Étude de cas - Usine de gestion des déchets informatiques : La longue et difficile mise en place d’une usine de recyclage de déchets électroniques en Argentine
Écrit par : Florencia Roveri, Nodo TAU
Projet / Programme |
Planta de Gestión de Residuos Informáticos |
Géographie/Région/Pays |
Rosario, Argentine |
Organisation |
|
Circularité |
déchets électroniques, réparation et recyclage, emploi des jeunes |
Vision générale
Nodo TAU est une association de la société civile fondée en 1995 par un groupe d’ingénieurs, dans le but de promouvoir l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) parmi les organisations sociales, avant tout pour résoudre la fracture numérique. Entre 2003 et 2008, Nodo TAU a procédé au développement d’un réseau de télécentres communautaires.[1] Pour équiper ces télécentres, l’association a mis en avant la réutilisation d’ordinateurs jetés, créant ainsi une "banque de machines" avec les dons reçus pour le reconditionnement.
En 2008, Nodo TAU rejoint d’autres acteurs locaux autour d’un projet de création d’une usine de gestion de déchets électroniques. L’usine entre finalement en activité en 2019, après plusieurs processus institutionnels et expériences intermédiaires. Elle vise à répondre au besoin de réduire l’impact environnemental des déchets électroniques, tout en créant des occasions d’emploi pour les jeunes au chômage.
À propos du projet
Nodo TAU mène divers projets, depuis 2003, avec des ordinateurs de seconde main donnés principalement par des particuliers et de petites entreprises. Avec le temps, la quantité d’appareils a augmenté et leur gestion est devenue compliquée pour le personnel de l’association, au point de poser problème dans la maison que Nodo TAU partageait avec d’autres organisations.
Le problème est devenu encore plus évident quand, en 2007, Nodo TAU a reçu d’une multinationale agro-industrielle un don important d’ordinateurs, dont des notebooks modernes. Ce don a permis la mise en place d’une salle numérique mobile pour mener des ateliers dans les communautés. Le don incluait cependant également un nombre important d’appareils qui n’ont pu être réparés. Face à ce problème d’accumulation d’équipements électroniques, l’organisation a entrepris d’approfondir ses connaissances sur le recyclage local et a développé des ressources lui permettant de gérer les déchets électroniques.
Poser les bases
En 2008, le secrétariat de l’Environnement et de l’Espace public de la ville de Rosario a invité Nodo TAU, dans le cadre du programme Basura Cero (Zéro déchets), à rejoindre un projet de développement d’une usine de recyclage de déchets électroniques, aux côtés de l’Institut national des technologies industrielles (INTI) et de Taller Ecologista (Atelier écologiste), une organisation environnementale de référence à l’échelle municipale.
Ce processus a débouché, en 2009, sur le développement par Nodo TAU d’un projet pilote de formation : l’association organisait des ateliers de réparation d’ordinateurs avec des jeunes de quartiers défavorisés d’un côté, et les secrétariats municipaux de l’Économie sociale et de l’Environnement prenaient en charge la collecte puis la distribution des appareils. En 2012, le projet pilote est devenu l’entreprise "Reciclados Electrónicos", également soutenue par le gouvernement municipal.
Avec l’appui d’APC, Nodo TAU a réalisