. Voir : https://www.fairphone.com/fr/camera-upgrades-for-fairphone-3/

[2] Union internationale des télécommunications. (2020). La Recommandation UIT-T L.1023 décrit une méthode d’évaluation pour les notations des biens utilisant les technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’économie circulaire. https://www.itu.int/ITU-T/recommendations/rec.aspx?rec=14301&lang=fr

 

Étude de cas - Fairphone : Fabriquer un téléphone portable socialement et écologiquement responsable, et qui dure plus longtemps

Écrit par: Leandro Navarro, Pangea

Project / Programme

Fairphone

Région / Pays

Thaïlande et Europe

Site web

https://www.fairphone.com/en

Circularité

Approvisionnement responsable en matériaux, allongement de la durée de vie des téléphones portables, modèle d’utilisation axé sur les services.

Résumé

Fairphone est une entreprise sociale qui vise à concevoir, fabriquer et produire des smartphones avec le moins d’impact environnemental possible. Cela implique que ces téléphones ne contiennent aucun minerai provenant de zones de conflit (dans les smartphones, généralement l’or, l’étain, le tantale et le tungstène), que les conditions de travail sont équitables tout au long de la chaîne d’approvisionnement qui les produit et que les gens peuvent les utiliser plus longtemps.

La deuxième version du Fairphone est l’un des premiers smartphones modulaires disponibles à l’achat, conçu pour être facilement réparé et mis à jour.

À propos du projet

Fondée en 2013, Fairphone est une entreprise basée à Amsterdam, aux Pays-Bas. L’entreprise sociale a d’abord existé sous forme de campagne pendant deux ans et demi avant de commencer à concevoir et de produire des téléphones portables.

Pour le moment, l’entreprise a lancé trois générations de produits, soit les Fairphone 1, 2 et 3, ainsi que le tout dernier 3+ qui est sorti en septembre 2020. Le Fairphone 2 a été le premier smartphone à obtenir la note de 10/10 pour sa réparabilité par le manuel de réparation gratuit en ligne iFixit : "Le Fairphone 3 est entièrement modulaire, réparable et solide, et son empreinte écologique est plus faible que jamais."

Fairphone compte plus de 70 employées réparties dans une vingtaine de pays et l’entreprise a déjà vendu plus de 100 000 téléphones.

Quatre axes de changement

Fairphone souhaite se concentrer sur quatre axes pour créer le changement : une conception durable, des matériaux équitables, de bonnes conditions de travail et la réutilisation/le recyclage.

Ces quatre axes représentent des changements fondamentaux dans le domaine de l’économie circulaire des TIC. La conception est déterminante pour la durée de vie du produit : ainsi, si les appareils modulaires sont moins minces et légers, ils sont plus durables étant donné que leurs parties peuvent être remplacées et mises à jour par des entreprises locales et même par leurs utilisateurs et utilisatrices. Quant aux matériaux, le fait qu’ils soient équitables signifie que comme minimum, Fairphone évite de contribuer aux conflits et à l’exploitation des ressources naturelles et humaines. Par conséquent, l’entreprise utilise des matériaux secondaires obtenus en triant les matériaux réutilisables des déchets électroniques afin d’éviter l’extraction de nouveaux minéraux. Garantir de bonnes conditions de travail sur toute la chaîne de fabrication permet d’éviter de contribuer à l’exploitation de la main-d’œuvre dans les usines. Avec la réutilisation et le recyclage, on s’assure que les appareils, une fois fabriqués, sont utilisés au maximum : ils sont réutilisés jusqu’à ne plus avoir aucune valeur d’usage pour personne, avant d’être finalement recyclés de la meilleure façon possible. Le processus de recyclage consiste à réutiliser le plus de ressources possible et à réduire au maximum les déchets ainsi que les dommages causés à la nature et aux personnes impliquées dans le recyclage, qu’il s’agisse de main-d’œuvre formelle ou informelle.

En ce qui concerne le financement, Fairphone a réuni un total de 40,7 millions $ US en neuf cycles auprès de huit investisseurs. Le Fonds ABN AMRO et le Dutch Good Growth Fund en sont les investisseurs les plus récents.

Approvisionnement en matériaux d’origine responsable

Fairphone met en ligne une carte publique qui répertorie les fabricants, les usines d’assemblage et les fournisseurs de composants pour ses téléphones. Il y est indiqué qu’un smartphone est en moyenne composé de 38 matériaux différents, chacun ayant sa propre chaîne d’approvisionnement complexe. Fairphone affirme avoir été le premier fabricant de smartphones à intégrer l’or équitable dans sa chaîne d’approvisionnement.

Fairphone s’emploie à constamment améliorer son approvisionnement en matériaux par des pratiques minières plus responsables et l’emploi de davantage de matériaux recyclés. L’entreprise affirme qu’en moyenne 32,75 % de ses huit matériaux principaux étaient issus de sources durables au moment du lancement du Fairphone 3.

Fairphone donne les indications suivantes à propos des matériaux utilisés pour la fabrication de ses téléphones :

Étain : Issu de mines certifiées sans conflit en République démocratique du Congo.

Tungstène : En provenance d’Afrique de l’Est, avec un soutien pour l’économie locale et la possibilité offerte aux mines artisanales et de petite échelle de passer à des pratiques semi-industrielles plus responsables.

Or : Issu de mines artisanales certifiées équitables. Ces mines ont amélioré leurs conditions de travail et reçoivent une prime pour l’or qu’elles produisent. Fairphone travaille avec des partenaires en Ouganda pour améliorer directement les conditions de travail des sites miniers artisanaux, empêcher le travail des enfants et créer une chaîne d’approvisionnement transparente et traçable.

Cuivre : Le cuivre est facilement recyclable, et Fairphone s’efforce d’intégrer autant de cuivre recyclé que possible dans ses téléphones, en collectant activement les vieux téléphones pour augmenter la quantité de cuivre recyclé.

Cobalt : L’entreprise vise à garantir un approvisionnement responsable en cobalt, axé sur l’amélioration des revenus et des conditions de travail des travailleuses et travailleurs miniers artisanaux.

Néodyme (éléments de terres rares) : L’entreprise a cartographié la chaîne d’approvisionnement en terres rares, en examinant les risques et les opportunités par région (tels que la pollution environnementale et l’impact sur les communautés locales).

Lithium : L’entreprise a recherché et analysé la production de lithium et les possibilités d’approvisionnement responsable.

Plastique : Les modules sont fabriqués avec 50 % de plastique recyclé post-consommation. Les matériaux d’emballage sont écologiques et facilement recyclables, imprimés avec une encre à base de soja.

Prolonger la durée de vie des téléphones

Selon Fairphone, prolonger la durée de vie utile d’un appareil constitue une mesure importante pouvant influencer l’impact environnemental général des téléphones mobiles. Dans une évaluation du cycle de vie du Fairphone 3 qui analyse plusieurs catégories d’impacts, on rapporte que chaque appareil a un potentiel de réchauffement global (PRG) de 39,5 kg eqCO2.

L’entreprise souhaite aider les gens à conserver leur téléphone pendant au moins cinq ans. Toutefois, la batterie ne dure que trois ans, après quoi elle doit être remplacée. Les mises à jour logicielles sont essentielles pour aider les gens à utiliser leur téléphone plus longtemps. La société a offert un service de support logiciel (Android) pour le Fairphone 2 pendant plus de quatre ans.

L’entreprise a également développé le concept de service Fairphone, qui n’est pas sans rappeler les modèles habituels de location. Les clientes paient des frais mensuels pour utiliser leur téléphone aussi longtemps que nécessaire, mais le téléphone demeure la propriété de Fairphone, à qui l’appareil sera finalement rendu. Le co-fondateur de Fairphone Miquel Ballester affirme "qu’en demeurant propriétaires, cela nous incite à innover davantage en matière de conception. Et à nous assurer que la plupart des ressources sont récupérables, un objectif qui n’est pas inclus dans les contrats de location habituels."

Conclusion

Il y a des limites à un tel projet. Il est très complexe de développer un téléphone portable compétitif et cela nécessite de nombreuses ressources humaines et financières, qui ne sont pas toujours disponibles. Le fondateur de Fairphone a également reconnu en 2017 qu’il était impossible de produire un téléphone 100 % "équitable".

Néanmoins, Fairphone, qui compte plus de 100 000 utilisateurs et utilisatrices, a produit trois générations de téléphones de plus en plus équitables : l’entreprise s’approvisionne davantage en matériaux d’origine responsable ; elle continue à améliorer les conditions de travail, à créer des appareils plus durables grâce à des conceptions modulaires innovantes et à encourager de meilleures pratiques de réutilisation et de recyclage.

Références et lectures complémentaires:

Ballester, M. (2018, 8 Janvier). From ownership to service: A new Fairphone pilot just for companies. Fairphone. https://www.fairphone.com/en/2018/01/08/from-ownership-to-service-new-fairphone-pilot-for-companies

Fairphone. (2018, 11 Décembre). Fairphone surpasses investment target with €7 million from impact investors. https://www.fairphone.com/wp-content/uploads/2018/12/Investment-Round-Press-Release-1.pdf

Proske, M., Sánchez, D., Clemm, C., & Baur, S. (2020). Life cycle assessment of the Fairphone 3. Fraunhofer IZM. https://www.fairphone.com/wp-content/uploads/2020/07/Fairphone_3_LCA.pdf

Johnson, R. (2018, 26 Juillet). (2018). Fairphone-as-a-service. Project Breakthrough. http://breakthrough.unglobalcompact.org/briefs/fairphone-as-a-service

Crunchbase: Fairphone financials overview. https://www.crunchbase.com/organization/fairphone/company_financials

Mapping the journey of your Fairphone. https://www.fairphone.com/en/impact/source-map-transparency

Fairtrade Foundation: Qu’est-ce que le commerce équitable? https://www.fairtrade.org.uk/what-is-fairtrade

iFixit. https://www.ifixit.com 

Voir ces rapports connexes (Global Information Society Watch 2020):

Big tech goes green(washing): Feminist lenses to unveil new tools in the master’s houses (thematic report): https://www.giswatch.org/node/6254

Latin America (regional report): https://www.giswatch.org/node/6247

Notes de bas de page

[1] Kessler, D. (2020, 4 septembre). Fairphone 3+: What comes after a 10/10 score? iFixit. https://www.ifixit.com/News/43623/fairphone-3-plus

[2] Fairphone. (2018, 11 décembre). Fairphone surpasses investment target with €7 million from impact investors. https://www.fairphone.com/wp-content/uploads/2018/12/Investment-Round-Press-Release-1.pdf

[3] Fairphone. (2019, 10 septembre). Scaling up Fairtrade gold sourcing in our supply chain. https://www.fairphone.com/en/2019/09/10/fairtrade-gold-fairphone-3

[4] Proske, M., Sánchez, D., Clemm, C., & Baur, S. (2020). Life cycle assessment of the Fairphone 3. Fraunhofer IZM. https://www.fairphone.com/wp-content/uploads/2020/07/Fairphone_3_LCA.pdf

[5] Ballester, M. (2018, 8 janvier). From ownership to service: A new Fairphone pilot just for companies. Fairphone. https://www.fairphone.com/en/2018/01/08/from-ownership-to-service-new-fairphone-pilot-for-companies

[6] Johnson, R. (2018, 26 juillet). Fairphone-as-a-service. Project Breakthrough. http://breakthrough.unglobalcompact.org/briefs/fairphone-as-a-service

[7] Ibid.

Module 6 : La nécessité d’assurer les droits des travailleurs et travailleuses lors de l’assemblage et de la fabrication

Nous devons réclamer le respect des droits des travailleurs et travailleuses et la conformité aux réglementations minimales de sécurité environnementale et sur le lieu du travail dans les usines où sont fabriqués nos appareils numériques.

Sales en début de chaîne, reluisants entre nos mains

La fabrication des produits de marques commerciales est généralement confiée à des fabricants d’équipements d’origine (OEM). Sous-traiter à ces entreprises permet généralement de réduire les coûts de production grâce à des économies d’échelle. Les OEM assurent le montage des composants électroniques et de ce que l’on appelle les « assemblages », qui sont produits par des services de fabrication d’électronique (EMS) ayant à leur tour des fournisseurs de cartes de circuit imprimé et autres composants électroniques.

Les conditions de travail dans les usines électroniques peuvent être extrêmes. Les travailleurs et travailleuses migrent souvent vers d’autres pays pour trouver un emploi dans des usines, où ils et elles peuvent se voir refuser leurs droits du travail et leur droit d’association. Il arrive même que certains et certaines soient enfermé·e·s dans les usines, dans des conditions proches de l’esclavage[1]. Le lancement de nouveaux produits des plus grandes marques crée de très forts pics de production qui peuvent rendre leurs conditions de travail encore plus extrêmes. Les produits peuvent sembler reluisants entre nos mains, mais sont plutôt sales en début de chaîne. Comme le remarquait World Economy, Ecology and Development – WEED e.V. :

Au cours des dernières décennies, le processus de production des ordinateurs de bureau a été décomposé en étapes standardisées simplifiées, et principalement relocalisé dans des pays à faible revenu. Dans les zones économiques spéciales d’Asie et du Mexique, la plupart des emplois sont occupés par des femmes qui ont très souvent migré de la campagne vers les villes, où elles travaillent pour de maigres salaires[2].

Dans de nombreux cas, la conformité des fabricants aux réglementations minimales de sécurité environnementale et au travail ne figure pas sur l’étiquette des produits.

Et dans la pratique ?

Le réseau GoodElectronics Network, association internationale rassemblant plus de 150 organisations non-gouvernementales et syndicats, réclame de l’Organisation internationale du Travail (OIT) des conventions « fondamentales » et des exigences supplémentaires basées sur les normes de l’OIT pour que des conditions de travail humaines soient appliquées dans le secteur des technologies. Ses réclamations incluent la formation juridique des travailleurs et travailleuses sur le lieu du travail, l’abolition des conditions de travail informelles, la transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement, la responsabilité de leurs fournisseurs assumée par les entreprises de marque et la suppression complète des substances toxiques dans les processus de fabrication.

Electronics Watch est une organisation indépendante de supervision dont les efforts sont centrés sur les commandes publiques des pouvoirs adjudicateurs en Europe et sur la supervision des conditions de travail en Asie du Sud-Est, en collaboration avec les organisations professionnelles locales et les personnes sur place (voir l’étude de cas de ce module).

 

Références

[1] Bormann, S., Krishnan, SP. et Neuner, M. (2010). Migration in a Digital Age Migrant Workers in the Malaysian Electronics Industry: Case Studies on Jabil Circuit and Flextronics. World Economy, Ecology and Development – WEED e.V. https://apmigration.ilo.org/resources/migration-in-a-digital-age-migrant-workers-in-the-malaysian-electronics-industry-case-studies-on-jabil-circuit-and-flextronics/at_download/file1

[2] Butollo, F., Kusch, J. et Laufer, T. (2009). Buy IT fair: Guideline for sustainable procurement of computers. World Economy, Ecology and Development – WEED e.V. https://goodelectronics.org/wp-content/uploads/sites/3/2009/07/Buy-IT-Fair-Guideline-for-Sustainable-Procurement-of-Computers.pdf

 

Étude de cas - Electronics Watch : Utiliser le pouvoir des achats publics pour obtenir le plus grand remboursement de frais de recrutement de travailleurs et travailleuses migrantes

Auteur : Peter Pawlicki, Electronics Watch

Project / Programme

Electronics Watch

Région / Pays

Thaïlande et Europe

Site Web

https://electronicswatch.org/fr

Circularité

Réduction des risques de travail forcé

 

Résumé 

Electronics Watch est une organisation indépendante de surveillance qui permet aux acheteurs publics de faire le suivi des chaînes d’approvisionnement et de vérifier que les critères sociaux établis dans les contrats d’équipements de technologies de l’information et des communications (TIC) sont respectés.

Le modèle adopté par Electronics Watch, basé sur un dispositif de surveillance ayant pour moteur les travailleurs et travailleuses et un engagement de la part de l’industrie, s’est avéré être un tel succès qu’il est devenu la norme acceptée au niveau international en matière de marchés publics.

En 2019, Electronics Watch, ses affiliés et partenaires locaux ont apporté leur soutien à plus de 10 000 travailleuses et travailleurs ayant migré en Thaïlande, qui ont ainsi été remboursés des frais illégaux de recrutement qui leur étaient exigés.

À propos du projet 

Les acheteurs publics, et notamment les universités, les hôpitaux, les comtés, les villes et autres institutions publiques, achètent de grandes quantités de matériel électronique : des ordinateurs de bureau, des ordinateurs portables, des serveurs, des téléphones portables ou encore des imprimantes. Les contrats auprès des grandes enseignes de l’électronique sont signés sur plusieurs années, ce dont les acheteurs peuvent tirer parti pour répondre aux préoccupations des travailleurs et travailleuses en matière de droits et d’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Electronics Watch est un réseau qui regroupe des partenaires consacrés au suivi des entreprises et plus de 330 acheteurs publics en Europe. Les partenaires du mécanisme de surveillance proviennent d’organisations de la société civile, situées à proximité des communautés de travailleurs et travailleuses dans les régions de production. Elles utilisent une méthodologie axée sur les travailleurs et travailleuses pour détecter les menaces envers les droits du travail et les violations commises dans les usines. À partir de leurs rapports, Electronics Watch engage le dialogue auprès des enseignes, des entreprises et de l’association des industriels Responsible Business Alliance (RBA). Leur objectif consiste à rechercher des solutions aux menaces et violations mises en évidence.

Dans le seul domaine de la surveillance et de la transparence dans les chaînes d’approvisionnement, en 2020 Electronics Watch a réalisé les actions suivantes :

Risques de travail forcé en Thaïlande

En 2016, Migrant Worker Rights Network (MWRN), un partenaire d’Electronics Watch, a documenté des violations aux droits du travail à Cal-Comp en Thaïlande. Le personnel, composé de migrantes et migrants du Myanmar, employé en sous-traitance dans deux entreprises de Cal-Comp en Thaïlande risquait d’être contraint au travail forcé en raison d’une servitude pour dettes et de la rétention de documents d’identité. Cette servitude pour dette était liée aux frais excessifs de recrutement.

À l’époque, Cal-Comp fournissait des imprimantes, des disques durs externes et d’autres périphériques informatiques aux grandes enseignes telles que HP, Seagate et Western Digital. Une large proportion des employées de Cal-Comp en Thaïlande étaient des migrantes provenant du Myanmar.

Electronics Watch et MWRN ont réuni les preuves de nombreuses violations aux droits du travail, notamment :

Electronics Watch a appris que des agents pour l’emploi avaient tenté d’obliger les travailleurs et travailleuses de Cal-Comp à mentir auprès des auditeurs sociaux sur les frais de recrutements et autres frais connexes. Ces agents les avaient menacées, leur affirmant que s’ils et elles dénonçaient tous leurs frais lors des expertises à venir, les acheteurs retireraient leurs commandes, ce qui aurait pour effet de réduire considérablement leur nombre d’heures supplémentaires, voire de leur faire perdre leur travail.

Engagement du secteur

Les principales enseignes associées aux usines, Cal-Comp et la RBA ont reçu le rapport de conformité sur l’ensemble des observations. La RBA a mené ses propres expertises sociales indépendantes, avant d’élaborer des projets d’action corrective. MWRN et Electronics Watch en ont suivi les répercussions, tenant les travailleurs et travailleuses étroitement informées.

Après plus de trois ans de recherches, de suivi et d’engagement auprès des enseignes, du fabricant et de la RBA, Electronics Watch et MWRN ont pu obtenir des améliorations remarquables :

Conclusion

Ce cas montre combien le modèle que suit Electronics Watch ayant pour moteur les travailleurs et travailleuses est essentiel pour la détection et la réponse au travail forcé. Le rapport qu’entretient MWRN avec les travailleurs et travailleuses au quotidien et son travail soigneux pour consigner leurs expériences de recrutement ont été des éléments essentiels pour appréhender l’étendue des risques de travail forcé et des servitudes pour dettes. Il a également permis de déterminer les remboursements et les réparations qui leur étaient dus. 

Un engagement constant d’Electronics Watch auprès des industries, associé au soutien de ses affiliés et la communication entretenue auprès de leurs fournisseurs, est essentiel pour prendre des mesures correctives face aux violations et améliorer les conditions de travail.

Les achats publics ont une grande capacité d’effet de levier sur les chaînes d’approvisionnement dont ils peuvent se servir pour favoriser des améliorations durables pour les travailleurs, les travailleuses et les communautés affectées. Pour être en mesure d’apporter un changement positif, les acheteurs publics doivent pouvoir compter sur une vérification réalisée par un organisme de surveillance indépendant.

Références et lectures complémentaires

Rapport de conformité Cal-Comp. https://electronicswatch.org/en/compliance-report-update-cal-comp-samut-sakorn-and-petchaburi-thailand-october-2018_2555998.pdf

Cal-Comp: Une leçon sur l’importance de la surveillance par les travailleurs et travailleuses pour en finir avec le travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. https://electronicswatch.org/cal-comp-a-lesson-in-the-importance-of-worker-driven-monitoring-to-end-forced-labour-in-global-supply-chains-february-2020_2569307.pdf

Proposition de correctif pour les travailleurs et travailleuses de Cal-Comp. https://electronicswatch.org/en/remedy-proposal-for-cal-comp-thailand-workers-february-2019_2556087.pdf

Rapport annuel d’Electronics Watch de 2020. https://electronicswatch.org/electronics-watch-annual-report-2020_2591374.pdf

 

Note de bas de page

[1] Electronics Watch. (2020, 28 février). Largest settlement of migrant worker recruitment fees in any one company - how did we get there? https://electronicswatch.org/en/largest-settlement-of-migrant-worker-recruitment-fees-in-any-one-company-how-did-we-get-there-_2569363

 

Module 7 : Des commandes publiques durables

Le pouvoir d’achat des institutions publiques leur donne un avantage économique considérable, qui leur permet de peser sur les processus d’élaboration et de production des appareils. Cette influence a, à son tour, des répercussions sur les appareils que les fabricants vendent au grand public.

Le pouvoir des commandes publiques

Les commandes publiques correspondent au volume d’achat d’appareils informatiques et de composants connexes, tels que les imprimantes, les écrans et les périphériques réseau, par les gouvernements et les entreprises nationales.

Les commandes publiques incluent généralement non seulement la prestation, mais également les services de déploiement et d’installation, ainsi qu’une garantie de base. Elles peuvent également inclure la maintenance pendant la durée d’utilisation par une organisation, et l’élimination après plusieurs années d’utilisation. Cette élimination peut cependant ne pas être la fin de la vie des appareils, qui auront alors la possibilité d’être réutilisés ou recyclés.

Du fait des volumes des contrats, le pouvoir d’achat des gros clients publics donne lieu à des appels d’offres dont le poids économique considérable permet aux clients d’influencer les fabricants en matière d’élaboration et de production de leurs produits. Il y a également un effet global sur les appareils numériques que les fabricants proposent à leurs consommateurs et consommatrices ordinaires.

Les commandes publiques ont parfois lieu par le biais de ce que l’on appelle « des consortiums d’achat ». Les consortiums d’achat commandent des volumes plus importants d’appareils, car ils regroupent les achats de plusieurs institutions publiques d’un même secteur. Ceci peut permettre d’améliorer la qualité, la rentabilité et l’efficacité des processus d’approvisionnement, tout en renforçant la vérification de la conformité avec les standards environnementaux et des droits des travailleurs et travailleuses.

Un approvisionnement durable permet aux institutions publiques de n’obtenir que les biens et les services qui ont été produits dans des conditions de travail humaines et qui n’ont pas d’effet néfaste pour l’environnement. Les commandes publiques peuvent inclure des clauses visant à garantir la conformité avec les standards environnementaux, de travail, de sécurité et de qualité dans les chaînes d’approvisionnement du matériel de TIC qu’elles achètent[1]. Les contrats peuvent inclure des exigences de diligence raisonnable portant sur les responsabilités étendues des producteurs, dont notamment la reprise et la réutilisation, ainsi qu’un complément au coût du recyclage adéquat des déchets électroniques qui permette de maximiser la récupération des ressources et minimiser leur élimination. Les contrats pourraient préciser si les conventions « fondamentales » de l’Organisation internationale du travail (OIT) sont respectées dans le processus de production, de même que les exigences en matière d’efficacité énergétique.

Des commandes publiques durables et transparentes peuvent également aider des organisations à but non lucratif, telles qu’Electronics Watch, à assurer une supervision adéquate et contribuer au respect des standards pour une fabrication durable. Ceci inclut la détection de problèmes que les travailleurs et travailleuses ne mentionnent généralement pas, la correction rapide des problèmes et la résolution des problèmes systémiques sur la durée.

Que se passe-t-il ?

Global Electronics Council (GEC) et TCO Certified sont des organisations de vérification et de certification indépendantes qui garantissent que les produits et processus d’approvisionnement répondent à des critères environnementaux et sociaux exhaustifs. Elles s’inscrivent dans ce que l’Organisation internationale de normalisation (ISO) qualifie de « programme volontaire, basé sur de multiples critères et engageant une tierce partie, consistant à attribuer une licence qui autorise l’utilisation de labels environnementaux sur les produits, indiquant qu’un produit particulier est préférable pour l’environnement, dans le cadre d’une catégorie de produit donnée et en fonction de considérations ayant trait au cycle de vie ». Toutes deux ont des « écolabels » de ISO 14024 de type 1.

Le GEC, anciennement connu sous le nom de Green Electronics Council, est une organisation à but non lucratif dont la mission est de « créer un monde plus juste et durable », en agissant spécifiquement au niveau de l’électronique. Il soutient la production de standards de leadership environnemental consensuel, tels que l’EPEAT (Electronic Product Environmental Assessment Tool) qui aide à l’achat d’ordinateurs et d’écrans, de matériel d’imagerie et de télévisions « plus verts », et permet au grand public de mieux acheter grâce à ses guides d’approvisionnement.

La certification TCO, créée à l’origine par la confédération suédoise des employé·e·s professionnels (TCO), se concentre sur la certification en tant que garantie que les produits informatiques achetés par les employeurs correspondent à des standards écologiques et ergonomiques permettant d’éviter les problèmes de santé à long terme pour les utilisateurs et utilisatrices. Elle a commencé en 1992 avec la certification d’écrans d’ordinateur, pour devenir aujourd’hui une instance de certification mondiale pour les produits des technologies de l’information.

Le modèle de suivi piloté par les travailleurs et travailleuses et d’engagement du secteur d’Electronics Watch est maintenant devenu un standard accepté dans le monde entier pour les commandes publiques (voir l’étude de cas au Module 6).

Références

[1] Electronics Watch. (2020). La boite à outils de l’acheteur public. https://electronicswatch.org/fr/la-boite-à-outils-de-l-acheteur-public_2548345

Module 8 : Prolonger la durée de vie utile d’un appareil

Si l’on considère que la valeur des appareils tient à leurs ressources informatiques, nous devrions nous pencher sur le droit d’utiliser un appareil, et non le droit de posséder un appareil. Optimiser la circularité nécessite de considérer les appareils comme des biens collectifs qui circulent entre utilisatrices et utilisateurs jusqu’à leur recyclage en fin de course.

Utilisation et réutilisation 

Un appareil numérique est acheté par une personne ou une organisation pour un but précis. Sur la durée, l’appareil peut ne plus être adapté à la tâche souhaitée, car elle requiert davantage de capacités informatiques, ou parce que la performance de l’appareil se détériore à mesure qu’il s’use. Ceci est parfois dû à un logiciel : le logiciel du système n’est plus pris en charge, et des pannes et problèmes de sécurité rendent l’appareil inopérable pour une utilisation ordinaire. Les mises à jour de logiciels qui prennent en charge des composants matériels plus récents peuvent également avoir plus de caractéristiques et consommer davantage de ressources, rendant les modèles antérieurs obsolètes (ce que l’on appelle "l’obsolescence technique" ou, lorsque cela est prévu par les fabricants afin d’augmenter les volumes de vente, "l’obsolescence programmée"). Les composants matériels ont parfois une courte durée de vie, comme c’est le cas des condensateurs et des batteries, par exemple, et le fournisseur ne fournit plus de pièces détachées pour réparer ou remplacer ces composants. Un mélange des deux peut également se produire, comme lorsque le logiciel pilote d’une puce n’est plus fourni par le fabricant, et que le logiciel et sa documentation ne sont pas accessibles au public.[1] Ces facteurs nous font dire que la réparabilité et l’évolutivité d’un appareil déterminent les limites de sa durabilité.

Ce que l’on appelle la "phase d’utilisation" d’un appareil correspond à la fois à l’utilisation initiale prévue d’un appareil et à sa réutilisation à d’autres fins. La fin d’un cycle d’utilisation, lorsqu’un appareil n’est plus adapté à sa fonction initiale, peut créer une possibilité de réutilisation interne pour une fonction moins exigeante au sein de la même organisation. Nous pouvons alors dire que l’appareil a toujours une certaine "valeur d’utilisation" pour l’organisation. Lorsqu’un appareil ne répond plus à aucun des besoins de l’organisation, ou qu’il est trop cher de continuer à l’entretenir, ou encore qu’il ne peut plus être entretenu ou réparé par le fournisseur ou un réparateur, cela signale la fin de l’utilisation de l’appareil par cette organisation. 

Mais l’appareil peut toujours être une ressource pour d’autres utilisateurs et utilisatrices. Le reconditionnement d’un appareil peut prolonger sa durée de vie utile, et il peut servir à de nombreuses autres utilisations, telles que dans des centres communautaires, des cliniques, des écoles ou des foyers. 

Il est donc possible de distinguer, en termes d’utilisation, entre le premier et tout autre cycle d’utilisation, la fin de l’utilisation dans chaque cycle, et la fin de la dernière utilisation, ou fin de vie de l’appareil. 


Agir de manière responsable à la fin de chaque cycle d’utilisation 

Dès qu’une propriétaire ou que l’utilisateur ou utilisatrice d’un appareil n’en a plus besoin, toutes les données qu’il contient doivent être effacées, et l’appareil doit être restauré aux paramètres "d’usine". Cette étape sert à préserver la vie privée et la confidentialité de l’utilisateur ou utilisatrice. Plusieurs options s’offrent ensuite à vous, dont: 

L’option que vous retiendrez dépendra de motivations économiques, environnementales ou sociales. Par exemple, vous pouvez souhaiter obtenir de l’argent de la vente de l’appareil si vous trouvez à le vendre, veiller à avoir un impact environnemental minimal en appelant un recycleur connu ou aider des communautés non connectées à avoir accès à des ordinateurs.


La dévaluation 

Dans les organisations, les appareils numériques sont généralement inscrits dans un inventaire comptable de l’organisation. Les appareils perdent de la valeur avec le temps : leur valeur comptable diminue à mesure qu’ils s’usent et s’abîment, et leur coût pour l’entreprise est réparti sur plusieurs périodes (généralement de 3 à 5 années). Mais la dévaluation comptable peut aussi être stimulée par des avantages fiscaux. Elle peut survenir trop rapidement, même si un appareil reste utilisable, voire toujours couvert par un contrat de maintenance. En dévaluant nos produits, nous pouvons les traiter comme des déchets sans valeur marchande perçue, alors qu’ils ont réellement de la valeur. Un appareil numérique a toujours de la valeur, même lorsqu’il a atteint la fin de son utilisation au sein de votre organisation. 


Les ordinateurs peuvent servir pendant 7.5 années 

Une étude de terrain d’eReuse collecte et publie des données ouvertes sur les ordinateurs de bureau et ordinateurs portables au-delà de leur première utilisation.[2] Presque tous les appareils avec lesquels travaille l’organisation sont reconditionnés à l’aide de composants réutilisés, sauf pour les nouvelles batteries et appareils de stockage qui donnent des signes de fatigue (appelés signaux "intelligents"). La série de données d’eReuse indique que la durabilité par fabricant en heures totales d’utilisation varie entre 46 000 (5,3 années) et un maximum de 65,000 heures (7.5 années). Ces informations corroborent celles d’autres études.[3]


Le droit d’utiliser un appareil

Nous pouvons commencer à regarder les appareils numériques d’un autre œil. Pour ce qui est de la propriété, par exemple : l’utilisateur ou utilisatrice peut être le propriétaire, ou simplement l’avoir en garde (par le biais d’un commodat ou un prêt pour utilisation, comme un livre dans une bibliothèque, ou par le biais d’un contrat de servitisation auprès d’un fournisseur de services). Du point de vue de la propriété collective, les appareils ayant plusieurs phases d’utilisation peuvent être transférés pour utilisation, rendus "intacts" (sans détérioration) ou rendus "en l’état" (consommés, détériorés) pour être réparés ou recyclés. Du point de vue environnemental, nous pouvons voir les appareils selon le prisme de la planète ou de l’empreinte carbone : quels matériaux dans l’appareil sont rares ou abondants ? Quelles source et quantité d’énergie sont utilisées dans la fabrication de l’appareil ? Quelles émissions de gaz à effet de serre sont impliquées ? Quel est le potentiel de déchets électroniques d’un appareil ? En termes de droits et responsabilités,[4] nous sommes concernées par la question de savoir qui a le droit d’utiliser un appareil.

figure-01.png

Figure 14 : Les modèles "échelle' des recettes circulaires. Source : Circular revenue models: Practical implications for businesses, 2019.

Si l’on considère que la valeur des appareils tient à leurs ressources informatiques, nous devrions nous pencher sur le droit d’utiliser un appareil, et non le droit de posséder un appareil. Optimiser la circularité nécessite de considérer les appareils comme des biens collectifs, qui circulent entre utilisatrices et utilisateurs jusqu’à leur recyclage en fin de course.

Les projets qui visent la circularité des appareils numériques cherchent également à limiter les inégalités sociales. L’informatique à bas coût est devenue indispensable pour dépasser les obstacles à l’accès à l’internet. La réutilisation ou le réemploi permet de trouver et de servir des utilisateurs et utilisatrices aux besoins technologiques moins exigeants, pour lesquels des appareils d’ancienne génération suffisent. Ceci s’est vérifié lors de la pandémie de COVID-19, lorsque de nombreux écoliers et écolières ont pu profiter d’ordinateurs d’occasion pour suivre leurs cours à la maison. Il s’agissait généralement d’appareils déclassés donnés par des bureaux, publics ou privés.

Les entreprises sociales qui collectent, réparent et vendent ces appareils proposent de ce fait également des emplois. Il y a également possibilité de créer des organisations économiquement pérennes qui ont recours à des modèles de gestion circulaires, tels que le paiement à l’utilisation, la location, la location-achat ou la vente-rachat. La Figure 14 définit et compare ces modèles de gestion circulaire. Les entreprises sociales durables peuvent être motivées à la fois par des objectifs environnementaux et sociaux, et n’avoir d’objectifs économiques (maximisation des profits) qu’en objectif de deuxième plan.[5]

Les séries de données publiques[6] partagées pour le projet de mise en commun de données d’eReuse par une équipe d’utilisateurtrices, de reconditionneurs et de recycleurs impliqués dans le projet indiquent que le réemploi peut contribuer à doubler, approximativement, la durée de vie des ordinateurs de bureau. 

Ceci est particulièrement propice à un modèle de servitisation où, au lieu de posséder des appareils, les organisations paient des frais de service annuels pour un ordinateur opérationnel avec un niveau de performance donné. Dans ce modèle, les ordinateurs défectueux peuvent être rapidement remplacés lorsqu’ils cessent de fonctionner correctement. Le propriétaire de l’appareil est le prestataire de services, plutôt que l’utilisateurtrice.[7] Le modèle de servitisation est très sensé si l’on pense au fait que l’on ne possède des appareils que pour leurs avantages et fonctions informatiques. Comme indiqué précédemment, pour en maximiser la circularité, nous devons considérer les appareils comme une propriété collective (un bien commun), ou au moins une responsabilité collective, avec des appareils qui circulent entre utilisateurs et utilisatrices jusqu’au recyclage final.

L’importance de la traçabilité et de la vérifiabilité

Pour dépasser les obstacles à la circularité, nous avons besoin de données efficaces, d’outils et de services permettant d’optimiser chacune des étapes de la vie d’un appareil et de veiller à la traçabilité des appareils générés dans le cadre d’un système de ressources communes.[8] Rassembler des détails tels que les données (associées) numériques à propos des différentes étapes d’un appareil tout au long de sa durée de vie, depuis l’acquisition (en remontant, dans l’idéal, jusqu’à la fabrication), en passant par les multiples phases de son utilisation et jusqu’au recyclage, permet d’évaluer, voire de vérifier – plutôt que de supposer – les impacts sociaux, économiques et environnementaux des appareils numériques. Ces détails peuvent constituer la base des évaluations organisationnelles de l’impact, ainsi que la base d’incitations et de réglementations publiques en vue de se conformer à des objectifs de durabilité. Ces données deviennent de plus en plus importantes à mesure que les gouvernements tentent de mettre en pratique leurs engagements en matière d’atténuation du changement climatique.

Et dans la pratique ?

Des campagnes pour le droit de réparer : Les campagnes pour le droit de réparer réclament des législations permettant aux consommateurs et consommatrices de réparer et modifier leurs propres appareils électroniques grand public. À l’heure actuelle, le fabricant d’appareils impose généralement aux consommateurs et consommatrices de n’utiliser que ses services, ou d’acheter un nouvel appareil. 

Les campagnes européennes et américaines demandent trois choses aux responsables des décisions :

Clubs, cafés, projets et fêtes de réparation : Il y a plusieurs initiatives citoyennes qui promeuvent la culture de la réparation. Il y a des "fêtes de réparation", où les gens se retrouvent et apprennent à réparer divers produits, allant des vélos à l’électronique. Par exemple, le Restart Project, lancé au Royaume-Uni, a désormais plusieurs groupes en Europe qui ont lancé des "fêtes du redémarrage" (autre nom des "fêtes de la réparation"). Il y a un réseau mondial de Cafés Repair, et des initiatives telles que le Club de Reparadores (Clubs de réparateurs) en Argentine, tous deux mentionnés au Module 1. Plusieurs études de cas de ce module décrivent l’importance de la réparation dans les pays moins développés, et la manière dont les vieux appareils peuvent être réutilisés dans la pratique pour aider les communautés marginalisées. Il s’agit des Computadores para Educar (ordinateurs pour l’éducation) en Colombie, de l’initiative Solar Learning Lab (labo solaire d’apprentissage) de Computer Aid International et d’une discussion sur le secteur de la réparation des combinés téléphoniques au Nigéria. 

L’informatique comme service : L’initiative d’eReuse, décrite dans l’étude de cas du Module 1, collabore avec des entreprises sociales en Espagne qui collectent et reconditionnent des ordinateurs de bureau et portables donnés par des organisations publiques et privées. Plus de 10 000 appareils ont été reconditionnés ces cinq dernières années. Ces appareils informatiques sont vendus à un prix qui reflète le coût du reconditionnement. Un modèle de servitisation est également utilisé : plusieurs organisations bénéficiaires, telles que des écoles, préfèrent en effet  payer des frais annuels pour plusieurs unités d’informatique dotées d’un niveau de performance prédéfini. Elles reçoivent alors quelques ordinateurs supplémentaires, afin d’assurer un remplacement rapide si un appareil devait être défectueux. Comme il est de coutume dans l’approvisionnement vert, les administrations publiques commencent également à se procurer des services pour équiper et entretenir des centres d’ordinateurs publics et d’accès à l’internet à l’aide d’appareils d’occasion.

Annexe 2 : Évaluation de l’impact environnemental d’un ordinateur de bureau réutilisé

Penchons-nous sur un exemple[9] pour découvrir comment et pourquoi l’adoption de modèles circulaires est une bonne idée. Nous pouvons évaluer approximativement les impacts environnementaux du cycle de vie d’un ordinateur de bureau à partir des données disponibles.[10] Les résultats figurent dans le Tableau 1, qui indique les impacts sur les émissions, l’épuisement des matériaux et l’énergie nécessaire pendant les phases de fabrication, utilisation et fin de vie, avec une récupération d’impacts avec le recyclage (valeurs négatives).

Tableau 1. Résumé des impacts approximatifs du cycle de vie d’un ordinateur de bureau sans reconditionnement.

Catégorie de l’impact environnemental [11]

Fabrication

Utilisation

Fin de vie

Émissions de gaz à effet de serre : potentiel de réchauffement climatique (PRC), kg CO2e

154

1025

-11

Ressources naturelles : potentiel d’épuisement abiotique (ADP), kg éq. Sb

0.02

0.0002

-0.013

Demande en énergie totale (CED), MJoule

2288

23834

-125

Dans un modèle "d’informatique en tant que service" ou de "servitisation", nous pouvons observer et comparer les impacts environnementaux par appareil et par heure. Alors que le Tableau 1 représente l’impact du premier cycle d’utilisation d’un nouvel ordinateur, le Tableau 2 représente l’effet potentiel brut escompté du réemploi d’un appareil reconditionné, comparé avec l’utilisation de deux nouveaux appareils. Le réemploi entraîne approximativement le doublement du nombre d’heures d’utilisation par un nouvel utilisateur ou utilisatrice, ayant généralement des exigences informatiques moindres, mais les mêmes effets de fabrication et de fin de vie. On suppose dans la comparaison une amélioration de 20% de la consommation d’énergie dans le cas d’un deuxième appareil neuf, et l’impact limité du reconditionnement local et de la réparation locale n’est pas pris en compte. Nous présentons trois catégories d’impact: les émissions de gaz à effet de serre (PRC), les ressources naturelles (ADP) et la consommation énergétique cumulée (CED).[12]

Tableau 2. Résumé des impacts idéalisés du réemploi, d’une durée d’utilisation de référence de cinq ans (I15) : Un appareil sans réemploi pendant 2 durées de vie (I110) comparé à deux appareils sans réemploi (I210) pendant 2x5 ans.

Impact environnemental

1 Appareil

2 Appareils

Amélioration de l’impact

Catégorie

1 utilisation, 5 ans
I15=M+U+E

Utilisation+réemploi : 10 ans
I110=M+2U+E

5+5 ans
I210=2(M+U+E)

1 à 2 utilisations
(I15-I110)/I15

2 appareils pour 1
(I210-I110)/I110

PRC, kg CO2e (total)

1168

2193

2336

 

7%

ADP, kg éq. Sb (total)

0.00718

0.00736

0.01436

 

95%

CED, MJ (total)

25997

49831

46794.6

 

-6%

PRC, g CO2e (par heure)

26.7

25.0

26.7

6%

7%

ADP, mg éq. Sb (par heure)

0.2

0.1

0.2

49%

95%

CED, KJ (par heure)

593.5

568.8

534.2

4%

-6%

L’impact de "l’utilisation" est fortement dépendant de la production d’électricité (émissions de CO2), mais l’utilisation croissante de sources d’énergie verte et locale tend à limiter cette contribution sur la durée (dans le scénario des deux appareils, le Tableau 2 suppose une réduction de 80% de la consommation énergétique pour le deuxième).

Le modèle de servitisation met en avant l’expansion de la durée de vie opérationnelle des composants et appareils aussi longtemps que possible, ce qui étale les impacts de la fabrication et de la fin de vie sur une période plus longue. Les économies du réemploi indiquent à quel point il est important de garantir la durée de vie la plus longue possible pour un appareil. Nous pouvons également voir que le réemploi direct, avec des réparations minimes, est souvent plus favorable à l’environnement que le réemploi de certaines pièces ou composants, puisque nous évitons les coûts de l’extraction et de la fabrication de nouvelles pièces. 

Notes de bas de page

[1] Pour plus d’information sur les obstacles causés par les fabricants de puces aux mises à jour de logiciels Android, voir : Fairphone. (2020, 18 juin). Building a breakthrough for Fairphone 2. https://www.fairphone.com/en/2020/06/18/fairphone-2-gets-android-9

[2] Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). eReuse datasets, 2013-10-08 to 2019-06-03 with 8458 observations of desktop and laptop computers with up to 192 features each. https://dsg.ac.upc.edu/ereuse-dataset

[3] Ardente, F., Peiró, L. T., Mathieux, F., & Polverini, D. (2018). Accounting for the environmental benefits of remanufactured products: Method and application. Journal of Cleaner Production, 198, 1545-1558. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652618319796

[4] Schlager, E., & Ostrom, E. (1992). Property-rights regimes and natural resources: A conceptual analysis. Land Economics, 68(3), 249-262. https://doi.org/10.2307/3146375

[5] Burkett, I. (2013, 15 mai). Using the Business Model Canvas for Social Enterprise Design. CSIA. https://csialtd.com.au/2013/05/15/using-the-business-model-canvas-for-social-enterprise-design

[6] Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). Op. cit.

[7] Pour consulter une analyse des téléphones portables en tant que service, voir : Johnson, R. (2018, 26 juillet). Fairphone-as-a-service. Project Breakthrough. https://breakthrough.unglobalcompact.org/briefs/fairphone-as-a-service

[8] Franquesa, D., Navarro, L., & Bustamante, X. (2016). A circular commons for digital devices: Tools and services in eReuse.org. In Proceedings of the Second Workshop on Computing within Limits (LIMITS’16). ACM. http://dsg.ac.upc.edu/node/914

[9] Andrae, A., Navarro, L., & Vaija, S. (2021). The potential impact of selling services instead of equipment on waste creation and the environment: Effects on global information and communication technology. ITU-T Recommendation L.1024. https://www.itu.int/rec/T-REC-L.1024-202101-I/en

[10] Voir, par example : Ardente, F., Peiró, L. T., Mathieux, F., & Polverini, D. (2018). Op. cit., and Franquesa, D., Navarro, L., Fortelny, S., Roura, M., & Nadeu, J. (2019). Circular consumption and production of electronic devices: An approach to measuring durability, upgradeability, reusability, obsolescence and premature recycling. Paper presented at the 19th European Roundtable on Sustainable Consumption and Production, Barcelona, 15-18 October. https://people.ac.upc.edu/leandro/pubs/294.pdf

[11] Appareils : potentiel de réchauffement climatique (PRC) en unités équivalentes de gaz à effet de serre (CO2e) ; matériaux : potentiel d’épuisement abiotique (ADP) en unités équivalentes d’antimoine (kg éq. Sb) ; énergie : demande en énergie totale (CED), exprimée en joules.

[12] Voir les explications fournies au Tableau 1.

 

Module 9 : La valeur et le coût des déchets électroniques

Les piles de déchets numériques dans les décharges sont un symptôme des décisions non durables prises par des fabricants, des consommateurs et consommatrices, et des décideurs politiques au gouvernement.

La phase post-utilisation ou "de résultat"

Après une ou plusieurs phases d’utilisation, un appareil n’a plus aucun usage possible et il parvient à la fin de sa vie. Lors de cette phase post-utilisation, nous qualifions l’appareil de déchet électronique alors qu’il n’est pas encore prêt à intégrer le flux des déchets. On peut procéder au "décyclage", c’est-à-dire le démonter pour séparer les matériaux de valeur des composantes en plastique qui, elles, seront déchiquetées.

Il existe des initiatives de recyclage des déchets électroniques très diverses dans le monde. Les intervenant·e·s sur la chaîne de recyclage sont également très nombreux·euses : des ramasseurs de déchets informels, qui ramassent les pièces de ferraille numérique dans les ménages et les décharges, aux usines de fusion de pointe, souvent installées dans les pays de l’hémisphère Nord. 

Ces différents processus d’élimination ont également des coûts et un impact distincts, qui sont tous bien documentés d’autre part.[1]

Le traitement correct des déchets électroniques peut coûter cher. Par exemple, alors que les appareils numériques sont démontables relativement facilement, certains processus de recyclage plus sophistiqués peuvent nécessiter des capacités de recyclage de niveau industriel. Les composants toxiques, tels que les batteries et les écrans, doivent également être traités de manière adaptée dans les décharges, et le marché pour les matières plastiques ignifugées dans les appareils numériques n’existe pas partout. 

Tous les pays ne disposent pas de la capacité de recyclage convenable pour les déchets électroniques, et l’option la mieux adaptée et la plus sûre doit être proposée, en fonction des ressources disponibles. Il faut pour cela procéder à une évaluation précise des capacités, et prendre en compte les impacts environnementaux et sociaux du processus de recyclage. 

En général, le traitement prend fin lorsque son coût est supérieur à la valeur des ressources extraites. Le traitement local, ou à proximité de la source, peut permettre de réduire les coûts, mais une autre manière de procéder est l’agrégation de volumes plus importants qui permet alors de profiter de processus plus sophistiqués d’extraction efficace de certains matériaux de valeur, et de limiter ainsi la part de matériaux à jeter. 

Qu’il s’agisse d’entreprises à but lucratif ou d’organisations à but non lucratif, les recycleurs ne peuvent pas se permettre de travailler à perte. Il faut donc que le recyclage des déchets électroniques soit financé, ce qui peut se faire par le biais du fabricant (programme de responsabilité élargie des producteurs), de la personne ou de l’organisation qui se défait des appareils, ou de l’acheteur·euse d’un appareil numérique, au point de vente. Ce paiement détermine la qualité et le seuil du processus de recyclage. 

Si le recyclage des déchets électroniques peut coûter cher, il est important de se rappeler que les déchets électroniques correctement recyclés peuvent représenter une ressource importante pour l’extraction de matériaux rares et précieux. En 2019, la perte de ressources secondaires suite à l’élimination des déchets électroniques a été estimée à 57millions dollars US.[2]

Un recyclage adéquat peut créer des emplois, et à l’inverse ne pas recycler correctement les déchets électroniques a un coût social et environnemental. La tentation d’exporter ses déchets électroniques vers des pays moins développés existe, sous couvert de déchets déclarés comme étant « des appareils d’occasion utilisables », car cela peut se révéler moins coûteux que le recyclage local. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination interdit l’exportation de déchets électroniques, mais les pays sans législation relative aux déchets électroniques peuvent devenir des cibles faciles pour le déversement de déchets électroniques. Ceci signifie que de nombreuses personnes pauvres dans le monde sont affectées négativement par les nombreux matériaux dangereux[3] que les déchets électroniques peuvent contenir, et qu’elles doivent prendre en charge un problème créé par des pays riches, sans disposer des capacités de recyclage, ni du savoir-faire nécessaires. 


Envoyer la note de notre connexion en ligne aux pays pauvres

Les déchets électroniques sont le flux de déchet à la plus forte croissance au monde. Ils sont le plus souvent éliminés avec les déchets généraux, ce qui entraîne la pollution des nappes phréatiques et autres systèmes naturels, et crée de graves problèmes de santé pour les communautés locales. Mais le sort de 82,6 % des déchets électroniques générés en 2019 demeurait incertain.[4] Des pays de l’hémisphère Nord continuent à exporter illégalement des déchets électroniques dangereux.[5]vers des pays de l’hémisphère Sud, malgré l’existence de traités tels que la Convention de Bâle. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, les travailleureuses informelles, et notamment des enfants, trient et traitent des déchets électroniques à la recherche de ressources et de minéraux précieux, entraînant de graves conséquences pour leur santé, polluant l’air, l’eau et la terre de leurs communautés. 


Les impacts sont effroyables sur les gens qui vivent dans ou près de décharges de déchets électroniques

Comme le souligne l’Organisation mondiale de la Santé : "Les enfants vivent, travaillent et jouent dans des sites informels de recyclage des déchets électroniques. Les adultes et les enfants peuvent être exposés à des vapeurs toxiques et des particules fines qu’ils inhalent, à des agents et produits chimiques corrosifs en contact avec la peau et à des aliments et de l’eau contaminés qu’ils ingèrent. Les enfants sont également vulnérables en raison d’autres voies d’exposition possibles. Certaines substances chimiques dangereuses peuvent ainsi être transmises de la mère à l’enfant durant la grossesse ou l’allaitement. Les jeunes enfants qui jouent en extérieur ou dans la nature portent souvent les mains, des objets ou de la terre à la bouche, augmentant ainsi le risque d’exposition. Les fœtus, les nourrissons, les enfants et les adolescentes sont particulièrement vulnérables aux dommages causés par les substances toxiques dans les déchets électroniques du fait de leur physiologie, leur comportement ou des voies supplémentaires d’exposition.”[6]


Et dans la pratique?

La plupart des grandes villes ont désormais un projet quelconque de recyclage des déchets électroniques en place. Et certains projets sont plus efficaces que d’autres. Des initiatives telles que le "Recyclatron" à l’Université autonome de Nayarit à Mexico,[7]qui a élaboré des projets participatifs de collecte et de gestion des déchets électroniques, ou l’usine de traitement expérimentale de déchets électroniques à l’Université Nationale de La Plata en Argentine sont la concrétisation d’efforts de recyclage et de mobilisation sociale.[8]Les études de cas du présent Module incluent l’expérience de Nodo TAU, qui a mis sur pied une usine de traitement des déchets électroniques en Argentine, Karo Sambhav en Inde et une initiative d’implication de la jeunesse dans le recyclage des déchets électroniques en République démocratique du Congo.

Note de bas de page

[1] Ambrosi, V. M. (2018). Successful electronic waste management initiatives.  Union Internationale des Télécommunications. https://www.itu.int/en/ITU-D/Climate-Change/Documents/2018/Successful-electronic-waste-management-initiatives.pdf

[2] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). The Global E-waste Monitor 2020: Quantities, flows and the circular economy potential. United Nations University (UNU)/United Nations Institute for Training and Research (UNITAR) – co-hosted SCYCLE Programme, International Telecommunication Union (ITU) & International Solid Waste Association (ISWA). http://ewastemonitor.info/wp-content/uploads/2020/07/GEM_2020_def_july1_low.pdf

[3] Tels que le plomb, le mercure, le cadmium, etc. Voir: https://en.wikipedia.org/wiki/Restriction_of_Hazardous_Substances_Directive  

[4] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). Op. cit.

[5] Shanmugavelan, M. (2010). Tackling e-waste. In A Finlay (Ed.), Observatoire mondial de la société de l’information 2010: ICTs and environmental sustainability. APC et Hivos.. https://www.giswatch.org/thematic-report/sustainability-e-waste/tackling-e-waste

[6] J. Pronczuk de Garbino, J. (Ed.) (2005). Children's health and the environment: A global perspective. Organisation Mondiale de la Santé. https://apps.who.int/iris/handle/10665/43162  

[7] Saldaña-Durán, C. E., & Messina-Fernández, S. R. (2020). E-waste recycling assessment at university campus: a strategy toward sustainability. Environment, Development and Sustainability, 23, 2493-2502. https://doi.org/10.1007/s10668-020-00683-4 and https://link.springer.com/content/pdf/10.1007/s10668-020-00683-4.pdf

[8] Poll, S. (2019). E-waste pilot plant: Post implementation assessment report. Union Internationale des Télécommunications. https://www.itu.int/net4/ITU-D/CDS/PRJ/eBook/ImplementationReport/Implementation_Reviews_Argentina/docs/Implementation_Reviews_Argentina.pdf

 

Étude de cas - Le laboratoire d’apprentissage à l’énergie solaire de Computer Aid : Durable, flexible et adaptable en fonction des besoins locaux to local needs

Écrit par Alejandro Espinosa, Computer Aid

Projet / Programme

Laboratoire d’apprentissage à l’énergie solaire (Solar Learning Lab - SLL)

Région/Pays

Ghana, Kenya, Maroc, Nigeria, Sierra Leone, Afrique du Sud, Togo, Zambie, Zimbabwe, Colombie et Mexique

Site web

https://www.computeraid.org

Circularité

Accès aux technologies ; énergie solaire ; réutilisation de conteneurs maritimes ; formation des communautés marginalisées

Résumé

Le laboratoire d'apprentissage à l'énergie solaire (SLL ou Solar Learning Lab en anglais) est un conteneur maritime converti en salle de classe. Onze stations d’utilisation fonctionnent à partir d’un réseau de clients léger, en réalité un réseau à basse consommation doté d’un serveur, alimenté à travers un système fonctionnant à l’énergie solaire. Si l’on compte l’espace extérieur et les ordinateurs portables, un laboratoire permet à 20 personnes d’avoir accès en même temps à l’internet, à travers une connexion sans fil. Il s’agit donc d’un espace qui offre une connexion mobile autonome aux communautés mal desservies dans le monde, à des personnes qui n’auraient autrement pas accès aux technologies de l’information et des communications (TIC) en raison des coûts exorbitants des infrastructures et des difficultés économiques. Chaque laboratoire est conçu en fonction des besoins de la communauté locale et de son contexte. Nous visons à mettre en place au moins 10 laboratoires d’apprentissage à l’énergie solaire par an d’ici 2030, en partenariat avec Dell Technologies.

À propos du projet

Malgré l’expansion année après année des technologies, une grande partie de la population mondiale n’a toujours pas un accès direct à certaines des formes les plus basiques des technologies. L’Union internationale des télécommunications estime que fin 2019, 53.6% de la population mondiale utilisait l’internet. Même s’il ne s’agit que d’un indicateur, il laisse entendre que près de la moitié de la population mondiale n’y a toujours pas accès.

Cette situation est préoccupante. En effet, elle contribue à creuser les inégalités envers certaines parties de la population et plus particulièrement dans le monde en développement. Les personnes sans accès internet n’ont aucune possibilité d’acquérir les compétences requises dans le monde moderne. Ces inégalités dans l’accès au numérique empêchent donc certaines populations (les personnes pauvres, isolées, âgées, handicapées et autres) d’avoir les mêmes opportunités que les autres.

Lancement du premier laboratoire à énergie solaire

C’est en 2011 que le premier laboratoire à énergie solaire, ou Zubabox comme il s’appelait à l’origine, a été installé, au village de Matcha en Zambie. En 2014, nous avons conclu un partenariat avec Dell Technologies pour répliquer et adapter cette expérience au Nigeria. Le succès de ce programme, qui a signifié une telle transformation pour les communautés locales, a amené Dell à le sponsoriser et lui apporter un soutien total. En 2015, des laboratoires ont été ouverts en Colombie et en Afrique du Sud, où nous avons aujourd’hui 14 laboratoires. En 2018 et 2019, nous avons déployé des laboratoires au Kenya, en Sierra Leone, au Maroc et au Mexique. Nous avons pour objectif d’atteindre les 100 laboratoires d’ici 2030.

Pour le dernier laboratoire inauguré en novembre 2020, nous avons établi un partenariat avec Zenzeleni Community Networks au Cap oriental, en Afrique du Sud. Ce déploiement est unique dans le sens où nous visons également à mettre à profit l’expérience de Zenzeleni en matière d’installation et de gestion de réseaux communautaires. Nous souhaitons répliquer leur succès auprès des communautés rurales pour leur donner accès à la connectivité et aux outils de communication, grâce aux petites subventions qu’octroie APC. Nous pourrons documenter un processus d’apprentissage dans lequel nous examinerons dans quelle mesure un réseau communautaire et un laboratoire d’apprentissage à l’énergie solaire peuvent s’associer pour améliorer leur impact positif et leur durabilité.

Nous avons reçu cette année une subvention de Dell pour déployer quatre autres laboratoires en 2021 : un au Mexique, deux en Égypte et un en Australie. Ce dernier est destiné à des communautés aborigènes vivant dans des régions isolées.

Rassembler différents partenaires

L’un des aspects les plus positifs du programme de laboratoires est sa capacité à attirer et rassembler différents partenaires dont l’objectif est d’impacter positivement sur une communauté par le biais des technologies et de programmes de formation en TIC. Nous considérons notre modèle comme un exemple réussi de partenariat établi entre trois secteurs essentiels : la société civile, le secteur public et le secteur privé. Computer Aid a beau être une ONG internationale, nous travaillons toujours en partenariat avec des organisations locales à but non lucratif. Celles-ci sont propriétaires du laboratoire, chargées de leur gestion au quotidien. La participation du secteur privé implique différents organismes donateurs, dont Dell, principal donateur. Nous avons également reçu des dons de logiciels de la part de Microsoft et le soutien d’entreprises de télécoms en matière de connectivité. Les laboratoires  engagent des bénévoles de Dell qui apportent leur soutien dans les communautés et ont été jusqu’à faire des dons aux associations caritatives locales.

Le secteur public s’est quant à lui dans de nombreux cas impliqué, il a apporté son soutien et contribué à financer le programme. Ainsi, le gouvernement local de Xalapa au Mexique a financé toute l’infrastructure ; il a également sélectionné et préparé le site où mettre en place le programme, dans une école publique. Quant au gouvernement de l’État de Mexico, il a lui aussi soutenu le programme en lui octroyant des espaces dans des écoles locales et en aménageant les sites pour pouvoir y déployer les laboratoires.

Une solution sur mesure

Depuis 2011, nous avons fourni 32 laboratoires solaires au total. Certains sont des doubles laboratoires solaires, avec deux conteneurs maritimes qui se font face pour former une plateforme centrale dotée d’ordinateurs supplémentaires. Cela permet d’augmenter la capacité en ordinateurs et le nombre de places assises. Le second conteneur sert quant à lui aux formations spécialisées. Nous offrons ainsi au Mexique une formation en robotique avec notre partenaire local Fundación Robotix.

Le programme SLL de laboratoires propose un espace unique pour enrichir les ressources d’apprentissage, renforcer les capacités des institutions locales et offrir à la population locale l’accès aux compétences du 21e siècle.

Nos partenariats auprès des organisations locales nous permettent d’offrir des solutions sur mesure, adaptées aux besoins et aux contextes locaux. Avec notre programme, la technologie est un outil pour la transformation et la participation. En effet, si les compétences en matière de TIC sont essentielles pour réussir dans le monde moderne, la mise en place d’un laboratoire d’apprentissage à l’énergie solaire constitue également un moteur de transformation et d’inclusion pour les communautés traditionnellement marginalisées.

Nous suivons de près les répercussions de nos laboratoires. Depuis 2014, nous avons ainsi fourni 10 000 heures d’accès internet par laboratoire et par an à plus de 17 000 étudiants et étudiantes défavorisées dans le monde.

Durabilité et flexibilité

La réplicabilité du programme a été largement démontrée. En effet, depuis sa mise en route il a déjà été déployé dans plus de 11 pays. De plus, la réutilisation de conteneurs est une solution durable, aussi bien en matière de sécurité pour les appareils technologiques, que pour leur utilisation de l’énergie solaire. Nous avons trop vu comment de nombreuses organisations ouvrent des laboratoires similaires sans garantir la sécurité du matériel alors que la zone a un taux de criminalité élevée, ou sans infrastructure d’alimentation en électricité.

Le laboratoire de Pujehun au Sierra Leone est un bon exemple de stratégie de durabilité. En partenariat avec MOPO (MobilePower), il a créé un système de prêts pour offrir des batteries externes à la communauté. En raison des besoins en électricité, la demande a explosé, si bien que le centre dispose aujourd’hui d’un revenu stable qui lui permet de fonctionner sans investissements supplémentaires.

À Cazucá, en Colombie, la fondation Tiempo de Juego, une ONG locale, œuvre en faveur des enfants et des jeunes des zones marginalisées à travers le sport et des programmes éducatifs périscolaires. Elle a transformé, avec succès, un SLL en studio de formation et de production. Celui-ci offre des formations en informatique, en édition de vidéos et photos, en création audiovisuelle et en journalisme. C’est également devenu un studio de production, grâce à un don de matériel informatique spécialisé tel que des caméras vidéo 3D, le système de création numérique Dell, des PC et des logiciels d’édition de vidéos. Ce studio fonctionne en tant qu’entreprise sociale, ce qui permet de financer tous les frais courants du laboratoire, y compris ceux des autres programmes.

Un an après le déploiement de chaque programme, nous travaillons auprès de nos partenaires locaux pour mettre en place une stratégie de durabilité. L’infrastructure du laboratoire et le soutien qu’apporte le secteur privé permettent à nos partenaires privés de bénéficier des synergies et des opportunités qu’offre le programme, bien au-delà des programmes traditionnels de don d’ordinateurs. De plus, la campagne médiatique et de marketing que nous menons dans chacun des pays vise à inviter davantage de partenaires à financer d’autres programmes du même type. Il nous faut en effet attirer de nouveaux partenaires et d’autres sources de financement pour pouvoir répliquer notre programme.

Les défis

Il arrive que le SLL ait des coûts élevés de logistique et de transport, selon le lieu et le contexte de sa mise en place. Il peut également être vu comme une imposition par la communauté locale, à la différence des structures en dur construites localement. La solution que nous proposons n’est pas universelle, et il convient de l’adapter en fonction du contexte et des besoins spécifiques de la population locale. L’expérience nous a appris que l’une des meilleures manières de réussir l’appropriation à niveau local consiste à en adapter le design à chaque communauté. Un studio d’architectes basé à Londres, Squire and Partners, nous apporte son soutien pour concevoir des laboratoires en fonction de leur contexte. Des artistes locaux sont également invités à rendre leur laboratoire unique. Nous avons pu observer combien cette touche artistique ajoutait à cet espace une dimension de pôle local à l’origine de nombreuses externalités positives, au-delà de la simple salle informatique, contribuant ainsi à la transformation de la communauté.

Il peut arriver que les limites en termes de place posent des difficultés. Cependant, le projet est adaptable en fonction des besoins locaux. C’est ainsi qu’au Mexique, nous avons créé le nouveau concept de doubles conteneurs qui a permis de consacrer un espace à l’apprentissage de la robotique en plus du laboratoire d’informatique.

Conclusion

Le SLL est un exemple de programme qui amène les principaux acteurs à mettre les technologies et l’éducation à la portée des communautés marginalisées dans le monde. Il a pour but de réduire les inégalités de l’accès au numérique et de promouvoir aussi bien les pratiques durables que l’utilisation des énergies renouvelables.

Notre modèle repose largement sur les dons et le soutien d’entreprises pour pouvoir offrir l’infrastructure et le programme de formation des laboratoires. Nous réutilisons les conteneurs maritimes et y ajoutons un système d’énergie renouvelable, des aspects essentiels qui contribuent à rendre notre programme unique. Les espaces que nous proposons sont innovants, sûrs, adaptés à l’apprentissage dans des lieux isolés et, si nécessaire, il est possible de les déplacer, à la différence d’une infrastructure traditionnelle en dur. Autre avantage, le processus de réglementation est généralement plus long et bureaucratique pour des constructions comme des écoles ou des salles de classe que pour le déploiement d’un laboratoire en conteneur.

L’un des principaux enseignements de notre programme, que d’autres organisations pourront trouver utile, est que lorsqu’on offre une solution innovante tout-en-un au lieu de faire don de technologies à des institutions déjà établies, non seulement on attire davantage de partenaires et de bailleurs de fonds, mais la communauté locale se sent plus impliquée et participe davantage que dans les espaces traditionnels que sont les écoles ou les centres communautaires.

Nous reconnaissons que cette solution ne peut pas être adaptée partout et pour toutes les organisations qui œuvrent pour réduire la fracture numérique. Dans certains cas, il peut s’avérer plus rentable de proposer des méthodologies d’intervention traditionnelles et de, par exemple, faire don d’ordinateurs à des écoles. Ce type d’intervention peut également toucher davantage de bénéficiaires que le SLL dont l’espace est plus limité. Nous recommandons cependant fortement de créer des programmes innovants qui améliorent l’impact au-delà de simples considérations quantitatives telles que le décompte du nombre d’ordinateurs installés ou le taux de fréquentation des étudiants et étudiantes.

Références

Statistiques de l’Union internationale des télécommunications : https://itu.foleon.com/itu/measuring-digital-development/internet-use 

Laboratoires d’apprentissage à l’énergie solaire : https://solarlearninglabs.org

Computer Aid : https://www.computeraid.org

Voir les rapports de pays dans l’Observatoire mondial de la société de l’observation 2020 pour les pays suivants :

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

 

Étude de cas - Usine de gestion des déchets informatiques : La longue et difficile mise en place d’une usine de recyclage de déchets électroniques en Argentine

Écrit par : Florencia Roveri, Nodo TAU

Projet / Programme

Planta de Gestión de Residuos Informáticos

Géographie/Région/Pays

Rosario, Argentine

Organisation 

https://tau.org.ar

Circularité

déchets électroniques, réparation et recyclage, emploi des jeunes

Vision générale

Nodo TAU est une association de la société civile fondée en 1995 par un groupe d’ingénieurs, dans le but de promouvoir l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) parmi les organisations sociales, avant tout pour résoudre la fracture numérique. Entre 2003 et 2008, Nodo TAU a procédé au développement d’un réseau de télécentres communautaires.[1] Pour équiper ces télécentres, l’association a mis en avant la réutilisation d’ordinateurs jetés, créant ainsi une "banque de machines" avec les dons reçus pour le reconditionnement.

En 2008, Nodo TAU rejoint d’autres acteurs locaux autour d’un projet de création d’une usine de gestion de déchets électroniques. L’usine entre finalement en activité en 2019, après plusieurs processus institutionnels et expériences intermédiaires. Elle vise à répondre au besoin de réduire l’impact environnemental des déchets électroniques, tout en créant des occasions d’emploi pour les jeunes au chômage.

À propos du projet

Nodo TAU mène divers projets, depuis 2003, avec des ordinateurs de seconde main donnés principalement par des particuliers et de petites entreprises. Avec le temps, la quantité d’appareils a augmenté et leur gestion est devenue compliquée pour le personnel de l’association, au point de poser problème dans la maison que Nodo TAU partageait avec d’autres organisations.

Le problème est devenu encore plus évident quand, en 2007, Nodo TAU a reçu d’une multinationale agro-industrielle un don important d’ordinateurs, dont des notebooks modernes. Ce don a permis la mise en place d’une salle numérique mobile pour mener des ateliers dans les communautés. Le don incluait cependant également un nombre important d’appareils qui n’ont pu être réparés. Face à ce problème d’accumulation d’équipements électroniques, l’organisation a entrepris d’approfondir ses connaissances sur le recyclage local et a développé des ressources lui permettant de gérer les déchets électroniques.

Poser les bases

En 2008, le secrétariat de l’Environnement et de l’Espace public de la ville de Rosario a invité Nodo TAU, dans le cadre du programme Basura Cero (Zéro déchets), à rejoindre un projet de développement d’une usine de recyclage de déchets électroniques, aux côtés de l’Institut national des technologies industrielles (INTI) et de Taller Ecologista (Atelier écologiste), une organisation environnementale de référence à l’échelle municipale.

Ce processus a débouché, en 2009, sur le développement par Nodo TAU d’un projet pilote de formation : l’association organisait des ateliers de réparation d’ordinateurs avec des jeunes de quartiers défavorisés d’un côté, et les secrétariats municipaux de l’Économie sociale et de l’Environnement prenaient en charge la collecte puis la distribution des appareils. En 2012, le projet pilote est devenu l’entreprise "Reciclados Electrónicos", également soutenue par le gouvernement municipal.

Avec l’appui d’APC, Nodo TAU a réalisé en 2016 un travail de recherche qui a permis de définir le marché local des déchets électroniques, les parties prenantes souhaitant s’investir dans le projet et les expériences de traitement des déchets électroniques, pour finalement rédiger un modèle économique pour le fonctionnement de l’usine. Ce processus a bénéficié de la collaboration de Pangea, membre d’APC basée à Barcelone, pour la mise en place d’un système de traçabilité élaboré par l’initiative eReuse.org. Pendant ce temps, le développement de l’usine prenait du retard en raison de conflits internes au sein du gouvernement municipal, pour être finalement stoppé.

Installation de l’usine : soutien de programmes gouvernementaux et importance de la législation

Le processus de création de l’usine a fait un bond en avant grâce à la collaboration avec l’organisation de base Grupo Obispo Angelelli, autour de projets orientés sur l’inclusion professionnelle des jeunes, dans le cadre du programme social provincial Nueva Oportunidad.

Cette même année, l’approbation d’une loi provinciale a permis la réglementation de la gestion des déchets électroniques, notamment de la responsabilité élargie des producteurs vis-à-vis de leurs déchets. Elle reconnaissait également le rôle des réparateurs et réparatrices informel·le·s. Nodo TAU décide alors de redynamiser le projet de l’usine et de trouver un lieu adéquat qui remplirait tous les prérequis formels pour son fonctionnement. L’usine de gestion des déchets informatiques commence finalement ses activités en 2019. Son inclusion dans le programme Nueva Oportunidad aura joué un rôle clé dans sa mise en œuvre et sa pérennité.

Dès 2020, des appareils d’une autre provenance commencent à arriver à l’usine : les netbooks du programme pédagogique national Conectar Igualdad, grâce auquel cinq millions d’ordinateurs ont été distribués entre 2010 et 2015 aux élèves des écoles secondaires publiques. Lorsque le programme avait pris fin, en 2015, de très nombreux ordinateurs non utilisés s’étaient amoncelés dans les écoles, faute d’entretien adéquat. Lorsque la pandémie de COVID-19 a obligé les écoles à fermer et que les cours sont passés sur les plateformes numériques, ces ordinateurs sont redevenus essentiels pour les élèves.

En septembre 2020, le ministère de l’Éducation de la province a signé un accord avec Nodo TAU pour la réparation et la mise à jour des ordinateurs, en coordination avec les autorités de chacune des écoles.

Apprendre des expériences régionales

Au cours de l’année 2019, Nodo TAU a été invitée par l’Organisation internationale du travail (OIT) à participer à un projet de recherche sur les déchets électroniques et l’emploi[2] dans différents pays de la région, en commençant par l’Argentine et le Pérou. Le projet pilote prévoyait de reconstruire la chaîne de valeur des déchets électroniques et d’organiser des tables rondes locales avec les parties prenantes concernées. C’était la première fois qu’un large éventail de parties prenantes intéressées se réunissaient pour discuter du traitement des déchets électroniques dans la région. Ce processus a renforcé le projet, et lui a donné davantage de visibilité.

En 2020, le travail s’est poursuivi avec l’OIT par une deuxième période consacrée à la poursuite du projet de recherche sur la gestion des déchets électroniques du point de vue de l’économie circulaire.[3] Cette enquête sera suivie par la mise en place de formations thématiques connexes dans plusieurs provinces du pays.

Défis

La durabilité et la stabilité sont les principaux défis que doit relever l’usine de gestion des déchets informatiques. Le projet dépend des programmes et politiques publiques auxquels il prend part. Le gouvernement provincial accorde notamment des bourses de formation aux jeunes, qui travaillent ensuite dans l’usine, s’assurant ainsi un revenu stable. Le faible volume d’appareils entrants a cependant affecté la stabilité du projet pendant plusieurs saisons de suite.

L’ampleur de la tâche représente également un défi, en lien avec la solidité des relations qu’entretient l’usine avec les entreprises locales, les gouvernements municipaux et autres instances publiques. Les services offerts aux entreprises, écoles et organisations sociales entrent également en ligne de compte, s’échelonnant de la réparation des appareils à leur élimination finale.

La mise sur pied de l’usine a rencontré des difficultés, notamment le mauvais état du bâtiment dans lequel elle se trouve, le processus de certification et les relations avec les régulateurs. Le manque de parties prenantes locales pour certains des processus de traitement adéquat des déchets électroniques complique également la situation.

Outre l’État, aussi bien les fabricants que les réparateurs, les petites et grandes entreprises et les chaînes commerciales ont leur part de responsabilité dans la gestion des déchets électroniques, mais le manque de conscience des responsabilités de chacun dans le traitement des déchets continue à être problématique.

Conclusion

Nous l’avons vu, une usine de déchets électroniques présente des opportunités et des défis. C’est un projet difficile à mettre sur pied et à ancrer dans la durée, et le rôle des parties prenantes – l’appui des entités gouvernementales notamment – est fondamental. La fonction sociale de l’usine et sa durabilité font également l’objet de débats, tous deux étant indispensables à son fonctionnement. Certains spécialistes ont noté que puisque cette activité n’est pas rentable, et qu’elle inclut des tâches dont personne ne veut se charger, il est important que l’usine soit considérée comme un service public, et non seulement une activité économique.

Nodo TAU centre depuis longtemps ses activités sur l’inclusion numérique des communautés locales, et travaille maintenant au traitement des déchets électroniques, dans le cadre de l’économie circulaire des appareils de TIC. Ces deux axes, l’inclusivité et l’économie circulaire, orientent le travail qu’elle réalise, selon deux directions: d’un côté l’amélioration des processus internes permettant d’augmenter l’efficacité et l’efficience des activités de recyclage pour qu’elles soient durables d’un point de vue environnemental, et de l’autre l’amélioration de l’approvisionnement en appareils reconditionnés des communautés ayant besoin d’un accès à des ordinateurs.

Références et suggestions bibliographiques

Roveri, F. (2018, 29 June). Un camino por el acceso de las comunidades. enREDando. https://www.enredando.org.ar/2018/06/29/un-camino-por-el-acceso-de-las-comunidades

Nueva Oportunidad. Provincial programme for the integral inclusion of young people. http://nuevaoportunidad.com.ar

Provincial law of WEEE management. https://www.santafe.gob.ar/boletinoficial/ver.php?seccion=2020/2020-01-28ley13.940-2020.html

Maffei, L., & Burucúa, A. (2020). Residuos de Aparatos Eléctricos y Electrónicos (RAEE) y empleo en la Argentina. ILO. https://www.ilo.org/buenosaires/publicaciones/WCMS_737650/lang--es/index.htm

Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sostenible de la Nación. (2020). Gestión integral de RAEE. Los residuos de aparatos eléctricos y electrónicos, una fuente de trabajo decente para avanzar hacia la economía circular. https://www.argentina.gob.ar/sites/default/files/manual_raee.pdf

Sur le site de l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020, consultez les rapports sur les pays suivants:

Argentine : https://giswatch.org/fr/2020-les-technologies-l-environnement-et-un-monde-durable-r-ponses-de-l-h-misph-re-sud

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigéria : https://www.giswatch.org/node/6237

Note de bas de page

[1] Roveri, F. (2018, 29 juin). Un camino por el acceso de las comunidades. enREDando. https://www.enredando.org.ar/2018/06/29/un-camino-por-el-acceso-de-las-comunidades

[2] Maffei, L., & Burucúa, A. (2020). Residuos de Aparatos Eléctricos y Electrónicos (RAEE) y empleo en la Argentina. ILO. https://www.ilo.org/buenosaires/publicaciones/WCMS_737650/lang--es/index.htm

[3] Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sostenible de la Nación. (2020). Gestión integral de RAEE. Los residuos de aparatos eléctricos y electrónicos, una fuente de trabajo decente para avanzar hacia la economía circular. https://www.argentina.gob.ar/sites/default/files/manual_raee.pdf

 

Étude de cas - Karo Sambhav : Travailler avec les fabricants pour créer un écosystème de déchets électroniques en Inde

Écrit par : Syed Kazi, Digital Empowerment Foundation

Projet / Programme

Karo Sambhav

(Rendons cela possible, en Hindi)

Région / Pays

Gurugram, Haryana, Inde

Site web

https://karosambhav.com/home

Circularité

Écosystème de gestion durable des déchets électroniques ; chaîne de valeur des déchets électroniques ; responsabilité des producteurs ; élimination adéquate ; changements comportementaux.

Résumé

Karo Sambhav est une organisation dédiée à la responsabilité des producteurs qui existe depuis 2017. Son travail consiste à collaborer avec des entreprises afin qu’elles puissent fermer leurs circuits de matériaux en concevant et en mettant en œuvre des programmes de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les déchets électroniques. Le programme indien de gestion des déchets électroniques de Karo Sambhav a été lancé en partenariat avec la Société financière internationale, qui fait partie de la Banque mondiale. L’objectif de cette collaboration était de combler les lacunes majeures du marché et de développer un écosystème responsable et pertinent localement de collecte et de recyclage des déchets électroniques, dans le but de stimuler les investissements du secteur privé dans l’industrie des déchets électroniques. Ce programme indien de gestion des déchets électroniques est axé sur la sensibilisation, le renforcement des capacités et l’échange de connaissances dans le secteur des déchets électroniques.

À propos du projet

Le programme de Karo Sambhav a débuté sous la forme d’un projet pilote en mai 2017 et il poursuit ses activités encore aujourd’hui. Il fournit des services aux producteurs et fabricants d’équipements électriques afin de les aider à respecter leurs engagements en matière de REP dans le cadre des Règles (en matière de gestion) des déchets électroniques de 2016. Le programme a également créé des canaux pour impliquer les parties prenantes tout au long de la chaîne de valeur, notamment les particuliers, les grands consommateurs, les collecteurs et collectrices de déchets et les agrégateurs de déchets. Parallèlement, Karo Sambhav travaille avec les boutiques de réparation et de vente au détail pour les aider à mettre en place des méthodes durables et légales d’élimination des déchets.

Karo Sambhav se déploie en cinq différents programmes : celui des collecteurs et collectrices de déchets, celui des agrégateurs de déchets, celui des boutiques de réparation et de vente au détail, celui des grands consommateurs, et finalement le programme éducatif Karo Sambhav qui sensibilise aux questions environnementales essentielles, notamment celle des déchets électroniques.

Parmi les principales parties prenantes du projet, on compte 17 producteurs et entreprises de fabrication de biens électroniques (comme Apple, Dell, HP, Toshiba, etc.). Karo Sambhav les a aidés à atteindre leurs objectifs de collecte. Les autres acteurs clés du programme sont les établissements scolaires, les ateliers de réparation ainsi que les travailleurs et travailleuses du secteur des déchets électroniques, notamment les personnes qui travaillent dans le secteur informel de la collecte des déchets. Le programme achète des déchets électroniques à des collecteurs et collectrices informelles afin d’améliorer leurs moyens de subsistance.

En août 2017, Karo Sambhav a lancé sa première campagne de sensibilisation, et en mars 2018, le programme avait atteint les objectifs de REP de ses membres producteurs avec succès.

Une approche durable

Le programme s’est avéré durable par son adoption d’une approche circulaire des technologies de l’information et des communications (TIC). Il a aussi démontré sa durabilité, s’avérant flexible et facilement reproduisible. Il a ainsi réussi à étendre sa présence à l’échelle nationale, contribuant ainsi à la réalisation d’une économie circulaire. À présent, le programme fournit ses services dans 29 États et trois territoires de l’Union en Inde.

Au cours de ses deux premières années d’activité, Karo Sambhav a réussi à collecter plus de 6,000 tonnes de déchets électroniques et à les rediriger vers un recyclage responsable.

Des résultats positifs

Les cinq différents programmes de Karo Sambhav ont tous donné des résultats positifs. Celui des collecteurs et collectrices de déchets a permis de "formaliser" les travailleurs et travailleuses informelles dans la chaîne de reprise, en plus d’offrir un incitatif financier à la collecte des déchets électroniques. Le programme des agrégateurs de déchets a aidé ces derniers à rendre leurs activités conformes aux Règles (en matière de gestion) des déchets électroniques de 2016. Le programme des boutiques de réparation et de vente au détail aide ces boutiques à faire partie des canaux de reprise des producteurs autorisés et à renforcer l’écosystème des déchets électroniques. Le programme destiné aux grands consommateurs offre des prix équitables pour l’acquisition de déchets électroniques. Grâce à des incitations financières et au renforcement des capacités, ces programmes ont contribué à rendre les travailleurs et travailleuses du secteur des déchets électroniques durables.

Finalement, Karo Sambhav mène son programme éducatif dans une quarantaine de villes, situées dans 29 États et deux territoires de l’Union. Il couvre ainsi tous les États de l’Inde, ce qui est remarquable. Lors de l’année scolaire 2017-2018, plus de 121 932 élèves, 2 312 enseignantes et 1 156 écoles ont participé au programme. Il est conçu pour appliquer en classe des pratiques pédagogiques contemporaines afin de développer les compétences en matière de résolution de problèmes concrets, de collaboration, de pensée critique, de créativité, de communication et de TIC. Le cursus, qui consiste en un ensemble d’activités, est présenté en classe à partir de la cinquième année. Il vise à sensibiliser les élèves aux questions environnementales essentielles, notamment celle des déchets électroniques, et à les inciter à adopter des comportements respectueux de l’environnement dans leur quotidien. Le programme est conçu pour créer un mouvement écologique dans les écoles, où le corps enseignant joue un rôle de premier plan. Travailler à partir du programme scolaire est une méthode importante pour faire évoluer les comportements. Si Karo Sambhav a choisi les écoles comme lieu de sensibilisation, c’est à cause de leur potentiel pour apporter un changement dans la pensée critique des élèves sur le long terme. Les écoles ont la capacité de créer une cohorte de jeunes qui soutiendront une approche écologiquement responsable en tant que futures leaders de nos sociétés. En leur donnant des connaissances sur la gestion des déchets électroniques, les élèves peuvent influencer leurs familles et créer un changement social.

Conclusion

Karo Sambhav doit faire face à plusieurs défis. Par exemple, un certain nombre d’acteurs, comme les producteurs et les recycleurs, ne sont pas entièrement convaincus de la mission d’une organisation dédiée à la responsabilité des producteurs.

Karo Sambhav fait face à un autre défi important : elle doit trouver un moyen d’obtenir à prix abordables les déchets électroniques des collecteurs et collectrices informelles sur le terrain, afin de les vendre aux recycleurs et de se tailler ainsi une place sur le marché des déchets électroniques. Toutefois, il faut aussi qu’elle évite de payer trop peu ces collecteurs et collectrices informelles, ce qui les pousserait à reconsidérer leur relation avec le programme et à décider de vendre directement aux recycleurs.

Malgré tout, Karo Sambhav semble atteindre son objectif de créer un meilleur écosystème, durable à tous les niveaux. Au cours de sa courte existence, le programme a collaboré avec 1,214 écoles, 1,007 ateliers de réparation, 520 grands consommateurs, 1,528 agrégateurs de déchets et 2 274 collecteurs et collectrices de déchets à travers le pays. L’objectif est de continuer de renforcer leur présence dans le pays.

Références et lectures complémentaires

Karo Sambhav. (2018). Impact Report 2017-18. https://karosambhav.com/impact-report

E-waste in India. https://karosambhav.com/e-waste-in-india

Ashoka Nordic. (2020, 29 septembre). Meet our new Ashoka Fellow Pranshu Singhal, Founder of Karo Sambhav. www.ashokanordic.org/post/meet-our-new-ashoka-fellow-pranshu-singhal-founder-of-karo-sambhav

Voir les rapports de pays de l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020 (OMSI – GISWatch en anglais) pour les pays suivants:

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

 

Étude de cas - Benelux Afro Center : Des stations relais innovantes qui intègrent les jeunes dans la gestion adéquate des déchets électroniques en RDC

Autrice : Patience Luyeye

Projet / Programme

Benelux Afro Center

Région / Pays

République démocratique du Congo

Site web

http://www.bacmd.net/atelie-recyclage.html

Circularité

Gestion adéquate de la chaîne des déchets électroniques, développement des compétences des jeunes, innovation.

Résumé

Selon plusieurs études, ce sont 26 100 tonnes d’équipements électriques et électroniques qui entrent chaque année en République démocratique du Congo (RDC), dont 16 050 tonnes devenant des déchets électroniques.[1] Une grande partie de ces déchets est jetée au dépotoir, ce qui pose une série de risques environnementaux et sanitaires. Pour aider à résoudre ce problème, le Benelux Afro Center (BAC), une ONG qui importe des caisses d’ordinateurs dans le pays à des fins éducatives, a développé un programme de gestion des déchets électroniques en 2016 pour soutenir son projet d’« ordinateurs pour les écoles » dans la ville de Kinshasa. Ce programme innovant, qui met l’accent sur la gestion adéquate des déchets électroniques, a permis de créer des emplois pour les jeunes et d’augmenter le taux de scolarisation.

À propos du projet

Benelux Afro Center (BAC), en partenariat avec WorldLoop, est une association sans but lucratif qui travaille à Kinshasa et Lubumbashi. Dans le cadre de son programme d’ordinateurs pour les écoles, le BAC reçoit des conteneurs d’ordinateurs de l’ONG Close the Gap et les redistribue aux écoles de Kinshasa. En trois ans, dix écoles ont été munies de matériel informatique, recevant entre 10 et 15 ordinateurs par classe. Cependant, le BAC a dû faire face à un problème : les ordinateurs en fin de vie étaient stockés dans des salles de classe et n’étaient pas éliminés correctement. Pour tenter de remédier à ce problème, la Fondation Roi Baudouin a souhaité créer une opportunité pour impliquer les jeunes dans un nouveau secteur de développement. Ainsi, en 2016, elle a soutenu le BAC dans la mise en place d’un programme de gestion des déchets électroniques.

Parmi les activités principales du projet, il y a la sensibilisation aux déchets électroniques au sein des communautés et des entreprises, la collecte, le tri et le recyclage des déchets électroniques et l’exportation des composants triés vers la Belgique en vue de leur recyclage.

Mise en place de stations relais

Dans le cadre du projet, des « stations relais » sont mises en place pour la collecte des déchets électroniques et pour la sensibilisation aux dangers de ces déchets. De telles stations ont été implantées à Kisantu, Mbanza Ngungu, Matadi, Boma et Muanda, toutes situées dans la province du Kongo Central, et sont gérées par des jeunes qui ont été formé·e·s à la gestion des déchets électroniques. La ville de Boma a été choisie en raison des grandes quantités de déchets électroniques qui s’accumulent dans la zone portuaire. Par la suite, la formation a aussi été déployée dans la ville de Lubumbashi.

Tous les déchets électroniques collectés dans ces différentes stations sont acheminés vers un atelier de désassemblage à Matadi, où ils sont triés et recyclés correctement. Le programme a permis de recycler 13 500 kilogrammes de déchets électroniques en 2017 et près de 141 tonnes de déchets électroniques en 2021. Chaque station relais fournit du travail à 10 jeunes, pour la plupart issu·e·s de milieux défavorisés, tandis que trois personnes sont employées de manière permanente à l’atelier de Matadi. Une dizaine d’autres travailleurs et travailleuses occasionnel·le·s les appuient.

Programme innovant

Ce qui rend ce programme innovant, c’est qu’il ne se résume pas à trier et exporter des déchets électroniques pour leur recyclage. Par exemple, les déchets métalliques sont traités par des étudiant·e·s et transformés en lits, chaises et bancs. Les déchets sont également transformés en outils de jardinage, tels que des râteaux et des bêches.

Soutien multipartite

Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de l’Environnement, de la Conservation de la nature et du Tourisme, fournit un soutien administratif au projet. Il autorise des exemptions sur l’exportation de déchets électroniques, ainsi que sur l’importation des matériaux nécessaires à l’exécution du projet. D’autres acteurs, tels que les ONG, contribuent par leur expertise dans le domaine du traitement des déchets ou de l’utilisation de machines et d’appareils nécessaires au processus de traitement.

Sous la conduite de l’ONG belge Close The Gap et de WorldLoop, partenaires de Benelux Afro Center, une vingtaine d’industriels belges ont participé au financement du projet, ce qui est venu compléter le financement de la Fondation Roi Baudouin.

Conclusion

Le programme a eu de nombreux résultats positifs. Il a permis d’accroître la collecte et le recyclage des déchets électroniques auprès des particuliers, des autorités locales, des distributeurs et opérateurs de télécommunications, des entreprises et des institutions publiques. Le projet s’est développé au-delà de Kinshasa et a permis l’exportation de déchets électroniques triés vers la Belgique pour un traitement approprié. En créant des meubles et des outils de jardinage à partir de métaux recyclés, le projet a aussi encouragé le recyclage innovant des déchets électroniques, ce qui a accru la visibilité et la continuité du projet. L’acquisition d’un broyeur a également contribué à réduire le volume des déchets plastiques et a permis la vente de plastiques durs, soutenant ainsi la durabilité du programme. Enfin, l’initiative a fait naître un cours sur la gestion durable des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), aujourd’hui intégré dans le cursus scolaire. En 2020, on a signalé une hausse de la scolarisation dans l’une des écoles offrant ce cours (à l’ITP-Nzadi de Matadi dans la province du Kongo Central); une hausse qui a été attribuée à la présence du programme.

Références et lectures complémentaires

Pour en savoir plus sur la localisation géographique des activités de recyclage, voir https://www.congovirtuel.com/page_province_kongo_central.php et https://www.caid.cd/graphics/province/4_Haut-Katanga.png 

Voir les rapports de pays de l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020 (OMSI – GISWatch en anglais) pour les pays suivants :

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

Notes de bas de page

[1] WorldLoop. (2016, 15 février). ICT e-waste collection expands to Katanga. https://worldloop.org/news/ict-e-waste-collection-expands-to-katanga

 

Étude de cas - Association des réparateurs de GSM : Formations et création d’opportunités / d’emploi pour les réparateurs de téléphones portables au Nigeria

Écrit par Y. Z. Ya'u, Centre for Information Technology and Development (CITAD)

Projet / Programme

GSM Repairers Association

Région / Pays

Nigeria

Site web

Acun

Circularité

Allonger la durée de vie utile des téléphones portables; renforcer les capacités et créer des opportunités économiques; déchets électroniques.

Résumé

Au Nigeria, alors que quatre grandes entreprises se consacrent à l’assemblage d’ordinateurs portables et de bureau, aucune entreprise ne fabrique ou n’assemble de téléphones portables.[1] Or la population a pris conscience de leur utilité au niveau économique, si bien que les prix autrefois abordables ont augmenté, et la récession économique n’a fait qu’exacerber cette tendance. Cela a notamment eu pour conséquence la hausse du secteur de la réparation, accompagnée d’un boom du marché des portables d’occasion. Ce mouvement tourné vers la réparation, qui s’inscrit dans le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC), peut être considéré comme une pépinière de l’économie circulaire dans le pays. Ce phénomène se répète à niveau national, même s’il est bien plus considérable dans les capitales d’État dont la densité de population est plus élevée. Les associations de réparateurs de téléphones portables ont donc vu le jour un peu partout dans le pays, et l’une d’entre elles, GSM Repairers Association, a une portée nationale.

À propos du projet

Au Nigeria la vente de licences dans le cadre de la dérégulation du secteur des télécommunications a permis le lancement de ses réseaux GSM dès 2001. Si le nombre de réseaux est resté stable avec quatre réseaux installés dans le pays, le nombre d’abonnées a quant à lui connu une croissance rapide, atteignant les 190 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices en 2020 selon les chiffres de la Commission nigérienne des communications (NCC), le régulateur des télécommunications.

Le pays ne fabriquant pas de téléphones portables, les utilisateurs et utilisatrices dépendent donc de l’importation d’appareils. Dès 2002, de nombreux artisans ont appris à les réparer et ont commencé à s’organiser en groupes pour se perfectionner et améliorer leurs conditions de travail.

Plusieurs associations de réparateurs de téléphones portables ont ainsi vu le jour, notamment la National Association of Mobile Phone Engineers (l’Association nationale des ingénieurs des téléphones portables) ou encore l’Association of Handset Hard and Software Repairers (l’Association des réparateurs d’appareils et de logiciels). La GSM Repairers Association (l’Association des réparateurs de GSM) est présente sur tout le territoire, avec des sections dans de nombreuses villes, notamment à Lagos, Katsina, Kano, Abuja et Yobe.

Stimuler l’expérimentation et le renforcement des capacités 

L’association a pour objectif d’offrir une plateforme qui serve les intérêts commerciaux des réparateurs de téléphones portables, et leur propose des opportunités pour enrichir leurs compétences. Ne comptant à l’origine que quelques membres à Lagos, l’association couvre aujourd’hui le pays avec plus de 80 000 membres dans tous les États de la fédération, et des sections locales dans presque tous les gouvernements locaux, au nombre de 744.

Le principal intérêt de cette initiative réside dans le fait que les associations locales servent de laboratoire pour réaliser des expériences et renforcer les capacités. Les réparateurs de GSM qui travaillaient de manière artisanale sont ainsi devenus des techniciens compétents et extrêmement bien formés, capables de travailler dans le secteur des technologies de pointe. L’association leur a par exemple permis de comprendre les principales différences techniques entre les appareils les plus couramment utilisés, et elle a aidé à la transition de nombreux réparateurs d’ordinateurs vers la réparation de téléphones, passant ainsi de la réparation mécanique au diagnostic de logiciels.

L’une des expériences menées à bien a consisté à extraire les éléments des batteries et de les utiliser pour l’éclairage des maisons ou pour faire fonctionner des appareils comme les ventilateurs. Des batteries d’appoint ont également été créées à partir d’éléments non utilisés, ainsi que des prises IC adaptables à n’importe quel téléphone.

Le plus souvent, les activités de réparation de GSM se font dans des bâtiments publics, mais il existe également des espaces de travail plus informels. Certaines personnes, surtout des femmes, réparent les téléphones à leur domicile. Même si l’on observe une évolution depuis cinq ans, avec un mouvement graduel vers le secteur industriel, ce phénomène ne s’est pas encore généralisé.

Le marché de la réparation de téléphones portables au Nigeria

Le marché du téléphone portable est devenu un volet essentiel de l’économie, du transfert des compétences techniques et de l’incubation d’entreprises. Même si le secteur informel y est largement représenté, c’est un secteur segmenté en trois niveaux.

En haut de l’échelle, quelques entreprises formelles se chargent des aspects les plus techniques de la réparation. Elles ont leur propre association, Mobile Handsets Repairers. Concentrées pour la plupart à Lagos, elles proposent également le plus souvent des appareils à vendre. De plus gros acteurs tentent également de percer ce marché, comme Cellular Services Logistics (CSL), une succursale du Centre de projets Phillips, qui a ouvert à Lagos une usine de réparation et reconditionnement pour les téléphones portables de toutes sortes.

Au milieu de l’échelle, on a les réparateurs et réparatrices qui travaillent dans les centres de réparation publics, dont les sections locales font partie de la GSM Repairers Association. Ces particuliers, sans entreprise formalisée, réalisent des réparations et vendent des appareils et accessoires d’occasion.

Au troisième niveau se trouvent les personnes qui ne sont affiliées à aucune des associations mentionnées ci-dessus. Travaillant dans des locaux en dehors des centres gouvernementaux, la plupart fonctionnent hors des capitales d’États, ou dans certains quartiers des grandes villes.

Niveaux de formation dans le secteur

De nombreux acteurs offrent des formations dans le domaine de la réparation. Tout d’abord, les formations artisanales, avec un maître qui enseigne de manière informelle à une apprentie. Certains organismes de formation, y compris des organisations de la société civile, proposent également des formations, la plupart du temps financées par des politiciens ou le gouvernement, dans le cadre de programmes pour l’emploi des jeunes. Ainsi, en 2018 et 2017, le gouvernement de l’État de Kano a engagé CITAD pour former respectivement 1000 et 500 jeunes à la réparation des téléphones portables. Après quoi, pour les aider à s’installer, le gouvernement d’État leur a fourni des kits de réparation accompagnés d’une somme d’argent destinée à la location d’un magasin.

De nombreux membres de la Mobile Handsets Association offrent des formations axées sur la vente.

La Direction nationale pour l’emploi créée en 1987 a ajouté des formations en réparation de téléphones portables à son offre de formations destinées aux jeunes, conformément à la vision du gouvernement qui s’intéresse à la réparation de téléphones portables comme une manière de promouvoir les entreprises dirigées par des jeunes. Ce soutien supplémentaire entre dans le cadre du Programme d’aide à la réinsertion sous forme de prêts.

Le gouvernement, à travers le ministère fédéral de l’Éducation, a également incorporé des formations dans le programme scolaire du secondaire. En théorie, tous les élèves peuvent choisir cette option, même si en réalité, très peu d’établissements disposent aussi bien des outils, du matériel que du personnel enseignant et technicien nécessaires pour offrir une formation adéquate qui dépasse la simple passation d’examens.

Le 13 septembre 2020, en partenariat avec le Bureau nigérian du développement et du contrôle des contenus, l’Agence nationale pour le développement des technologies de l’information a entrepris de former en ligne 1000 jeunes en réparation de GSM.

Réparation des portables les plus courants

Le système de formation de l’Association des réparateurs de GSM a obtenu des résultats importants. Le premier est qu’aujourd’hui il n’y a virtuellement plus aucune communauté sur le territoire où on ne puisse trouver des services de réparation de téléphone. Les activités menées ont contribué à la propagation des compétences et du savoir, répondant ainsi aux besoins en matière de réparation de téléphones portables. Le second est que les activités de formation ont conduit à créer plusieurs programmes de formation proposant une spécialisation en matériel informatique et en logiciels. Ces programmes de formation ont ensuite amené les grosses entreprises, puis les agences gouvernementales de TIC et de l’emploi à mettre sur pied des programmes bien développés. De plus, cette initiative a abouti à l’intégration de cours de réparation de téléphones portables dans les établissements secondaires du pays. Enfin, des multinationales ont ainsi décidé de proposer une spécialisation axée sur la gestion logistique des pièces détachées destinées à la réparation des téléphones portables, ce qui a ouvert un nouveau secteur d’activité. 

Défis

L’association a cependant dû faire face à un certain nombre de défis, qu’il est nécessaire de comprendre pour mieux pouvoir s’adapter à la promotion de l’économie circulaire. L’une des conséquences négatives de l’initiative découle des compétences qu’elle a développées. Les grandes entreprises en ont profité pour implanter davantage de succursales de réparation, ce qui va compliquer la capacité de l’initiative à absorber un grand nombre de jeunes sans emploi. Les grandes entreprises disposent en effet de davantage de ressources pour s’approvisionner en équipement et outils de meilleure qualité, et être plus productifs que des particuliers ou des coopératives. De plus, cela ralentira la vitesse de dispersion des compétences dans la société.

Il est également nécessaire de sensibiliser les membres de la GSM Repairers Association de tout le pays aux possibles dangers sanitaires et aux méthodes pour éliminer les déchets électroniques en toute sécurité. Il convient en outre de réglementer le mode de fonctionnement pour les membres de l’association : créée indépendamment du gouvernement, son cadre réglementaire est quasi inexistant en matière de gouvernance et il en va de même pour la planification de politiques susceptibles de tirer profit de l’initiative et d’encourager le mouvement national vers l’économie circulaire.

En dernier lieu, les femmes sont bien moins nombreuses que les hommes à travailler dans ce secteur. Celles qui le font travaillent le plus souvent depuis leur domicile, avec un accès limité à la clientèle et aux parts de marché. L’inclusion des femmes dans le secteur de la réparation est donc l’un des principaux défis au Nigeria. 

Conclusion

Malgré les possibilités offertes au Nigeria en matière de formation et de soutien pour la réparation des téléphones portables, la GSM Repairers Association reste essentielle. Comme on l’a vu, le pays a encore des questions importantes à résoudre. Le gouvernement doit veiller au respect de sa politique relative aux déchets électroniques, mais il doit aussi modifier sa manière de considérer le secteur, ne plus y voir une simple opportunité de création d’emploi mais bien un embryon de la construction d’une capacité nationale en matière d’économie circulaire dans le secteur des TIC. Le gouvernement devrait également offrir une meilleure protection aux réparateurs et réparatrices face aux industriels susceptibles de vouloir ralentir la croissance du mouvement de réparation et de réutilisation par la conception de leurs produits. Dans le pays, aucune voix de la société civile ne s’élève encore pour insister sur le droit à la réparation, ce qui serait pourtant essentiel pendant la transition actuelle.

pic1.pngGSM repair trainees in a classroom.

pic2.pngFront view of a GSM repair estate/market in Kano.

pic3.pngMembers of the GSM Repairers Association undergoing training.

pic4.pngThe Kano State Government distributed GSM repair kits to trained youth in the Government House.

 

Références et lectures complémentaires

Zonux : https://zinoxtechnologies.com

Beta : https://www.beta-computers.com

Omatek : https://omatek.ng

Brian Integrated Systems : https://brianintegratedsystems.com

National Directorate of Employment Vocational Skills Development Programme : https://nde.gov.ng/programs/vocational-skills-development-programme-vsd

Dans l'Observatoire mondial de la société de l'information 2020 (GISWatch en anglais), vois les rapports de pays suivants :

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

Notes de bas de page

[1] Il s'agit de Zinox (https://zinoxtechnologies.com), Beta (https://www.beta-computers.com), Omatek (https://omatek.ng) and Brian Integrated Systems (https://brianintegratedsystems.com).

 

Étude de cas - Computadores para Educar : Circularité et gestion efficace des déchets électroniques grâce à des Ordinateurs pour les écoles

Écrit par : Julián Casasbuenas, Colnodo

Projet/Programme

Computadores para Educar (CPE)

Région/Pays

Colombie

Site web

https://www.computadoresparaeducar.gov.co

Circularité

Utilisation d’ordinateurs reconditionnés et gestion efficace des déchets électroniques dans le cadre d’un programme d’ordinateurs pour les écoles.

Résumé

Dans le domaine de l’éducation, l’un des principaux défis auxquels sont confrontées les écoles défavorisées est l’accès à des technologies appropriées. En Colombie, les capacités financières des établissements d’enseignement sont limitées. Il leur est donc difficile de se procurer les ordinateurs et les logiciels nécessaires à l’enseignement et à l’apprentissage. Le gouvernement a donc décidé de mettre sur pied un programme pour pallier ce problème et pour contribuer à la bonne gestion des déchets électroniques. Le programme Computadores para Educar (CPE) collecte des ordinateurs donnés par des institutions publiques et des entreprises privées qui sont ensuite offerts à des écoles, collèges et bibliothèques publiques du pays.

À propos du programme

Computadoras para Educar est un programme public géré par le gouvernement colombien, approuvé en 1999 par le Conseil national de la politique économique et sociale (CONPES). Lancé en 2000, il est encadré par l’Agenda national pour la connectivité, dont l’objectif est d’accroître l’utilisation généralisée des technologies de l’information et des communications (TIC).

Parmi les principales institutions impliquées dans le programme CPE, on retrouve le Service national d’apprentissage (SENA), le ministère des TIC, le ministère de l’Éducation et le Centre national pour l’utilisation des déchets électroniques (CENARE). Le programme a aussi bénéficié du soutien du ministère de l’Industrie du Canada. C’est ce pays en effet qui est à l’origine des programmes SchoolNet et Ordinateurs pour les écoles (OPE), des programmes qui ont servi d’exemple pour la mise en œuvre du programme CPE en Colombie.

Les principaux objectifs du programme sont les suivants :

Au départ, le programme était prévu pour une période de 10 ans. Il a ensuite été prolongé pour une nouvelle période de 10 ans. Au cours de ces 20 années, les objectifs et les buts du programme ont été réévalués pour s’adapter aux nouvelles politiques et technologies.

Au cours de ses dix premières années d’existence, le programme CPE a reconditionné des ordinateurs usagés, donnés par des entreprises privées et le secteur public, avant de faire don de ces appareils à des établissements d’enseignement et à des bibliothèques publiques. Le SENA a également reçu des composants électroniques d’ordinateurs, qui ont été utilisés dans des classes de robotique. Le programme CPE reconnaît que l’importance des bienfaits environnementaux et les avantages sociaux pour les employés, notamment le personnel des opérations techniques.

Gestion efficace des déchets électroniques

Le CENARE était chargé de gérer les déchets électroniques générés par le programme, c’est-à-dire lorsque les ordinateurs reconditionnés et donnés aux écoles arrivaient en fin de vie. En moyenne, les équipements remis à neuf ont pu être utilisés dans les établissements scolaires pendant une durée de cinq ans. Après quoi, le CENARE récupérait et recyclait les déchets plastiques, le verre, les métaux précieux, le fer, le cuivre et les circuits électroniques qui pouvaient être utilisés dans d’autres appareils électroniques. Les matériaux potentiellement dangereux étaient triés pour être traités ou détruits de manière appropriée par des entreprises certifiées. En octobre 2020, 239 264 ordinateurs ont été collectés dans le cadre du processus "Retoma" ("reprise"), équivalant à 5 471 tonnes de matériel industriel (démonté pour pouvoir correctement en jeter ou recycler les pièces).

Changement de stratégie

Par la suite, la stratégie du programme a évolué vers l’utilisation de matériel neuf, en raison de l’exemption de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les matériels informatiques à bas prix en Colombie. Avec cette exemption, l’achat d’ordinateurs neufs était plus économique que les coûts liés au reconditionnement des ordinateurs d’occasion. Les coûts associés aux pièces de rechange, en plus de la main-d'œuvre technique et de la location d’entrepôts dans chaque ville (Bogotá, Medellín, Cali, Barranquilla et Cúcuta) où la remise à neuf était effectuée, dépassait le coût moyen d’un appareil neuf.

En mars 2020, le CONPES, dans sa politique intitulée "Technologies pour l’apprentissage" a prolongé le programme pour une période de cinq années supplémentaires, jusqu’en 2025. Parmi les raisons invoquées, on mentionne le fait qu’il reste encore beaucoup à faire dans le domaine des technologies pour l’éducation, et que le programme a généré d’importants bénéfices sociaux.

En date d’octobre 2020, le programme CPE avait réalisé un investissement d’environ 443,84 millions de dollars US et avait livré 2 436 718 appareils (ordinateurs et tablettes) aux institutions. Le système éducatif colombien a été le plus grand bénéficiaire du programme, passant d’’une moyenne de 20 élèves par ordinateur en 2010 à huit élèves par ordinateur en 2019. Le personnel enseignant, qui a été formé à l’utilisation des ordinateurs, est l’un des principaux bénéficiaires du programme. En octobre 2020, 296,642 enseignants et enseignantes du système d’éducation publique avaient été formées.

Le programme CPE a également contribué à soutenir les entreprises de gestion des déchets électroniques qui se chargent de l’élimination définitive de ces déchets.

Harmonisation avec les stratégies nationales visant la circularité

Le programme CPE a satisfait aux aspects fondamentaux de la circularité des appareils numériques, en particulier dans sa phase initiale. En plus de prolonger la durée de vie utile des ordinateurs, la gestion efficace des déchets électroniques permet de réduire en amont l’impact de l’extraction de nouveaux métaux, étant donné que ces derniers peuvent être récupérés à partir des déchets. Cela réduit l’empreinte carbone et contribue à un processus efficace d’économie circulaire.

Le programme CPE a également fourni des matières premières extraites de déchets électroniques à des industries aux États-Unis et à Taïwan et, dans une moindre mesure, à une raffinerie située au Brésil. En ce sens, on peut dire que le programme agit en conformité avec la Stratégie nationale d’économie circulaire annoncée par le gouvernement en 2019, sans en faire officiellement partie.

Conclusion

Le programme CPE a été et reste une référence en matière d’approvisionnement massif de matériel informatique destiné aux établissements d’enseignement. Il a permis de rapprocher les communautés éducatives aux technologie, intégrant la formation du personnel enseignant au processus. Le programme a créé des opportunités pour les enfants et la jeunesse colombienne, en améliorant la qualité de leur éducation, et a contribué à la durabilité environnementale par la gestion des équipements informatiques hors d’usage.

Au cours des 20 années d’existence du programme, trois études ont été réalisées pour en évaluer les impacts. La première a été réalisée par l’Université de Los Andes, une autre par le Centre national de conseil et la dernière par l’Université nationale de Colombie. Chacune avec des pourcentages différents, les trois études ont souligné dans leur conclusion l’impact positif du programme CPE sur les élèves des centres éducatifs, avec notamment une amélioration de la performance des établissements scolaires et une réduction du décrochage scolaire. Puisque les élèves ont obtenu de meilleurs résultats aux examens nationaux standardisés (Saber), leurs possibilités d’entrer sur le marché du travail ont augmenté et davantage d’étudiantes ont été motivées à poursuivre des études supérieures.

D’autre part, le programme s’inscrit dans la durabilité environnementale en s’attaquant au défi des déchets électroniques, afin que des entreprises puissent donner une nouvelle utilité aux matériaux récupérés. Cette expérience a non seulement donné d’excellents résultats grâce aux matériaux récupérés (verre, métaux ferreux, plastique, etc.), mais aussi grâce à l’impact positif sur la communauté éducative, qui n’a plus à garder de déchets dans ses locaux.

Bien que la stratégie du programme CPE ne fasse pas encore référence à la Stratégie nationale d’économie circulaire, le programme mène des activités en phase avec l’économie circulaire. De plus, il a l’énorme potentiel d’optimiser ses processus pour atteindre les objectifs de cette stratégie, notamment en ce qui concerne une meilleure gestion des flux de matières industrielles et de produits de consommation de masse qui soit axée sur des besoins sociaux et environnementaux.

Références et lectures complémentaires 

Computadores para Educar: https://www.computadoresparaeducar.gov.co et https://colombiatic.mintic.gov.co/679/w3-propertyvalue-36665.html

Consejo Nacional de Política Económica y Social. (2020). Tecnologías Para Aprender: política nacional para impulsar la innovación en las prácticas educativas a través de las tecnologías digitales. https://colaboracion.dnp.gov.co/CDT/Conpes/Econ%C3%B3micos/3988.pdf

Ministerio de Educación Nacional. (2019). Plan Estratégico de Tecnologías de la Información 2019/2022. https://www.mineducacion.gov.co/1759/articles-362792_galeria_11.pdf

Gobierno de la Republica de Colombia. (2019). Estrategia nacional de economía circular. Cierre de ciclos de materiales, innovación tecnológica, colaboración y nuevos modelos de negocio. http://www.andi.com.co/Uploads/Estrategia%20Nacional%20de%20EconA%CC%83%C2%B3mia%20Circular-2019%20Final.pdf_637176135049017259.pdf

Rapports de pays de l’Observatoire mondial de la société de l’information (OMSI – GISWatch en anglais) 2020:

Argentine : https://www.giswatch.org/node/6265

Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266

Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267

République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232

Inde : https://www.giswatch.org/node/6234

Nigeria : https://www.giswatch.org/node/6237

Notes de bas de page

[1] Consejo Nacional de Política Económica y Social. (2020). Tecnologías Para Aprender: política nacional para impulsar la innovación en las prácticas educativas a través de las tecnologías digitales. https://colaboracion.dnp.gov.co/CDT/Conpes/Econ%C3%B3micos/3988.pdf

[2] Gobierno de la Republica de Colombia. (2019). Estrategia nacional de economía circular. Cierre de ciclos de materiales, innovación tecnológica, colaboración y nuevos modelos de negocio. http://www.andi.com.co/Uploads/Estrategia%20Nacional%20de%20EconA%CC%83%C2%B3mia%20Circular-2019%20Final.pdf_637176135049017259.pdf

 

Module 10: Des droits environnementaux comme cadre de plaidoyer

Les droits environnementaux sont "centrés sur les personnes", en ce qu’ils portent sur la santé et le bien-être des personnes et des générations futures.

Circularité : l’écart se creuse

La relation spéciale que nous entretenons avec la planète requiert des actions urgentes et efficaces, et l’orientation vers une économie circulaire des appareils numériques est une part non négligeable du travail à entreprendre. Si vous lisez ceci, c’est que vous êtes une agente du changement. 

Les principales menaces existentielles auxquelles l’humanité et la planète sont confrontées sont les inégalités (manque de revenus, manque de ressources indispensables, le dénommé "seuil de pauvreté"), la pollution et la perte de biodiversité (une empreinte trop lourde sur l’environnement, ou "dépassement"). Les risques encourus sont un effondrement social et écologique. Pour l’éviter, il faudra trouver des manières pour parer et atténuer ces menaces, notamment grâce au bien social et environnemental intégré dans ce que l’on fait et dans les lois que nous adoptons pour nous gouverner nous-mêmes. 

Il y a plus d’une décennie, Elinor Ostrom écrivait dans un rapport pour la Banque mondiale :

Les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont un problème d’action collective classique, qu’il convient d’aborder sur plusieurs échelles et niveaux à la fois. [...] S’engager fortement à trouver des manières de réduire les émissions individuelles est une part non négligeable de l’adaptation à ce problème.[1]

Cela tient également à ce que nous, en tant que personnes, pouvons faire, aux circonstances et relations inégales entre les gens, au rôle de l’argent, de la propriété, du pouvoir, de l’éducation, des politiques et de la justice environnementale, ainsi que du traitement équitable et de l’implication significative de toutes les personnes, avec une distribution équitable des avantages et fardeaux environnementaux.

Avance rapide jusqu’à aujourd’hui, et les nouvelles sont mauvaises :

[En 2020], l’économie mondiale [n’était] circulaire qu’à 8,6 % – alors qu’elle l’était à 9,1 % il y a deux ans seulement. L’écart mondial de la circularité se creuse. Il y a des raisons à cette tendance négative, mais le résultat reste le même : les nouvelles ne sont pas simplement mauvaises, elles sont pires. La tendance négative globale peut s’expliquer par trois tendances reliées et sous-jacentes : les taux élevés d’extraction, la constitution constante de réserves et les faibles taux de traitement et de recyclage en fin d’utilisation. Ces tendances sont profondément ancrées dans la tradition du "prendre/faire/gaspiller" de l’économie linéaire, et les problèmes sont là pour durer. Les possibilités de combler les écarts de circularité semblent ainsi bien faibles, face à la lourde inertie de la continuité comme si de rien n’était. Nous avons désespérément besoin de solutions transformatrices et rectificatrices. Le changement n’est plus optionnel.[2]

Les droits environnementaux concernent la planète et les gens

Nous devons réorienter la société mondiale vers un avenir plus durable, en faisant de l’équité et de la pérennité environnementale nos priorités. Selon McAlpine et al., le "changement transformateur dans les valeurs de la société doit s’opérer à trois niveaux, en: (1) étant responsables et éthiques dans nos interactions avec les autres et avec notre environnement; (2) nous intégrant mieux dans nos communautés; et (3) nous reconnectant avec, et valorisant la nature”.[3]

Les valeurs telles que l’intégrité personnelle, la compassion, les communautés fortes et interconnectées, les citoyens et citoyennes généralement responsables doté·e·s d’une prise de conscience globale, et l’aide mutuelle et la coopération aident en fin de compte à limiter l’empreinte écologique humaine sur la planète.

Le respect des autres comporte plusieurs dimensions, et une approche basée sur les droits se concentre sur l’équité humaine, en veillant à mener des actions et obtenir des résultats bons et désirables, tout en évitant ceux qui sont indésirables pour tout le monde. Ces droits doivent être adoptés dans un système juridique ou garantis par le biais d’un mécanisme équivalent, tel que des codes de conduite éthiques de l’industrie. Les droits environnementaux sont « centrés sur les personnes » : ils portent sur la santé et le bien-être des personnes et des générations futures. 

Les droits environnementaux centrés sur les personnes peuvent être envisagés selon trois points de vue :

La justice environnementale et les droits humains

Il y a dans le monde des inégalités environnementales, qui se définissent comme "l’expression d’une charge environnementale qui serait supportée en premier lieu par des populations défavorisées et/ou minoritaires ou par des territoires souffrant d’une certaine pauvreté et exclusion de ces habitants."[4]

Le mouvement pour la justice environnementale porte essentiellement sur une distribution « équitable » des avantages et fardeaux environnementaux, car il semble évident que l’exposition à la pollution et autres risques environnementaux est répartie de manière inégale, notamment entre les différentes origines raciales, classes sociales et régions. En traduisant ces objectifs pour les personnes, il est alors question de droits environnementaux définis en termes de droits humains, soit « le droit à un environnement sain et à sa protection pour les générations suivantes" (p. ex. la Déclaration de Carthagène ).[5]

L’Agenda 21 et les Objectifs de développement durable

L’Agenda 21 (le "21" faisant référence au 21e siècle) est l’une des réalisations du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, Brésil, en 1992. Il s’agit d’un plan d’action non contraignant des Nations Unies sur le développement durable. L’Agenda 21 aborde le changement des modèles de consommation, la préservation et la gestion des ressources et le renforcement du rôle des "groupes majeurs", tels que les communautés autochtones, en plus de détailler diverses modalités de mise en œuvre de ces actions. Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 a réaffirmé l’Agenda 21 et rédigé les 17 Objectifs de développement durable. Plusieurs de ces objectifs incluent des principes de circularité, et plus spécifiquement l’ODD 12 sur "la consommation et la production responsables".

Les droits environnementaux et le cadre des droits humains

Les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels sont déterminants pour les droits environnementaux. Les droits économiques, sociaux et culturels visent généralement à encourager les gouvernements à poursuivre des politiques qui créent des conditions favorables pour le développement par des personnes, et parfois des groupes, de leur plein potentiel. Les droits civils et politiques sont des droits qui protègent la liberté d’une personne contre toute violation de la part de gouvernements, d’organisations sociales ou de particuliers. Puisque les inégalités environnementales résultent souvent d’intérêts conflictuels, les droits civils et politiques servent à protéger et assurer la santé et le bien-être d’une population touchée.

La Convention d’Aarhus 

L’instrument de référence en matière de justice environnementale mondiale est la Convention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (UNECE) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, plus couramment connue sous le nom de Convention d’Aarhus, entrée en vigueur en 2001. Elle promeut un engagement réel du public dans les processus décisionnels environnementaux, et définit les procédures de sa mise en œuvre par les autorités publiques. La Convention d’Aarhus suit une approche basée sur les droits: le public, des générations actuelles et comme de celles à venir, a le droit de savoir et de vivre dans un environnement sain.

La Charte des droits de l’homme et des principes pour l’Internet 

La Coalition dynamique sur les Droits et les Principes de l’Internet du Forum des Nations Unies sur la Gouvernance de l’Internet a préparé une Charte des droits de l’homme et des principes pour l’internet qui définit un droit au développement par l’internet avec deux clauses :

 

4a) Réduction de la pauvreté et développement humain : Les technologies de l’information et de la communication doivent être conçues, développées et mises en œuvre pour contribuer au développement humain durable et à l’autonomisation.

4b) Durabilité environnementale : L’internet doit être utilisé de manière durable.

La Constitution du Brésil 

Il existe, au niveau national, de nombreux exemples de dispositions protégeant l’environnement. Un tel exemple est celui de la Constitution du Brésil. Son article 225 prévoit "le droit à un environnement écologiquement équilibré" et établit en son alinéa 1 qu’afin de veiller à la réalisation de ce droit, il incombe au gouvernement de "contrôler la production, la commercialisation et l’emploi de techniques, de méthodes ou de substances qui comportent un risque pour la vie, la qualité de la vie et de l’environnement" et de  "promouvoir l’éducation environnementale à tous les niveaux d’enseignement et la prise de conscience du public en ce qui concerne la préservation de l’environnement", entre autres mesures. L’alinéa 4, quant à lui, avance que :

 

La forêt amazonienne brésilienne, la forêt Atlantique, la Serra do Mar, le Pantanal du Mato Grosso et la zone côtière, constituent un patrimoine national; leur utilisation se fait dans les conditions prévues par la loi et dans des conditions garantissant la préservation de l’environnement y compris en ce qui concerne l’usage des ressources naturelles.

Le droit d’accès à l’information, la participation du public et la justice en matière d’environnement

La Convention de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (UNECE) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, connue sous le nom de Convention d’Aarhus, a été adoptée le 25 juin 1998 dans la ville danoise d’Aarhus. Elle est entrée en vigueur le 30 octobre 2001.

Elle établit un certain nombre de droits pour le public (tant les particuliers que leurs associations) en matière d’environnement. Les parties à la Convention doivent prendre des mesures adéquates afin que les autorités publiques (au niveau national, régional et local) contribuent à la concrétisation de ces droits. 

Les trois piliers de cette Convention sont :

Tout comme la Convention d’Aarhus en Europe, l’Accord régional sur l’accès à l’information, la participation publique et l’accès à la justice à propos des questions environnementales en Amérique latine et dans les Caraïbes, également connue sous le nom d’Accord d’Escazú, a été adopté deux décennies plus tard par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). Elle représente un engagement des signataires à promouvoir l’accès à l’information, la participation du public et l’accès aux recours judiciaires dans leurs politiques respectives sur l’environnement.

Selon le Secrétaire général de l’ONU António Guterres, qui a rédigé l’Avant-propos de cet Accord, "[c]e traité vise avant tout à combattre l’inégalité et la discrimination et à garantir le droit de toute personne à un environnement sain et à un développement durable". Il ajouta que le traité procédait « en portant une attention particulière aux individus et aux groupes vulnérables et en plaçant l’égalité au cœur du développement durable.”[6]

De son côté, la Secrétaire exécutive Alicia Bárcena insistait, dans la Préface, sur le fait que: "Cet accord régional fait figure de pionnier dans le domaine de la protection de l’environnement, mais il constitue également un traité sur les droits de l’homme.”[7] Et elle poursuit ainsi :

"Il a pour but de garantir le droit de tous les individus de disposer d’un accès à l’information en temps opportun et de manière appropriée, de participer de manière significative aux décisions qui concernent leur vie et leur environnement, et d’avoir accès à la justice lorsque ces droits ont été bafoués. Le traité reconnaît les droits de toutes les personnes, prévoit des mesures pour faciliter leur exercice et, plus important encore, établit des mécanismes pour les mettre en œuvre."[8]

Le texte de l’Accord insiste sur le fait que "l’information environnementale" inclut "celle liée aux risques environnementaux et aux possibles impacts adverses associés qui touchent ou peuvent toucher l’environnement et la santé.”[9]

La justice environnementale dans le cadre de l’économie circulaire

La justice environnementale concerne plusieurs parties prenantes de l’économie circulaire des appareils numériques, chacune à un niveau distinct du processus circulaire.

L’économie circulaire est une déclaration d’interdépendance; mon ordinateur ou téléphone n’est pas qu’à moi, il est à nous, et ce pour deux raisons; tout d’abord une autre personne a pu s’en servir avant moi, ou une autre le fera après moi, et il dépend de la nature et a une influence sur elle.

Selon la Charte des droits de l’homme et des principes pour l’Internet élaborée par la Coalition dynamique sur les Droits et les Principes de l’Internet du forum des Nations Unies sur la Gouvernance de l’Internet, les appareils numériques doivent être conçus, élaborés et utilisés d’une manière qui contribue "au développement humain durable et à l’autonomisation" (conformément à la clause 4a) et "l’Internet doit être utilisé de manière durable" (clause 4b).

La Convention d’Aarhus propose des procédures d’accès à l’information environnementale ce qui, en ce qui concerne les appareils numériques, implique des informations sur les matériaux, la conception, l’utilisation, l’entretien, les réparations, les pièces détachées et les manières de les démonter et les recycler. Ceci peut être élargi afin d’inclure les spécifications, la programmation, les micrologiciels et les logiciels qui permettent leur entretien et une utilisation prolongée. Dans le cas où les fabricants arrêtent la maintenance des appareils, ces informations permettent à des tiers de continuer à l’assurer. 

Les informations sur les matières premières, dont leurs potentiels effets négatifs, et particulièrement pour les communautés marginalisées et autochtones, méritent une attention particulière. En outre, elles engagent la responsabilité environnementale des fabricants d’appareils, qui doivent superviser et rapporter les implications sociales et environnementales de leur chaîne d’approvisionnement. Les fabricants doivent également fournir des informations sur leur responsabilité élargie en matière de « chaîne d’approvisionnement inverse », dès lors que les appareils ne sont plus utilisés et doivent être recyclés et leurs matériaux récupérés. L’accès à cette information est central à l’idée des "fiches d’information produit", également dénommées "passeport numérique des produits”,[10]et à la production de données vérifiables et publiques sur les appareils et leur durée de vie. L’étude de cas sur eReuse au Module 1 indique comment les séries de données ouvertes[11] aident les citoyennes et les organisations à contribuer au processus décisionnel et peuvent participer de la décision d’achat, en fonction de réelles statistiques sur la durabilité, la réparabilité et la recyclabilité.

La Convention d’Aarhus offre également des procédures permettant une participation du public aux processus décisionnels. Les citoyennes doivent être informées et autorisées à participer aux processus décisionnels et législatifs concernant les lois et recommandations en lien avec les principaux processus circulaires. Ces derniers incluent l’écoconception, qui a trait à la durabilité et la réparabilité, les commandes publiques "vertes", la taxation de la réparation et de la réutilisation, les règles relatives à la dépréciation des biens matériels, le recyclage et le traitement des déchets électroniques, ainsi que les droits des consommateurtrices et les droits du travail dans le secteur de l’électronique. 

Enfin, la Convention d’Aarhus offre des procédures d’accès à la justice, pour les citoyennes et pour les ONG, dès lors qu’une partie enfreint ou manque de respecter une loi environnementale et les principes de la Convention sur l’accès à l’information environnementale ou la participation du public.

L’accès universel aux appareils numériques se traduit en droits centrés sur les personnes, tels que le droit à la réparation,[12] le droit de savoir,[13] le droit de transfert (vendre ou donner pour une réutilisation) et le droit de disposer d’un appareil utilisateur afin de pouvoir prendre part à la société ou à l’éducation par un biais numérique. Et évidemment, tous ces droits sont accompagnés de responsabilités : environnementales pour minimiser la refabrication et les déchets électroniques, et socioéconomiques pour veiller à ce que notre usage facilite l’accès universel aux appareils pour tout le monde.

La nature en tant que bien commun

La nature est un système de ressources indispensable limité, qui a une influence sur tout le monde, et qui nous appartient à toutes et tous. On peut aussi dire que la nature est un "bien commun mondial". Ceci signifie que nous devons collectivement la gérer et la limiter en tant que bien commun, afin de la préserver en tant que ressource indispensable à la vie comme nous la connaissons. Considérer la nature comme un bien commun signifie également que nous pouvons penser aux ressources naturelles comme des biens ou services publics mondiaux. 

Les biens publics sont censés profiter à tout le monde. Les biens publics ne sont "pas rivaux", ce qui signifie que leur utilisation par une personne ne doit pas en empêcher l’utilisation par une autre, mais ceci n’est qu’un idéal. Nous vivons déjà au-delà des limites environnementales, et certaines utilisations sont peut-être en rivalité avec d’autres. Ainsi, afin que tout le monde ait le droit à la nature et à ses bénéfices en tant que biens ou services publics mondiaux, la nature doit être gérée et gouvernée en tant que bien commun, avec des règles et des limites visant à éviter toute mauvaise utilisation, et pour en maximiser les avantages et services au sein des limites environnementales.

Ceci permettrait aux parties et aux ONG de questionner des développements destructeurs de l’environnement ou non durables, sur la base de l’intérêt public. Les préoccupations environnementales jouiraient de plus de poids dans la concurrence avec les autres droits.

Picture1.png
Figure 15 Le cadre des droits environnementaux : individuels, collectifs et centrés sur la planète

La Figure 15 illustre le cadre complet des droits environnementaux. Ces derniers définissent et réglementent la relation entre les personnes et la planète grâce à plusieurs instruments, et sont mus par une série de principes visant à nous éviter de vivre au-delà des limites sociales et planétaires. 

Les priorités de justice environnementale d’APC

APC a identifié quatre priorités transversales en matière de justice environnementale : 

Notes au bas de page

[1] Ostrom, E. (2009). A Polycentric Approach for Coping with Climate Change. World Bank Policy Research Working Paper No. 5095. https://ssrn.com/abstract=1494833

[2] Circular Economy. (2020). The Circularity Gap Report 2020. https://www.circularity-gap.world/2020

[3] McAlpine, C. A., Seabrook, L. M., Ryan, J. G., Feeney, B. J., Ripple, W. J., Ehrlich, A. H., & Ehrlich, P. R. (2015). Transformational change: creating a safe operating space for humanity. Ecology and Society, 20(1). http://www.jstor.org/stable/26269773

[4] Gobert, J. (2019, 2 juillet). Environmental inequalities. Encyclopedia of the Environment. https://www.encyclopedie-environnement.org/en/society/environmental-inequalities

[5] Friends of the Earth International. (2003, 24 septembre). The Cartagena Declaration. https://www.foei.org/news/the-cartagena-declaration  

[6] Economic Commission for Latin America and the Caribbean. (2018). Regional Agreement on Access to Information, Public Participation and Justice in Environmental Matters in Latin America and the Caribbean. https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/43583/1/S1800428_en.pdf

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] European Commission. (2021, 11 mai). EU countries commit to leading the green digital transformation. https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/news/eu-countries-commit-leading-green-digital-transformation

[11] Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). eReuse datasets, 2013-10-08 to 2019-06-03 with 8458 observations of desktop and laptop computers with up to 192 features each. https://dsg.ac.upc.edu/ereuse-dataset

[12] Voir également : https://www.repair.org

[13] Par exemple, le droit de connaître les détails des appareils, tels que la durabilité, avant l’achat, ainsi que l’accès aux manuels d’entretien, aux matériaux et aux fiches de données permettant de les démonter, de les recycler, etc.

Module 11 : Défis et pistes vers des solutions politiques : sensibilisation, extraction, conception, fabrication et approvisionnement

Si l’extraction formelle et informelle ont toutes deux désespérément besoin de réglementation, les secteurs de la conception et de la fabrication d’appareils doivent veiller à ce que les matériaux obtenus et utilisés respectent les droits environnementaux, du travail et des personnes. Les acheteurs publics, quant à eux, ont la possibilité de s’appuyer sur leur pouvoir économique pour inciter le secteur technologique à s’améliorer. 

Objectifs, responsabilités et procédures

Les analyses de haut niveau des mesures politiques incluses dans ce module et dans le Module 12 ont été réalisées selon le prisme de la "durabilité" et de la "circularité". Procéder à une évaluation approfondie des mécanismes de politiques et réglementations existants, nécessaires ou recommandés serait irréalisable. Les politiques et réglementations dépendent de conditions et d’enjeux à niveau local, qui peuvent varier selon le pays ou la région. Les grands objectifs de la durabilité définis à niveau international doivent être traduisibles et adaptables aux façons de faire locales, par le biais de subventions et d’aides locales qui contribuent à garantir l’efficacité de l’action collective en faveur d’une réduction des impacts environnementaux et sociaux.[1] Les suggestions de mesures politiques doivent être vérifiées et soigneusement transposées aux conditions locales, car certains effets en sont imprévisibles. 

De manière générale, il convient de définir clairement les éléments des législations et réglementations suivants :

C’est en ces termes que nous aborderons les différents défis et les pistes vers des solutions politiques.

Sensibilisation du public

Les buts et cibles

La transition d’une économique linéaire vers une économie circulaire peut contribuer à garantir que l’humanité parvienne à des objectifs sociaux communs, tout en demeurant dans les limites écologiques, conformément aux cibles définies dans les Objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU, illustrées dans "le diagramme en forme de beignet" de "l’espace viable pour l’humanité"[2]décrit au Module 2.

Les responsabilités

Les institutions publiques, locales comme mondiales, sont responsables de la sensibilisation individuelle et collective à cette transition. Il leur incombe en effet de veiller à ce que cela se déroule au rythme adéquat, en aidant les citoyennes et les organisations à définir leurs engagements – en soutenant notamment les efforts nécessaires à leur mise en œuvre – et en les informant des résultats de ces actions collectives.

Les procédures

Les programmes d’éducation publique peuvent aider les citoyennes à prendre conscience des avantages à la fois environnementaux et sociaux des modèles circulaires, de l’irréalisme du modèle linéaire "prendre/faire/gaspiller" et des droits et possibilités que leur offrent les modèles commerciaux circulaires. Ces programmes peuvent adopter des stratégies de communication communautaires et le langage utilisé par les jeunes pour que les citoyennes se sentent partie intégrante de la solution (voir p. ex. le travail de la coopérative sociale INSIEME à Vicence, en Italie).[3]

Il est indispensable d’assurer la transparence et la redevabilité des gouvernements et des agences de réglementation à propos de l’impact environnemental des appareils numériques. Les agences publiques doivent respecter les droits des citoyennes de connaître l’impact environnemental et la responsabilité sociale des appareils en fin d’utilisation. Ceci inclut les informations portant sur ce que font les acheteureuses avec leurs appareils, et ce que font les fabricants et recycleurs avec les appareils collectés pour le recyclage. Le besoin de rapports exhaustifs sur la mesure dans laquelle les systèmes intégrés de gestion des déchets sont mis en place est réel. La publication de données sur les appareils numériques est indispensable pour comprendre, rendre compte de, contrôler ou vérifier leur circularité. 

La recherche en économie circulaire et la création de bases de données publiques sur la durabilité, la réparabilité, la réutilisabilité et la recyclabilité des appareils numériques peuvent contribuer à accélérer l’adoption et l’optimisation des avantages de pratiques et modèles circulaires. Il est indispensable de pouvoir disposer de données ouvertes sur la redevabilité, réaliser des audits sur la durabilité et les impacts environnementaux des appareils et mettre en place des mécanismes semblables aux "passeports produits" de l’UE.[4]Les données ouvertes relatives à la durabilité réelle des appareils aideront les consommateurs·rice·s à prendre des décisions éclairées et les encourageront à acheter des appareils plus durables.[5]

La sensibilisation du public peut favoriser l’instauration de nouvelles réglementations qui imposent aux fabricants d’inclure des détails sur leurs produits, tels que ceux indiqués à la Figure 16.

Picture1.png

Figure 16 : Exemple d’étiquette d’informations d’une ampoule LED, incluant la durabilité escomptée et les détails relatifs à la consommation. Des étiquettes semblables sur des appareils numériques pourraient aider les consommateur·rice·s à choisir en ayant conscience de la circularité.

L’extraction et l’obtention de matières premières

Les buts et cibles

Dans un modèle circulaire, l’acquisition de matières premières nécessite de limiter la quantité et l’impact des matières premières extraites du sol et de maximiser l’utilisation de matières premières secondaires, telles que les ressources récupérées du recyclage d’anciens appareils. Dans la situation actuelle, l’extraction est trop éloignée de l’économie "propre", que ce soit vis-à-vis des personnes ou de la planète.

L’une des principales difficultés est que l’extraction informelle est souvent "illégale", elle a des conséquences désastreuses sur les personnes, les communautés locales et leur territoire, elle est associée à des conflits armés et entraîne des violations des droits humains et la dégradation de la nature. Le recyclage informel de déchets électroniques peut ainsi provoquer des contrôles quasi mafieux des recycleurs informels, des enfreintes aux droits humains et l’exposition des recycleurs aux substances toxiques présentes dans les déchets électroniques. 

Mettre fin à de mauvaises pratiques industrielles et à une extraction et un recyclage informels néfastes nécessite à la fois une réglementation externe et une auto-réglementation. 

Les responsabilités

Les gouvernements sont responsables de superviser et de circonscrire les opérations des entreprises d’extraction, ainsi que les lieux où elles travaillent, et sont notamment tenus de surveiller l’impact potentiel de leurs activités sur les communautés locales. Le traitement adéquat des déchets de l’extraction qui pollue souvent les ressources naturelles est une composante essentielle de cette réglementation. Les entreprises internationales doivent être contraintes de respecter les lois relatives aux violations des droits humains qui pourraient survenir dans le cadre de leurs opérations d’extraction. 

Les gouvernements ont également la responsabilité d’adopter des lois qui interdisent les activités d’extraction non réglementées et/ou inhumaines, et de répondre aux besoins socio-économiques des communautés qui pourraient tirer un avantage de l’extraction illégale. Les violations des droits humains qui ont lieu dans le cadre de l’extraction artisanale, et notamment les violences basées sur le genre et la violation des droits des enfants, doivent faire l’objet d’une attention immédiate et être éradiquées. 

Les gouvernements et les entreprises sont responsables d’intégrer le recyclage informel des déchets électroniques dans la chaîne de valeur du recyclage, de manière à la fois sûre et responsable. 

Les procédures

Seuls la transparence, la redevabilité et des audits détaillés soumis au contrôle du public et faisant l’objet de fortes pressions de la part de l’ensemble des parties prenantes de l’économie circulaire peuvent contribuer à limiter et supprimer de mauvaises pratiques d’extraction et de recyclage. 

Nous devons trouver des manières de démontrer aux sociétés d’extraction que l’adaptation de leurs plans de développement au concept de l’économie circulaire peut constituer une réduction de leurs coûts, mais également une augmentation de leur compétitivité. Si l’extraction artisanale est principalement une activité de subsistance qui entraîne des conditions de vie et de travail misérables sans alternative viable, les grandes entreprises extraction peuvent, elles, en théorie, être plus redevables. Elles ont en effet accès à des experts, des indicateurs et aux capacités notamment techniques avec lesquels opérer des changements. Il est probable que la seule manière d’obtenir de réels changements soit par le biais des pressions exercées par les marchés (la demande en aval des investisseurs ou des fabricants et indirectement, des consommateur·rice·s qui réclament que leurs produits numériques contiennent des matériaux certifiés) et par les gouvernements (avec des politiques et réglementations, bien que la corruption institutionnelle – endémique dans le secteur de l’extraction – aille à l’encontre de cela).

Atténuer les émissions n’est pas la même chose que les compenser. Les politiques publiques doivent promouvoir l’atténuation (soit l’amélioration des processus) pour compenser les coûts supplémentaires de l’inaction qui permet à des entreprises de continuer à polluer en échange du versement de sommes ridicules.

L’augmentation des matières premières secondaires contribue à la circularité. Ces matières sont des déchets de processus industriels ou obtenues d’appareils en fin de vie grâce à l’extraction urbaine. Il pourrait être nécessaire, pour encourager cela, que les gouvernements imposent aux concepteurs et aux fabricants de nouveaux produits des quotas obligatoires de proportions de matériaux recyclés dans leurs nouveaux produits, des taxes sur la consommation de matériaux, et la traçabilité et la responsabilité quant aux sources des matériaux utilisés dans la production (tant en termes d’impact sur l’environnement que sur les travailleureuses). 

Le recyclage informel des déchets électroniques doit faire l’objet de nouvelles recherches pour être mieux compris et inclus dans la chaîne de recyclage des déchets électroniques, de manière à la fois responsable et respectueuse de l’environnement. Ceci pourra nécessiter de la pédagogie et de la formation, ou d’autres formes de développement des capacités et des infrastructures, notamment la fourniture d’équipements de protection et la mise en place d’espaces de travail sans danger.

La conception

Les buts et cibles

La circularité requiert des appareils durables. Il faut donc que les appareils numériques soient conçus pour durer plus longtemps et être mieux réparables et réutilisables.

Les responsabilités

Les gouvernements sont responsables de réglementer la conception des appareils achetés et vendus sur leurs marchés. Les marques et les fabricants assument la responsabilité corporative de prévenir les impacts négatifs des appareils fabriqués par le biais d’une conception circulaire, en ayant à l’esprit l’efficacité énergétique, la réparabilité, la durabilité, l’évolutivité, la réutilisabilité et le démontage.

Les procédures

De nombreux pays ont introduit des lois qui réglementent et facilitent non seulement le démontage et le recyclage des appareils électroniques (ou le traitement des déchets électroniques), mais également, plus récemment, le soutien à la réparation et la réutilisation d’appareils numériques. La France, par exemple, a introduit un indice de réparabilité des produits électroniques qui permet aux acheteurs de prendre des décisions éclairées.[6]

Les principes directeurs relatifs à la conception qui reposent sur les principes de l’économie circulaire (voir, par exemple, les communications de la Commission européenne COM033-2017[7] COM614-2015[8]et COM773-2016)[9]peuvent être classés en groupes de principes directeurs pour une conception circulaire[10]:

1. Prolonger la durée de vie : Ce groupe inclut les principes directeurs en lien avec l’allongement de la durée de vie et la durabilité des produits. Ceux-ci recommandent d’adapter leur conception et d’étudier la possibilité d’évoluer vers de nouvelles versions ou de concevoir des produits intemporels qui garantissent que les produits sont utilisables aussi longtemps que possible.

2. Désassemblage : Ce groupe inclut les principes directeurs en lien avec la structure du produit et l’accès à ses composants, en distinguant :

3. Réutilisation des produits: Ce groupe inclut les principes directeurs qui permettent la réutilisation totale du produit grâce à des tâches de maintenance et de nettoyage aisées, et la réutilisation de ses composants.

4. Réutilisation des composants: Ce groupe inclut les principes directeurs qui recommandent de faciliter la réutilisation des composants ou pièces du produit grâce à la standardisation des composants, la réduction des différentes pièces, etc.

5. Recyclage de matériaux: Ce groupe inclut les principes directeurs qui facilitent l’identification, la séparation et le recyclage des matériaux.

Le secteur de la standardisation de l’Union internationale des communications (UITT) de l’ONU a élaboré une recommandation pour une méthode d’évaluation de la notation circulaire[11]

inspirée de ces principes directeurs qui permet de calculer le score de circularité d’un produit des technologies de l’information et de la communication (TIC). Plusieurs fabricants et gouvernements ont validé la recommandation.

 

Right to Repair est une campagne en Europe (et d’autres régions) qui met l’accent sur le droit à entretenir et modifier les appareils. Celui-ci implique une bonne conception (fonctionner, durer, être réparé, en lien avec l’écoconception) ; aider les consommateur·rice·s à faire un choix éclairé (les fabricants indiquent le niveau de réparabilité à l’aide d’un système de notation, voire d’une étiquette énergétique et des informations sur l’obsolescence et la durabilité, par exemple) ; et un accès équitable à la réparation (instructions de réparation et accès équitable aux pièces détachées). La Repair Association aux États-Unis (repair.org) poursuit des objectifs similaires à ceux de la campagne européenne du Right to Repair (repair.eu).

Une bonne politique de circularité de la part des propriétaires des marques implique d’assurer la maintenance et la fourniture des pièces détachées aussi longtemps que le produit peut être utilisé, ou de rendre les informations sur la conception du matériel et des logiciels d’un produit gracieusement disponibles au public. Cela inclut les informations sur les puces et la disposition de la carte de circuit imprimé, l’accès aux schémas mécaniques, les schémas et listes de matériaux, et les informations relatives au logiciel qui fait fonctionner le matériel. La communauté des utilisateurices désirant prolonger la durée de vie d’un produit pourrait ainsi prendre le relais, tandis que la communauté technique serait à même d’analyser, commenter et contribuer aux améliorations de la conception, et de faciliter la maintenance, la réparation et les mises à jour. 

La fabrication

Les buts et cibles

Le processus de fabrication implique les fournisseurs de composants et de pièces détachées, les fabricants d’équipements d’origine (OEM), l’assemblage et la distribution. Plusieurs types d’entreprises sont impliquées dans le processus de fabrication: celui-ci va de la fabrication des petits composants, puces, cartes de circuit imprimé et autres pièces, telles que les batteries et les écrans d’affichage, à l’assemblage des appareils, ainsi que l’emballage et le transport tout au long de la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux distributeurs et aux vendeurs.

Les responsabilités

Les gouvernements sont responsables de réglementer le secteur de la fabrication afin de garantir des conditions de travail décentes, l’absence de substances dangereuses dans la fabrication, la consommation minimale d’eau, d’électricité et autres ressources dans le processus de fabrication, et l’absence de pollution environnementale pendant le processus de fabrication. Les fabricants sont responsables de prendre en compte ces réglementations et de surveiller la chaîne d’approvisionnement pour garantir le respect des standards de qualité, et notamment les standards relatifs aux conditions de travail et à l’environnement. 

Les fabricants sont également responsables de fournir des pièces détachées pendant des périodes plus longues afin de maximiser la durabilité de leurs appareils, et de permettre l’entretien des logiciels, notamment des mises à jour de sécurité, même lorsque leur propre période de maintenance active est terminée. Les marques sont responsables de garantir le recyclage et la récupération des ressources dès lors qu’un appareil n’est plus utilisé.

Les procédures

Les marques commerciales sont sensibles aux forces du marché et à la perception du public, si bien que les actions de pression et de plaidoyer en faveur de la responsabilité de la chaîne d’approvisionnement peuvent constituer des revendications indirectes auprès des entreprises de fabrication technologique. De nombreux processus en sont concernés, allant de l’acquisition des matières premières à la fabrication, à l’emballage et au transport, ainsi qu’au recyclage et à une réutilisation adéquate des matériaux.

L’augmentation de la demande en aval d’informations sur les produits et d’une responsabilité des producteurs doit être favorisée grâce à un renforcement de l’expertise des parties prenantes au sein de l’écosystème de la réutilisation et du recyclage. Ceci a pu être fait en Finlande, notamment.[12]

Il est essentiel de disposer d’informations sur la composition chimique et matérielle des produits afin de protéger la santé de toutes les personnes qui travaillent avec ces appareils. Une taxe sur les produits chimiques utilisés visant à tenir les producteurs financièrement responsables ouvrirait une voie franche vers le financement du contrôle et de la réglementation des produits chimiques et des déchets toxiques. C’est là une des revendications du Centre pour la loi environnementale internationale (CIEL) et du Réseau international pour l’élimination des polluants (IPEN).[13]

L’importation d’appareils est de la responsabilité des agences douanières, qui peuvent inclure un critère de circularité relatif aux importations, de même que des taxes visant à stimuler la circularité ou à compenser les effets négatifs des appareils numériques dans le pays de destination. Le respect des standards relatifs à l’environnement et au travail, la responsabilité élargie des producteurs, l’approbation de certains types d’appareils seulement, les évaluations obligatoires des impacts et la traçabilité obligatoire des appareils sont quelques exemples de mesures et d’exigences de réglementation transfrontalière.

Les classements mondiaux et régionaux de la recyclabilité, la durabilité et la réparabilité, ainsi que des méthodes standardisées d’évaluation peuvent contribuer à mettre ces réglementations en place. Il devrait être envisagé d’empêcher l’exportation d’appareils numériques, nouveaux ou usagés, vers des pays sans réglementation minimale relative aux déchets électroniques.

Acquisition et approvisionnement
Les buts et cibles

L’acquisition d’appareils est essentielle pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Les décisions en la matière doivent être prises non seulement en termes de performances et de limites des coûts, mais également en ayant conscience des effets et des limites sociales, économiques et environnementales dans la chaîne d’approvisionnement. En achetant un appareil numérique, nous approuvons de manière implicite les décisions de la chaîne d’approvisionnement, et les soutenons.

Les responsabilités

L’acquisition implique des décisions dans lesquelles le choix donne aux acheteureuses la possibilité de réclamer des informations et le respect d’exigences en matière de travail et de qualité environnementale, ainsi que de promouvoir des comportements vertueux au sein de la chaîne d’approvisionnement.

Les procédures

L’approvisionnement doit être guidé par le principe de l’équilibre entre "la bonne chose" et "la bonne manière". La bonne chose est d’obtenir le meilleur rapport quallité-prix lors de l’achat d’un appareil numérique, alors que la bonne manière consiste à le faire sans impact négatif sur les communautés, les travailleureuses ou l’environnement. 

Des commandes publiques responsables garantissent le droit d’accès à des appareils dont une administration publique ne veut plus, et qui avaient été achetés avec de l’argent public. Ces appareils ne peuvent pas être recyclés de manière prématurée ni donnés à des fabricants pour éviter la réutilisation. Ceci peut être mis en place sous la forme de clauses dans les contrats de commandes publiques et d’accords de cession automatique vers des circuits de réutilisation à but non lucratif dès la fin de l’utilisation. Les recommandations de la Commission européenne relatives aux commandes publiques en faveur d’une économie circulaire sont une initiative en ce sens.[14]

Le conseil municipal de Barcelone est un bon exemple d’institution ayant collaboré avec des circuits de réutilisation : la contribution du conseil ne consiste, en effet, pas uniquement à donner des appareils qui ne servent plus, mais bien également à promouvoir la demande en recourant à des commandes publiques durables.[15]La première étape pour les pays ou régions qui souhaitent développer des processus de commandes publiques socialement responsables est de tenter de créer des "groupements d’achat", connus plus officiellement sous le nom de consortiums d’approvisionnement.[16]

En regroupant les achats, la mise en place de consortiums d’approvisionnement permet d’acquérir le pouvoir nécessaire pour exiger des fournisseurs le respect des droits du travail et de l’environnement lors des processus de fabrication. 

Les exigences des acheteurs publics et des consortiums d’approvisionnement peuvent entraîner des répercussions positives pour le consommateur ordinaire, car les changements opérés au niveau des processus de fabrication s’appliqueront également aux produits de détail. 

Il pourrait être nécessaire de définir de nouveaux critères pour les processus d’audit des pratiques des acheteurs publics afin de veiller à ce que les commandes publiques respectent une série de standards en matière d’environnement et de droits humains lors des décisions d’achat. 

Des commandes publiques responsables peuvent être associées à des pratiques d’investissement durable de la part d’investisseurs publics (par exemple des fonds de pension), pour avoir plus de poids au moment de passer des contrats avec le secteur de la fabrication. 

Les taxes publiques devraient être incitatives pour l’économie circulaire. Les incitations fiscales pour des options telles que la rente, la location-achat, le crédit-bail et le paiement à l’utilisation, au lieu de l’achat, devraient être explorées.

La taxation peut également entraîner des conséquences environnementales négatives. En voici quelques exemples :

La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) favorise l’achat : Dans une économie linéaire, la valeur totale d’un produit est payée à l’achat alors que dans des modèles circulaires, les recettes sont obtenues sur une plus longue durée. Selon une étude sur les mesures politiques nécessaires à la promotion de modèles circulaires de revenus:

Dans le cadre du régime fiscal actuel [...], les producteurs ayant des relations de location-achat avec les clients doivent toujours payer la TVA sur l’ensemble des revenus attendus pendant la période de location, car une location-achat est considérée comme la fourniture différée d’un bien

Dans le cadre du régime fiscal actuel [...], les producteurs ayant des relations de location-achat avec les clients doivent toujours payer la TVA sur l'ensemble des revenus attendus pendant la période de location, car une location-achat est considérée comme la fourniture différée d'un bien.[17]

La TVA favorise de nouveaux produits: La TVA peut être payée plus d’une fois sur les produits d’occasion ou recyclés s’ils sont taxés de la même manière que les nouveaux produits à chacune des transactions les concernant. Comme l’indique cette même étude:

Pour stimuler le recours aux produits d’occasion, reconditionnés, refabriqués ou recyclés, la TVA pourrait être exclue ou très fortement diminuée pour les produits (pièces) qui ont déjà été vendus une fois. Pour que cela fonctionne, les informations sur les propriétés du produit, dont le ratio de nouveaux composants et matériaux par rapport à ceux qui sont réutilisés, sont essentielles - par exemple en ayant recours à des passeports pour les matériaux

Pour stimuler le recours aux produits d'occasion, reconditionnés, refabriques ou recyclés, la TVA pourrait être exclue ou très fortement diminuée pour les produits (pièces) qui on déjà été vendus une fois. Pour que cela fonctionne, les informations sur les propriétés du produit, dont le ratio de nouveaux composants et matériaux par rapport à ceux qui sont réutillisés, sont essentielles - par exemple en ayant recours à des passeports pour les matériaux.[18]

Telle qu’abordée au Module 8, la servitisation indique que, dans certains cas, l’approvisionnement peut être mis en place en tant que contrat de service pour plusieurs unités d’ordinateurs dotés d’une certaine capacité, au lieu d’impliquer la "possession" des appareils eux-mêmes. C’est là une des manières d’éviter les impacts environnementaux négatifs des régimes fiscaux de la TVA qui favorisent l’achat de nouveaux produits. 

Notes au bas de page

[1] Ostrom, E. (2009). A Polycentric Approach for Coping with Climate Change. The World Bank. https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1494833; voir également Finlay, A. (Ed.) (2010). Observatoire mondial de la société de l’information 2010: ICTs and environmental sustainability. APC & Hivos. https://giswatch.org/en/2010 et Finlay, A. (Ed.) (2010). Observatoire mondial de la société de l’information 2020: Technology, the environment and a sustainable world: Responses from the global South. APC & Sida. https://giswatch.org/2020-technology-environment-and-sustainable-world-responses-global-south

[2] Raworth, K. (2012). A Safe and Just Space for Humanity: Can we live within the doughnut? Oxfam. https://policy-practice.oxfam.org/resources/a-safe-and-just-space-for-humanity-can-we-live-within-the-doughnut-210490

[3] Interreg Europe Subtract. (2020). Good Practices. Newsletter #2. European Union. https://www.interregeurope.eu/fileadmin/user_upload/tx_tevprojects/library/file_1595484272.pdf

[4] Commission Européenne. (2013, 8 juillet). European resource efficiency platform pushes for 'product passports’. https://ec.europa.eu/environment/ecoap/about-eco-innovation/policies-matters/eu/20130708_european-resource-efficiency-platform-pushes-for-product-passports_en

[5] Roura Salietti, M., Flores Morcillo , J., Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). Reusing computer devices: The social impact and reduced environmental impact of a circular approach. Dans A. Finlay (Ed.), Global Information Society Watch 2020: Technology, the environment and a sustainable world: Responses from the global South. APC & Sida. https://www.giswatch.org/node/6270

[6] Wilts, C. H., Bahn-Walkowiak, B., & Hoogeveen, Y. (2018). Waste prevention in Europe: Policies, status and trends in reuse in 2017. European Environment Agency. https://doi.org/10.2800/15583

[7] Direction générale de l’environnement (Commission européenne). (2017). Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relatif à la mise en œuvre du plan d’action en faveur de l’économie circulaire. https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/a3115190-ed26-11e6-ad7c-01aa75ed71a1 

8] Commission européenne. (2015). Boucler la boucle - Un plan d’action de l’Union européenne en faveur de l’économie circulaire. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52015DC0614

[9] Commission européenne. (2016). Communication from the Commission – Ecodesign Working Plan 2016-2019. https://ec.europa.eu/docsroom/documents/20375 

[10] Bovea, M. D., & Pérez-Belis, V. (2018). Identifying design guidelines to meet the circular economy principles: A case study on electric and electronic equipment. Journal of Environmental Management, 228, 483-494. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0301479718308855  

[11] ITU-T. (2020). Recommendation L.1023: Assessment method for circular scoring. https://www.itu.int/rec/T-REC-L.1023-202009-I/en

[12] Wilts, C. H., Bahn-Walkowiak, B., & Hoogeveen, Y. (2018). Op. cit.

[13] Center for International Environmental Law and International Pollutants Elimination Network. (2020). Financing the Sound Management of Chemicals Beyond 2020: Options for a Coordinated Tax. https://ipen.org/site/international-coordinated-fee-basic-chemicals

[14] Commission européenne. (2017). Public procurement for a circular economy: Good practice and guidance. https://ec.europa.eu/environment/gpp/circular_procurement_en.htm

[15] Roura Salietti, M., Flores Morcillo , J., Franquesa, D., & Navarro, L. (2020). Op. cit.

[16] Electronics Watch. (2020). Public Procurement in Times of Crisis and Beyond: Resilience through Sustainability. https://electronicswatch.org/public-procurement-in-times-of-crisis-and-beyond-resilience-through-sustainability_2579299.pdf

[17] Copper8, Kennedy van der Laan, & KPMG. (2019). Circular Revenue Models: Required Policy Changes for the Transition to a Circular Economy. https://www.copper8.com/en/circulaire-verdienmodellen-barrieres

[18] Ibid.

Module 12 : Défis et pistes vers des solutions politiques : utilisation, réutilisation et déchets électroniques

Les politiques gouvernementales sont nécessaires pour garantir que les appareils numériques soient utilisés aussi longtemps que possible, puis correctement recyclés. Elles veillent également à faciliter ces mêmes processus. Toutes les parties prenantes, des gouvernements aux fabricants, en passant par les utilisateursrices d’appareils numériques, sont responsables envers l’environnement et les personnes vulnérables. 

Usage et prolongation de la durée de vie

Comme nous l’avons vu au Module 8, la durée de vie d’un appareil numérique peut être divisée en phases de première utilisation et de réutilisation.

La phase de première utilisation

Les buts et cibles

Dans une économie circulaire, l’objectif est d’utiliser un appareil pendant aussi longtemps qu’il est possible de le faire dans la pratique, de pouvoir réparer aisément un appareil pour prolonger sa première utilisation, et de permettre à l’utilisateurrice de se séparer de l’appareil de manière responsable à la fin de la phase de première utilisation. 

Les responsabilités

La responsabilité relative à une utilisation plus longue, et meilleure, d’un appareil ainsi que de sa mise au rebut adéquate repose sur l’utilisateurrice. Les gouvernements peuvent soutenir une meilleure utilisation avec des réglementations et des incitations, des réformes fiscales et en renforçant la capacité des opérateurrices en aval dans le circuit de réutilisation. Les entreprises peuvent soutenir une meilleure utilisation par la mise en place de pratiques comptables circulaires, le suivi des appareils à l’aide d’un inventaire et en se chargeant de les entretenir de manière adéquate. 

Les procédures

Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans la phase de première utilisation. L’un est que la propriété unique est socialement et environnementalement coûteuse. 

Le partage d’équipement a le potentiel de permettre des taux d’utilisation supérieurs, tel que noté en Finlande.[1]En attendant, les prestataires informatiques en servitisation à but non lucratif permettent de transférer la responsabilité environnementale des utilisateurrices finauxales aux prestataires de service (en tant que propriétaires), tout en créant de la demande pour des appareils plus durables et modulaires, ce qui en facilite la réparabilité et l’évolutivité.[2]

Cependant, l’International Financial Reporting Standards (IFRS) 16, entré en vigueur le 1er janvier 2019, empêche la location. Ces standards stipulent qu’en plus des bailleurs, les locataires sont désormais également obligés de rendre des comptes sur les produits loués d’une valeur supérieure à 5 000 dollars US, ce qui ne manquera pas d’avoir un impact négatif sur les ratios de dettes, de levier et de solvabilité.[3]Les normes IFRS sont imposées dans plus de 140 juridictions et utilisées dans de nombreuses régions du monde,[4] ce qui est un obstacle pour la circularité.

Du point de vue financier traditionnel, les modèles circulaires de revenus (MCR) peuvent comporter des risques, qui doivent être atténués. Selon une étude sur les mesures politiques nécessaires à la promotion des MCR:

Du point de vue de l’évaluation des risques financiers traditionnels, la nature financière changeante des MCR les rend plus risqués. Les MCR se caractérisent par des flux périodiques récurrents de revenus, et donc des périodes d’amortissement plus longues. Ils représentent également un transfert de valeur des actifs vers les contrats.[...] Il est difficile pour les investisseurs d’attribuer des valeurs aux opportunités en matière de modèles circulaires d’affaires – tels que la durée de vie plus longue des produits et les valeurs résiduelles supérieures. À l’inverse, les risques imputés au fonctionnement avec des MCR – tels que l’extension du bilan et des flux de revenus incertains dans le cas des modèles de B2C [entreprises et consommateurs] – sont dominants.[5]

La budgétisation gouvernementale complique également la mise en œuvre des modèles circulaires. Comme le remarque la même étude, la structure des budgets des gouvernements rend parfois le fonctionnement avec les MCR plus difficile (budgets d’investissement c. budgets de fonctionnement). Ceci pousse les gouvernements à opter pour l’achat plutôt que de poursuivre avec les MCR, alors qu’ils pourraient donner l’exemple et jouer un rôle prépondérant dans la transition vers une économie circulaire.[6]

La dévaluation des appareils numériques dans la comptabilité limite l’économie circulaire. Ces révisions fiscales pourraient se révéler nécessaires pour corriger cet aspect: 

Les entreprises sont encouragées à dévaluer les produits rapidement, jusqu’à 0€, car cela augmente les avantages fiscaux dont elles peuvent bénéficier. Cette dévaluation rapide diminue la valeur marchande perçue des produits usagés, ce qui constitue un obstacle au développement d’une économie circulaire dans laquelle la valeur des produits usagés est une condition préalable nécessaire. En outre, les normes de dévaluation limitent également la durée totale des périodes de location, de location-achat ou de paiement à l’utilisation.[7]

Pour ce qui est de l’élimination adéquate, les organisations publiques et privées devraient publier des rapports vérifiés d’impact environnemental. Sans vérification par des audits, les arguments avancés se résument à du marketing. En Europe, la directive de la Commission européenne sur les rapports non financiers[8] exige aux grandes entités d’intérêt public de plus de 500 employées (les entreprises cotées, les banques et sociétés d’assurance) de publier certaines informations non financières. Il existe également des principes directeurs relatifs aux rapports concernant les informations en lien avec le climat, qui visent à promouvoir des activités plus durables. Ces rapports devraient se traduire en pénalités ou avantages fiscaux.

La réutilisation 

Les buts et cibles

Le secteur de la réutilisation est crucial pour la prolongation de la durée de vie des appareils numériques, l’orientation vers l’inclusion sociale et l’élargissement de l’accès aux appareils à une plus grande proportion de la population. Tel qu’abordé au Module 8, dès lors qu’un appareil a atteint la fin de sa phase de première utilisation, il peut être reconditionné pour prolonger son utilité à différentes fins. Des pièces qui fonctionnent peuvent également être extraites d’appareils qui ne sont plus opérationnels et être réutilisées dans d’autres appareils, tandis que d’autres pièces peuvent être recyclées pour en récupérer les matières premières secondaires. 

Les responsabilités

Les entreprises sociales peuvent développer des opérations durables pour mettre en œuvre des modèles circulaires de consommation qui créent des emplois de qualité en vue de l’inclusion sociale. Les gouvernements peuvent également instaurer des incitations dans le secteur de la réutilisation, et les entreprises soutenir des initiatives de réutilisation par le biais de la responsabilité sociale des entreprises ou autres programmes. 

Les procédures

Plusieurs considérations politiques sont à prendre en compte dans le cadre de la réutilisation. Ainsi, les structures fiscales actuelles, souvent des procédures et politiques qui découlent de modèles linéaires, impactent la réparation et la revente. Il y a lieu, en particulier, de réviser les structures fiscales qui impactent le travail et les ressources. Dans l’UE, 51 % des recettes fiscales proviennent de taxes professionnelles, et seulement 6 % de taxes sur les ressources. Comme l’explique l’étude sur les mesures politiques nécessaires à la promotion des MCR susmentionnée:

Une transition des taxes professionnelles vers des taxes sur les ressources stimulerait l’adoption de modèles circulaires d’affaires, car les activités de maintenance, de réparation et de reconditionnement requièrent beaucoup de main-d’œuvre et moins de ressources. [...] Plutôt que de taxer le travail, une taxe carbone peut être mise en place pour taxer l’utilisation de ressources naturelles et la pollution.[9]

De plus, des incitations fiscales devraient être envisagées pour les activités ayant un impact avéré sur les biens communs (sociaux et environnementaux), tels que le don d’appareils (semblable aux déductions fiscales pour les œuvres caritatives) et pour les activités qui contribuent à allonger la durée de vie des appareils (incitations à la réparation et la réutilisation par les particuliers et les organisations, notamment). Ces incitations devraient récompenser l’ajout de valeur plutôt que l’élimination des appareils, ou des modèles d’utilisation et de partage qui profitent à la société et à l’environnement, plutôt que la propriété.[10]

La campagne européenne pour le droit à réparer, Right to Repair (repair.eu), plaide en faveur du zéro taxe sur les réparations et reconditionnements, y compris la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), étant donné que les avantages sociaux et environnementaux excèdent le montant des taxes.

Un autre élément à prendre en compte est le fait que de nombreuses entreprises sociales sont nécessaires dans les domaines de la collecte, du reconditionnement, de la maintenance et du recyclage. Une seule personne (surtout si elle est bénévole) ou une seule organisation (telle qu’une entreprise sociale) ne peut pas répondre à l’ensemble des besoins en lien avec les appareils reconditionnés. Plusieurs organisations sont nécessaires pour assurer l’offre, et particulièrement au niveau de la gestion des importants volumes d’appareils donnés par des organisations qui agissent en qualité d’organisation faîtière pour un groupe d’entreprises sociales. La région des Flandres en Belgique, qui avait déjà des activités d’économie circulaire en 1993, compte plus de 120 centres de réutilisation, gérés par 31 entreprises sociales. Ces dernières bénéficient d’un soutien fort de la part des autorités locales et du gouvernement régional.[11]

De plus, des accords à long terme permettant de garantir l’offre d’appareils pour la réutilisation sont indispensables à la pérennité de l’activité. Cette garantie nécessite un important travail de relations institutionnelles avec les activités et programmes gouvernementaux et les entreprises qui collectent les appareils.[12]

En Espagne, la communauté eReuse a rédigé des accords publics pour les dons, par lesquels la Ville de Barcelone accepte de donner tous ses appareils non utilisés (en fin d’utilisation et inactifs) à une fédération d’organisations sociales de reconditionnement (dénommée circuit Pangea). Ces appareils offerts par le conseil municipal sont distribués entre les organisations participantes en fonction des capacités et de la demande, après avoir été triés pour être réutilisés ou recyclés. Les appareils reconditionnés pour être réutilisés doivent aller à des utilisateurrices vulnérables, généralement accompagné·e·s par une organisation sociale.[13]Tous les appareils doivent être recyclés lorsqu’ils parviennent au terme de leur durée de vie. 

Les données sont essentielles dans la chaîne de valeur de la réutilisation. Sans traçabilité pour une redevabilité qui promeut le recyclage final, la réutilisation devient un problème environnemental, car il n’est pas possible d’imposer le recyclage. Des politiques doivent en effet être mises en place afin d’éviter le "blanchiment de l’impact environnemental" ou "blanchiment du CO2". Il existe des outils logiciels pour collecter les données et identificateurs d’appareils ; pour conserver un inventaire de l’appareil d’une utilisateurrice à l’autre, tel que des registres d’utilisation et des grandes étapes dans la vie d’un appareil (enregistrement, réparation, suppression des données, transfert vers une nouvelle utilisateurrice, mise à jour, recyclage final);[14];et pour générer des rapports sur l’impact global. Le circuit eReuse de Pangea s’engage à communiquer des informations sur la traçabilité à la Ville de Barcelone, qui enregistre notamment les données sur la prolongation des heures d’utilisation et le recyclage final, ce qui permet d’estimer l’impact social et environnemental d’un don. 

Les données contribuent également à mesurer l’avantage social d’un centre de réutilisation en tant qu’activité. Selon une étude du Samenwerkingsverband Sociale Tewerkstelling[15] de 2018, la réinsertion d’une personne sans emploi par le biais d’un centre de réutilisation ou d’une entreprise sociale génère 12 000 euros de rendement net pour le gouvernement et la société.

Financer des recherches et des expériences pour prolonger la durée de vie d’appareils numériques et permettre leur réutilisation, comme dans le cas de la Finlande,[16] est une autre procédure recommandée.

Afin de contribuer à leur pérennité économique, les entreprises sociales qui réalisent des bénéfices sociaux et environnementaux validés devraient pouvoir profiter d’obligations sur l’impact environnemental[17]et d’obligations sur l’impact social correspondant à des investissements publics.

Déchets électroniques

Les buts et cibles

Le but ultime devrait être qu’un appareil qui ne sert plus à quiconque soit démonté et recyclé, avec le minimum d’impact négatif sur l’environnement. Extraire des éléments utiles et la plus grande quantité possible de matières premières secondaires, telles que des ressources circulaires pour la réparation ou la fabrication d’autres appareils, est l’objectif de l’économie circulaire.

Les responsabilités

Les gouvernements sont responsables de réglementer le recyclage des déchets électroniques, dont la récupération de pièces et matériaux et la limitation des décharges de déchets électroniques. 

Les fabricants ont, quant à eux, la responsabilité du recyclage adéquat de leurs appareils qui sont vendus, utilisés et éliminés sur les marchés.

Les utilisateurrices qui possèdent des appareils, et notamment les organisations, entreprises et institutions, sont responsables d’apporter ces appareils dans des centres ou initiatives de recyclage, qui peuvent les recycler correctement.

Les procédures

La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination constitue une réglementation relative aux transferts de déchets dangereux entre pays, qui concerne également les déchets électroniques. La définition du terme "déchet" n’est cependant pas toujours claire. Du fait de besoins socio-économiques différents, ce qu’un pays peut considérer comme des déchets électroniques peut constituer une ressource électronique dans un autre, avec la possibilité de réparer ou réutiliser des appareils numériques cédés. Cet aspect négatif de l’ambigüité de la définition provoque l’exportation de déchets électroniques vers des pays qui ne peuvent les prendre en charge, et des conséquences sociales et environnementales désastreuses. Le Global E-waste Monitor 2020 déclare:[18]

“Bilokos”

Il n’y a pas de politique relative au recyclage des ordinateurs ou téléphones en République démocratique du Congo, qui est réalisé de manière informelle. Pendant de nombreuses années, des commerçants informels ont importé des biens d’occasion d’Europe pour les revendre en Afrique. Généralement désignés sous l’appellation de "bilokos" (pour "below cost", en deçà du coût, en anglais), les ordinateurs d’occasion importés comportent généralement des défauts de fabrication, mais sont vendus à bas coût après quelques réparations aux personnes dont le budget est imité pour un tel achat. Même les grands magasins qui vendent de l’électronique neuf ont des services de maintenance qui réparent des ordinateurs défectueux, pour ensuite les vendre.

Les politiques, législations et réglementations relatives aux déchets électroniques protègent les travailleureuses formelles et informelles, le public et l’environnement. Toutes les régions et tous les pays ne disposent cependant pas de politiques pour le recyclage des appareils numériques. Selon le Global E-waste Monitor 2020, au mois d’octobre 2019, 71 % de la population du monde était couverte par une politique, législation ou réglementation nationale relative aux déchets électroniques. Moins de la moitié de tous les pays du monde étaient, à l’époque, couverts par une politique, une législation ou une réglementation.[19]

Picture3.png

Figure 12 : Les pays en vert disposaient de lois nationales sur la protection environnementale conçues spécifiquement pour les déchets électroniques en 2019. (Source : https://globalewaste.org/map)

En outre, la législation freine souvent la réutilisation des déchets électroniques car, officiellement, seules certaines parties prenantes autorisées peuvent transformer en une ressource électronique utile un objet déclaré comme un déchet électronique. Dans l’Union européenne, par exemple: 

La définition actuelle des déchets de la directive-cadre sur les déchets stipule que le comportement du/de la propriétaire d’une substance détermine si la ressource est considérée être un déchet, et non les propriétés de ladite substance. Dans le cadre de cette législation, trop de substances sont considérées comme des déchets, et la réaffectation innovante n’est pas prise en compte. Dès lors qu’une substance a été classée comme déchet, son commerce, son arbitrage, son transfert ou sa réception sans enregistrement ou permis devient illégal.[20]

Il est donc nécessaire de disposer de recommandations visant à renforcer les politiques de gestion des déchets électroniques.

Tout ceci souligne la nécessité de plaider en faveur de la mise en place d’un système de gestion des déchets électroniques auprès du gouvernement (législation, réglementation, supervision) afin de réglementer le recyclage des appareils numériques et la prise en charge de ceux qui ne peuvent être recyclés, conformément aux normes établies. Lorsque des appareils sont recyclés prématurément, les fabricants et recycleurs devraient payer les coûts sociaux, environnementaux et économiques (coût d’opportunité future) pour avoir à fabriquer de nouveaux appareils. Lorsque des appareils sont mal recyclés (du fait d’investissements insuffisants, par exemple), de nombreux matériaux dont l’extraction est plus coûteuse que la valeur des matières premières obtenues ne sont pas récupérés.

Selon le Global E-waste Monitor 2020,[21] les législations ou réglementations relatives aux déchets électroniques doivent inclure:

Voici d’autres mécanismes et questions à prendre en compte:

Outre la défense d’un plan efficace de gestion des déchets électroniques, la société civile a un rôle précis à jouer dans:

 

Listes de vérification des modèles d’actions politiques

 

Extraction et exploitation

Conception et fabrication 

Approvisionnement

Utilisation, réparation, réutilisation

Recyclage et gestion des déchets électroniques

Importation/exportation et taxation

Communauté locale

Reconvertir les travailleureuse·s informelles au travail formel, par le biais de coopératives et d’entreprises sociales

Syndicats locaux dans les usines de fabrication

Groupements d’achat et consortiums d’approvisionnement locaux

Communautés et réseaux de réparation 

Coopératives ou entreprises sociales

Sans objet

Activistes et ONG pour l’environnement

Supervision indépendante des mines, campagnes publiques

Campagnes publiques sur l’écoconception et la conception circulaire, suivi indépendant de la réparabilité et la durabilité

Promotion de pratiques socialement et environnementalement responsables et de redevabilité

Promotion de pratiques socialement et environnementalement responsables et de redevabilité

Promotion de pratiques socialement et environnementalement responsables et de redevabilité

Promotion de pratiques socialement et environnementalement responsables et de redevabilité

Régulateurs

Vérifiabilité, certification

Vérifiabilité

Vérifiabilité

Vérifiabilité

Responsabilité élargie des producteurs

Vérifiabilité

Responsables des politiques

Réglementation, supervision, incitations, pénalités

Approbation des différents types

Promotion des commandes publiques et des consortiums d’approvisionnement responsables

Pas de taxes sur les appareils réparés

Politiques nationales sur les déchets électroniques 

Politiques nationales d’économie circulaire qui incluent la taxation

Institutions publiques

Sensibilisation à, et prise en compte des risques et responsabilités

Sensibilisation à, et prise en compte des risques et responsabilités

Commandes publiques responsables

Inclusion dans les commandes publiques, la maintenance responsable, l’élimination/la cession responsable (maximisation de la réutilisation au lieu du recyclage)

Responsabilité envers les impacts sociaux et environnementaux, redevabilité

Préférence donnée aux fournisseurs locaux

Marques et fabricants 

Responsabilité corporative envers la chaîne d’approvisionnement

Conception en vue de la réparabilité et l’interopérabilité

Transparence des achats individuels et en gros

Documentation, redevabilité, pièces détachées

Documentation, responsabilité élargie des producteurs

Conformité aux standards nationaux et internationaux, transparence

 

 

 

Extraction et exploitation

Conception

Fabrication

Approvisionnement

Utilisation, réparation, réutilisation

Recyclage et gestion des déchets électroniques

Éducation et sensibilisation

 

 

Manuels

 

Éducation publique

 

Instruments économiques

Taxe carbone

 

Taxe sur la consommation de matériaux, taxe carbone

Taxe carbone

Taxe carbone, taux de TVA différencié pour la réutilisation et la réparation

Droit tarifaire pour l’élimination de déchets,

taxe sur la mise en décharge

Données fondées sur les informations

Rapports de données ouvertes

Certification de l’introduction de matériaux secondaires (recyclés)

Étiquetage du % de matières premières, recyclabilité, réparabilité, durabilité, composition chimique et matérielle

 

 

 

Exigences et réglementation

Transparence sur les sources et les conditions de travail et environnementales

Durabilité, réparabilité, recyclabilité (écoconception)

Responsabilité élargie des producteurs, transparence sur les sources, les conditions de travail et environnementales

Économie du partage

 

Quota d’élimination EOL-RR[27] final,

transport de déchets

Assuré par le secteur public

Recherche et développement publics

Recherche et développement publics

Recherche et développement publics

Commandes publiques vertes, recherche et développement publics

Recherche et développement publics, règles de dévaluation, éducation publique

Recherche et développement publics, collectes sélectives

Assuré par le secteur privé

Données ouvertes, audit/vérification

Données ouvertes, audit/vérification

Données ouvertes, audit/vérification, manuels d’entretien

Location-achat circulaire

Données ouvertes, audit/vérification

Données ouvertes, audit/vérification

Citoyennes/OSC

Supervision

Supervision

Supervision

Supervision

Supervision

Supervision

Annexe 3 : Recommandations de politiques connexes existantes

Plusieurs cadres mondiaux de politiques relatives aux appareils numériques valent la peine d’être mentionnés, dont les exemples suivants.

 Du fait du défi que posent les déchets électroniques, la Résolution 200 de l’UIT-T a été révisée lors de la Conférence de plénipotentiaires de l’Union internationale des télécommunications (UIT) à Dubaï en 2018, et a donné lieu au programme Connect 2030. Une initiative mondiale dirigée par l’UIT, ce programme présente une vision, des buts et des cibles communs pour le développement des télécommunications et des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans le monde, que les États membres se sont engagés à atteindre d’ici 2030.

 Le programme Connect 2030 appelle notamment à des cibles telles que "D’ici à 2023, le taux de recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques dans le monde sera porté à 30%" (Cible 3.2) et "D’ici à 2023, le pourcentage de pays dotés d’une législation relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques sera porté à 50%" (Cible 3.3).

 Le programme Connect 2030 est en lien avec le Plan stratégique 2020–2023 de l’UIT, qui veille à ce que la technologie soit au service de l’humanité et de la planète par le biais de buts ambitieux : la croissance, l’inclusion, la durabilité, l’innovation et les partenariats.

 En janvier 2020, l’UIT a également publié la Recommandation L.1470 : Trajectoires des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur des technologies de l’information et de la communication compatibles avec l’Accord de Paris adopté par la CCNUCC. Élaborée en collaboration avec la GeSI, la GSMA et la Science-Based Targets initiative (SBTi), cette recommandation offre aux entreprises des TIC des trajectoires en lien avec la réduction des gaz à effet de serre en vue d’atteindre les objectifs définis dans l’Accord de Paris. Des spécificités supplémentaires relatives aux trajectoires sont détaillées dans un document qui accompagne la recommandation, les Orientations à l’intention des entreprises du secteur des TIC qui souhaitent définir des cibles fondées sur des données scientifiques.

 Le terme « zéro émissions nettes » est de plus en plus utilisé pour décrire un engagement plus complet envers la décarbonisation et l’action climatique, allant au-delà de la neutralité carbone et incluant souvent une cible de réduction des émissions fondée sur des données scientifiques, par opposition à la seule dépendance sur la compensation.

 Tel qu’abordé dans le présent module, la Convention de Bâle des Nations Unies vise à supprimer le commerce des déchets dangereux, dont les déchets électroniques. Cette Convention est utile à l’élaboration de politiques nationales concernant les déchets. Ses objectifs en matière de déchets électroniques sont les suivants:

 Enfin, un rapport publié par l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE), intitulé Macroéconomie de la transition vers l’économie circulaire,[28] fournit des recommandations de politiques locales pour les pays souhaitant réaliser cette transition, dont les suivantes :

 

Picture2.png

Résumé de la couverture politique des études sélectionnées. Source : OCDE (https://doi.org/10.1787/af983f9a-en)

 

Notes au bas de page

[1] Wilts, C. H., Bahn-Walkowiak, B., & Hoogeveen, Y. (2018). Waste prevention in Europe: Policies, status and trends in reuse in 2017. European Environment Agency. https://doi.org/10.2800/15583  

[2] ITU-T. (2021). Recommendation L. 1024: The potential impact of selling services instead of equipment on waste creation and the environment – Effects on global information and communication technology. UIT. https://www.itu.int/rec/T-REC-L.1024-202101-I/fr; pour un exemple du modèle de servitisation, consulter l’étude de cas sur eReuse dans le présent guide.

[3] Copper8, Kennedy van der Laan et KPMG. (2019). Circular Revenue Models: Required Policy Changes for the Transition to a Circular Economy. https://www.copper8.com/en/circulaire-verdienmodellen-barrieres

[4] Et également en Corée du Sud, au Brésil, dans l’Union européenne, en Inde, à Hong Kong, en Australie, en Malaisie, au Pakistan, dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en Russie, au Chili, aux Philippines, au Kenya, en Afrique du Sud, à Singapour et en Turquie.

[5] Copper8, Kennedy van der Laan, & KPMG. (2019). Op. cit.

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Commission Européenne. (2017). Commission guidelines on non-financial reporting. https://ec.europa.eu/info/publications/non-financial-reporting-guidelines_en

[9] Copper8, Kennedy van der Laan, & KPMG. (2019). Op. cit.

[10] Roura Salietti, M., Flores Morcillo, J., Franquesa, D. et Navarro, L. (2020). Reusing computer devices: The social impact and reduced environmental impact of a circular approach. Dans A. Finlay (Ed.), Global Information Society Watch 2020: Technology, the environment and a sustainable world: Responses from the global South. APC et Sida. https://www.giswatch.org/node/6270

[11] Commission européenne. (2019, 18 Novembre). Leading the way in closing the loop: Circular Flanders. https://ec.europa.eu/environment/ecoap/about-eco-innovation/policies-matters/leading-way-closing-loop-circular-flanders_en

[12] Pour une étude plus approfondie de cette question, voir l’étude de cas sur Nodo TAU dans le présent guide.

[13] Roura, M., Franquesa, D., Navarro, L., & Meseguer, R. (2021). Circular digital devices: lessons about the social and planetary boundaries. In LIMITS ’21: Workshop on Computing within Limits. https://computingwithinlimits.org/2021/papers/limits21-roura.pdf

[14] Franquesa, D., Navarro, L., López, D., Bustamante, X., & Lamora, S. (2015). Breaking barriers on reuse of digital devices ensuring final recycling. In Proceedings of EnviroInfo and ICT for Sustainability 2015. Atlantis Press. https://dx.doi.org/10.2991/ict4s-env-15.2015.32   

[15] Samenwerkingsverband Sociale Tewerkstelling. (2018). Sociale tewerkstelling met de reguliere economie. https://docplayer.nl/19740199-Sociale-tewerkstelling-in-synergie-met-de-reguliere-economie.html

[16] Wilts, C. H., Bahn-Walkowiak, B., & Hoogeveen, Y. (2018). Op. cit.

[17] Thompson, A. (2020, 2 juillet). Environmental Impact Bonds: Where are they now? UNC Environmental Finance Center. https://efc.web.unc.edu/2020/07/02/environmental-impact-bonds-where-are-they-now

[18]Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R. et Bel, G. (2020). The Global E-waste Monitor 2020: Quantities, flows and the circular economy potential. United Nations University (UNU)/United Nations Institute for Training and Research (UNITAR) – co-hosted SCYCLE Programme, Union Internationale des Télécommunications (UIT) et International Solid Waste Association (ISWA). http://ewastemonitor.info/wp-content/uploads/2020/07/GEM_2020_def_july1_low.pdf

[19] Ibid.

[20] Copper8, Kennedy van der Laan, & KPMG. (2019). Op. cit.

[21] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). Op. cit.

[22] RREUSE. (2016, 28 avril). Spain first country to set target to stop reusable goods ending up in landfill. https://www.rreuse.org/spain-first-country-to-set-target-to-stop-reusable-goods-ending-up-in-landfill

[23] Fernández Protomastro, G. (2013). Minería Urbana y la Gestión de los RAEE. Ediciones Isalud. https://sigraee.files.wordpress.com/2013/10/libro-raee-completo.pdf

[24] RREUSE. (2016, 28 avril). Op. cit.

[25] Wilts, C. H., Bahn-Walkowiak, B., & Hoogeveen, Y. (2018). Op. cit.

[26] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). Op. cit.

[27]L’EOL-RR est le taux de recyclage en fin de vie (end-of-life recycling rate), soit la part de matériaux dans les flux de déchets qui est réellement recyclée (du point de vue des extrants).

[28] McCarthy, A., Dellink, R., & Bibas, R. (2018). The Macroeconomics of the Circular Economy Transition: A Critical Review of Modelling Approaches. OECD. http://dx.doi.org/10.1787/af983f9a-en

Étude de cas - Transition vers l’économie circulaire dans la région Asie du Sud : Des mesures progressivement mises en place par le Bangladesh, l’Inde, le Sri Lanka et le Pakistan

Par Syed Sultan Kazi et Tarun Pratap, Digital Empowerment Foundation

Introduction

 Depuis plusieurs dizaines d’années, la région de l’Asie du Sud est confrontée, dans ses huit nations, au problème des déchets électroniques. Les fortes populations, le problème croissant du consumérisme rampant d’appareils électroniques, achetés puis jetés lorsqu’ils deviennent inutilisables, en sont les causes principales, et cela ne cesse d’augmenter. L’Inde fait partie des trois plus gros générateurs de déchets électroniques au monde. Et pourtant, comme dans d’autres pays du Sud global, la majeure partie de ces déchets n’y est pas traitée, et l’essentiel du recyclage reste du ressort du secteur informel.

 Malgré l’absence actuelle dans la région d’une orientation politique visant à favoriser une économie circulaire, quelques tendances voient le jour, notamment en Inde, et sont susceptibles de déclencher un sentiment d’urgence, indispensable pour réaliser la transition depuis le modèle économique linéaire qui perdure dans le secteur des appareils électroniques.

 Le problème grandissant des déchets électroniques dans la région

 Les données sur l’utilisation d’appareils mobiles indiquent une augmentation de la consommation en appareils numériques dans la région. Celle-ci va de pair avec l’accumulation ingérable des déchets électroniques et les effets nocifs pour la population et l’environnement. En janvier 2021, le Bangladesh comptait 165,8 millions de connexions mobiles, soit une augmentation de 1,1 % sur une période de 12 mois. Le taux de pénétration de l’internet atteignait quant à lui 28,8 % de la population.[1] Le Sri Lanka, avec 30,41 millions de connexions mobiles en janvier 2021, a connu une hausse de 2,1 % par rapport à l’année précédente, pour un taux de pénétration de l’internet de 50,8 % de la population.[2] Le Pakistan avait 173,2 millions de connexions mobiles, pour une hausse de 4,2 % par rapport à l’année précédente et un taux de pénétration de l’internet à 27.5%.[3] L’Inde comptait 1,10 milliard de connexions mobiles, avec une hausse de 2,1 % par rapport à l’année précédente, et un taux de pénétration de l’internet de 45 %.had 1.10 billion mobile connections, increasing 2.1% from the previous year. Internet penetration stood at 45%.[4] 

Parallèlement à cela, le Bangladesh a produit 0,40 million de tonnes de déchets électroniques en 2018.[5] On estime que ce chiffre pourrait atteindre 4,62 millions de tonnes d’ici 2035.[6]  En 2019, l’Inde a produit 3230 kilotonnes de déchets électroniques, et le Pakistan, 433 kilotonnes.[7]La même année, le Sri Lanka a produit 138 kilotonnes de déchets électroniques.[8]

Le traitement des déchets électroniques dans la région repose largement sur le secteur informel pour tout ce qui a trait à la collecte, le démantèlement et le recyclage. Divers facteurs sociaux et économiques expliquent cette situation. Pour commencer, de nombreux consommateurs des pays en développement ignorent le concept consistant à rendre des appareils numériques en fin de vie et payer pour leur traitement. En second lieu, de nombreux pays en développement reçoivent des importations, légales ou non, de grandes quantités de déchets électroniques qui entrent en tant qu’appareils de seconde main. Troisième point, les faibles niveaux de financement et d’investissement pour des systèmes de recyclage de déchets électroniques à niveau local, si bien que l’infrastructure de gestion et de recyclage des déchets électroniques est souvent déficiente. Enfin, quatrième point, l’application insuffisamment stricte de la réglementation nationale relative aux déchets électroniques a renforcé la présence de l’économie informelle dans le secteur de la récupération et du commerce des matières premières récupérées dans les déchets électroniques ayant une valeur marchande.[9]

Dans une étude menée par les Chambres associées du Commerce et de l’Industrie en Inde et KPMG, intitulée Electronic Waste Management in India ("Gestion des déchets électroniques en Inde"), il a été observé que le matériel informatique représentait près de 70 % des déchets électroniques, suivi par les appareils de télécommunication tels que les téléphones (12 %), les appareils électriques (8 %), les appareils médicaux (7 %) et enfin, pour le pourcentage restant, les appareils électroménagers.[10] La domination du secteur informel dans la collecte, le transport, le traitement et le recyclage des déchets électroniques empêche toute récupération de matériaux et valeurs susceptibles d’être récupérés selon un système formel. Cette informalité du secteur implique en outre de graves enjeux pour la santé et la sécurité des travailleurs et des travailleuses en raison des infiltrations de toxines dans l’environnement, qui ne retiennent pas l’attention qu’ils méritent.[11]

Des politiques nationales déficientes en matière de gestion des déchets électroniques

Inde

 De plus en plus de pays comprennent et reconnaissent le besoin d’une gestion adéquate des déchets électroniques. Pourtant, même si dans certains pays, des projets de loi sont actuellement examinés, l’Inde est pour le moment l’unique pays de la région doté d’une législation en la matière. Celle-ci, entrée en vigueur en 2011, stipule que seuls les démonteurs et recycleurs autorisés peuvent recueillir les déchets électroniques. Une clause élargissant la responsabilité des producteurs et leur imposant des sanctions financières a commencé à porter ses fruits pour formaliser la collecte des déchets dans le pays.[12] L’Inde compte aujourd’hui 321 recycleurs autorisés, ce qui représente une capacité de traitement d’environ 800 kilotonnes de déchets par an.[13]

Bangladesh

Il n’y a actuellement au Bangladesh aucune réglementation portant spécifiquement sur la gestion des déchets électroniques. Le gouvernement a cependant accordé la plus grande priorité à la préparation des "Règles relatives aux déchets électriques et électroniques (gestion et traitement)" dont la première version a été rédigée en 2011. Il a en outre élaboré une Stratégie nationale 3R (réduire, réutiliser et recycler) qui intègre certains aspects de gestion de déchets électroniques. De plus, deux autres Règles, la Règle relative à la gestion des déchets dangereux (en préparation) et le projet de Règle relative à la gestion des déchets solides (préparée et en cours de consultation) devraient tenir compte des questions liées aux déchets électroniques.[14]

Pakistan

Le Pakistan ne dispose d’aucune politique en matière de gestion des déchets électroniques. Le ministère de l’Environnement est chargé d’encadrer la protection de l’environnement et les mouvements que suivent les produits chimiques et les déchets. Le secteur informel du recyclage est très actif, et un grand nombre de travailleurs et de travailleuses, y compris des enfants, vivent du démantèlement des déchets électroniques et de l’extraction des métaux de valeur.[15]

Sri Lanka

Le Sri Lanka est lui aussi dépourvu de politiques portant spécifiquement sur les déchets électroniques. L’Autorité centrale de l’environnement y est la principale institution chargée de la gestion des déchets électroniques en vertu d’une ordonnance de 2008.[16]

De la gestion des déchets électroniques à l’économie circulaire

 En Asie du Sud, l’Inde est l’unique pays à avoir pris des mesures formelles pour adopter une économie circulaire en matière de gestion des déchets électroniques, mi-2021. En mai 2021, le ministère des Appareils électroniques et des Technologies de l’information a rédigé un document d’orientation, "Circular Economy in Electronics and Electrical Sector" (L’économie circulaire dans le secteur de l’électronique et l’électrique),[17]qui invite les parties prenantes à formuler des commentaires publics jusqu’en Juin 2021.

Ce document d’orientation consacré à l’économie circulaire des déchets électroniques en Inde indique les principaux objectifs suivants : 

 L’approche circulaire mise en avant dans le projet de politique est bénéfique à divers égards. Comparé au modèle traditionnel linéaire de production, d’utilisation et de mise au rebut, le mouvement axé sur un modèle circulaire dans lequel les ressources sont utilisées plus efficacement offre aux entreprises désirant profiter des bénéfices économiques de la circularité la possibilité de réaliser des économies substantielles.

 Réduire l’extraction des matières premières grâce à la circularité peut en outre permettre de réduire la pression exercée sur les ressources rares. Il y aura ainsi un impact au niveau social, avec moins de communautés déplacées en raison des activités minières et de la fuite face aux conflits alimentés par les minerais. 

 Selon le document, la circularité doit s’intéresser à toutes les étapes de cycle de vie d’un appareil numérique, depuis l’acquisition des matières premières à la conception du produit, la fabrication des composants, l’assemblage, la vente et l’utilisation, les systèmes de collecte des déchets, le démantèlement, le recyclage et la récupération des matières secondaires. Cette politique de gestion de déchets électronique s’écarte donc des politiques habituelles en la matière, qui tendent à ne s’intéresser qu’à la mise au rebut, la réutilisation et le recyclage des appareils numérique.

Accélérer la feuille de route de la circularité pour les appareils numériques dans la région

 Les deux orientations économiques, qu’elles soient linéaires ou circulaires, ne sont ni antinomiques ni antagonistes dans la planification et l’action économique à niveau national. Il est tout à fait possible de créer un modèle économique hybride et durable à partir d’orientations circulaires appliquées judicieusement dans les économies de la région. L’utilisation à la fois d’éléments linéaires et d’éléments circulaires dans le secteur des appareils de l’information et de la communication (TIC) pourrait engendrer un paradigme alternatif de croissance économique et graduer la mise en place d’une circularité complète dans l’économie, ce qui éviterait les chocs économiques et les effets indésirables dans le système financier.

 Le tableau 1 donne un aperçu général des avantages potentiels d’un délaissement de l’économie linéaire au profit d’une économie circulaire pour les appareils numériques en Asie du Sud.

Tableau 1. Avantages potentiels d’un délaissement de l’économie linéaire au profit d’une économie circulaire pour les appareils numériques en Asie du Sud

Type de politique

Avantages

Statut

Approche linéaire vis-à-vis des appareils numériques, du développement social et  du marché

Nouveaux vendeurs, nouveaux marchés, nouvelles sources de revenus, production de recettes fiscales, élan donné à l’industrie, croissance de l’économie et de l’emploi

Démarche de référence en Asie du Sud, actuellement prioritaire

Approche circulaire vis-à-vis des appareils numériques et du développement social et du marché

Nouveaux vendeurs en circularité, nouveaux marchés à plus grande échelle, nouveaux systèmes et potentiels de recettes fiscales et de revenus, large contribution à l’économie, améliorations sociétales notamment en matière d’inclusion numérique et d’emploi, bienfaits pour l’environnement, préservation des métaux rares et notamment les terres rares

Pas une démarche conventionnelle dans les décisions et la mise en œuvre; existe sous une forme différente dans le marché des appareils électroniques de seconde main

Faire la transition vers une économie circulaire pour les appareils numériques dans la région

 Pour une transition efficace vers l’économie circulaire dans la région, un certain nombre d’aspects essentiels doivent être pris en compte:

Formalisation du secteur informel

Il est essentiel de formaliser le secteur informel pour faire évoluer les politiques de la région. En 2019, 140 millions de smartphones ont été vendus en Inde, avec entre 40 et 50 millions de téléphones de seconde main. En taille, l’Inde et la Chine sont les plus gros marchés pour les téléphones de seconde main. Et pourtant, aussi bien les États-Unis que l’Europe ont de plus gros marchés pour le reconditionnement, en raison de leur législation et de leurs réglementations en vigueur.[19]

La formalisation du secteur informel devrait être faite en plusieurs étapes. Ce processus devrait commencer par l’identification de ses principaux pôles d’activité. L’étape suivante devrait consister à fédérer les membres éparpillés dans chaque groupe et à identifier comment chacun de ces groupes fonctionne. Des programmes de sensibilisation devraient être mis en place. La formation et le développement de compétences pratiques, en plus de l’amélioration de l’efficience des processus, sont des étapes importantes de la formalisation de ce secteur.[20]

Pour intégrer le secteur informel à l’économie formelle, il conviendrait d’instaurer la confiance, identifier et renforcer les relations entre les deux secteurs pour une gestion homogène. De plus, la structure de coûts du secteur informel se verrait totalement modifiée par l’introduction de certains mécanismes qui ne faisaient pas partie de leur chaîne de valeur auparavant. Le gouvernement devrait pour cela apporter son soutien à travers une aide financière : faciliter l’accès au crédit, offrir des incitations financières telles que des subventions, et mettre en place des régimes d’assurance.[21]

Conclusion

L’économie circulaire des appareils numériques peut devenir un outil essentiel pour dissocier la croissance économique du numérique des contraintes en ressources naturelles et des besoins croissants de la société. Pour ce faire, il faudrait planifier de nouveaux modèles de financement et des approches politiques susceptibles d’accélérer la collaboration et de mettre en place l’économie circulaire à plus grande échelle, dans les secteurs clés de la région et dans les chaînes de valeur de l’économie mondiale.

 Les décisions prises dans les plus hautes sphères de l’exécutif sont déterminantes pour les politiques, les programmes, les mises en œuvre et les répercussions. Or, elles sont influencées par les recettes du marché, notamment les recettes fiscales et les gains de l’import-export étant donné leur lien étroit avec la santé de l’économie locale et nationale, et le taux d’emploi. Ce sont elles qui dirigent l’industrialisation. Toute modification de politique a par conséquent de multiples répercussions sur le statu quo et le développement économique.

 Les autres facteurs déterminants dans la modification des politiques sont les intérêts politiques directs et l’activité des groupes de pression. Ainsi, des bureaucraties sont mises en place et des priorités établies dans le processus de développement des politiques, sous prétexte de travailler "dans l’intérêt national". Il est pourtant mal aisé de lutter en faveur d’une plus grande inclusion numérique en suivant une approche linéaire virulente du développement économique, axée sur les vendeurs. Instaurer une économie circulaire pour le marché des appareils numériques permettrait au contraire d’obtenir de meilleurs résultats pour atteindre les objectifs de la région en matière d’inclusion généralisée à niveau social, environnemental et économique.

 Grâce à une meilleure collaboration, les multinationales, les petites et moyennes entreprises (PME), les entrepreneurs, l’université, les syndicats, la société civile et les associations pourraient créer une économie circulaire pour les appareils numériques en Asie du Sud. Cela permettrait ainsi à cette région, la plus peuplée au monde, de prévoir une autre utilisation pour les déchets, d’en réduire l’impact sur l’environnement et d’offrir un travail décent à des millions de personnes.

Notes au bas de page

[1] Kemp, S. (2021, 11 février). Digital 2021: Bangladesh. DataReportal. https://datareportal.com/reports/digital-2021-bangladesh

[2] Kemp, S. (2021, 12 février). Digital 2021: Sri Lanka. DataReportal. https://datareportal.com/reports/digital-2021-sri-lanka

[3] Kemp, S. (2021, 11 février). Digital 2021: Pakistan. DataReportal. https://datareportal.com/reports/digital-2021-pakistan

[4] Kemp, S. (2021, 11 février). Digital 2021: Sri Lanka. DataReportal. https://datareportal.com/reports/digital-2021-india

[5] Centre for Environmental and Resource Management (CERM) & Bangladesh University of Engineering and Technology (BUET). (2018). Assessment of Generation of E-Waste, Its Impacts on Environment and Resource Recovery Potential in Bangladesh. https://doe.portal.gov.bd/sites/default/files/files/doe.portal.gov.bd/page/1f58f60a_51d9_46c0_9fa1_79b7b565db05/2020-10-01-13-02-e522e1499ac288d119a6f7ae16c7f7d0.pdf

[6] Ibid.

[7] Forti, V., Baldé, C. P., Kuehr, R., & Bel, G. (2020). The Global E-waste Monitor 2020: Quantities, flows, and the circular economy potential. United Nations University (UNU)/United Nations Institute for Training and Research (UNITAR) – présenté conjoitement par le programme SCYCLE, l’Union Internationale des Télécommunications (UIT) & International Solid Waste Association (ISWA).

[8] https://globalewaste.org/statistics/country/sri-lanka/2019

[9] Organisation internationale du Travail. (2014). Tackling informality in e-waste management: The potential of cooperative enterprises. https://www.ilo.org/sector/Resources/publications/WCMS_315228/lang--en/index.htm

[10] Bandela, D. R. (2018, 13 octobre). E-Waste Day: 82% of India's e-waste is personal devices. Down to Earth. https://www.downtoearth.org.in/blog/waste/e-waste-day-82-of-india-s-e-waste-is-personal-devices-61880

[11] Ramanujam, V., & Nepoleon, D. (2020). E-waste issues and challenges in India: A study on management perspective. Mukt Shabd Journal, 9. https://www.researchgate.net/publication/340933732_E-WASTE_ISSUES_AND_CHALLENGES_IN_INDIA_A_STUDY_ON_MANAGEMENT_PERCEPTIVE

[12] Ministère des appareils électroniques et des technologies de l’information. (2021). Circular Economy in Electronics and Electrical Sector. Gouvernement de l’Inde.  https://www.meity.gov.in/writereaddata/files/Circular_Economy_EEE-MeitY-May2021-ver7.pdf

[13] Pandey, K. (2020, 3 juillet). E-waste to increase 38% by 2030: Report. Down To Earth. https://www.downtoearth.org.in/news/waste/e-waste-to-increase-38-by-2030-report-72114

[14] Pariatamby, A., & Victor, D. (2013). Policy trends of e-waste management in Asia. Journal of Material Cycles and Waste Management, 15, 411-419. https://doi.org/10.1007/s10163-013-0136-7 

[15] Ibid.

[16] Auditor General’s Department. (2017). Electronic Waste Management in Sri Lanka.  http://www.auditorgeneral.gov.lk/web/images/audit-reports/upload/2016/performance_2016/e_waste/Electronic-Waste-Management-in-Sri--Lanka----Performance-and-Environmental-Aiudit-Report_1-E.pdf

[17] Ministère des Appareils électroniques et des Technologies de l’information. (2021). Op. cit. 

[18] Singh, S. G. (2020, 14 octobre). International E-Waste Day: Why India needs to step up its act on recycling. Down to the Earth. https://www.downtoearth.org.in/blog/waste/international-e-waste-day-why-india-needs-to-step-up-its-act-on-recycling-73786

[19] Ahaskar, A. (2020, 9 mars). China, India biggest second-hand phone markets, says Cashify COO. Mint. https://www.livemint.com/news/india/china-india-biggest-second-hand-phone-markets-says-cashify-coo-11583741070674.html

[20] Chaturvedi, A., Arora, R., & Ahmed, S. (2010). Mainstreaming the Informal Sector in E-Waste Management. Urban, Industrial and Hospital Waste Management Ahmedabad. https://www.nswai.org/docs/Mainstreaming%20the%20Informal%20Sector%20in%20E-Waste%20Management.pdf

[21] Ibid.

Remerciements

Ce guide sur les économies circulaires des appareils numériques est le fruit d’un groupe de travail du réseau de l’Association pour le progrès des communications (APC), sous la conduite de Leandro Navarro (UPC et Pangea), Syed Kazi (Digital Empowerment Foundation) et Shawna Finnegan (APC). Maja Romano et Flavia Fascendini ont été chargées de la coordination pour la publication. Le guide a été édité par Alan Finlay et révisé par Lori Nordstrom. Toutes les illustrations ont été réalisées par Cathy Chen. Les modules et les études de cas ont été rédigés par Leandro Navarro, Mireia Roura et David Franquesa (UPC and Pangea)), Syed Kazi (Digital Empowerment Foundation), Jes Ciacci (Sursiendo), Florencia Roveri (Nodo TAU), Peter Pawlicki (Electronics Watch), Alejandro Espinosa (Computer Aid), Patience Luyeye (membre individuel d’APC), Rozi Bakó (Strawberrynet), Julián Casasbuenas et Plácido Silva (Colnodo), et YZ Yau (Centre for Information Technology and Development). La traduction de ce guide a été réalisée par Morgane Boëdec, Karine Ducloyer et Florie Dumas-Kemp pour la version en français, et par Clio Bugel, María Laura Mazza et Florencia Roveri pour la version en espagnol. Le guide sur les économies circulaires des appareils numériques a été élaboré dans le cadre de l’initiative d’APC Technologies, justice environnementale et développement durable. Il a été financé par l’Agence suédoise de coopération internationale au développement (Sida) et la Fondation Ford. ISBN: 978-92-95113-46-6 APC-202110-APC-R-FR-DIGITAL-336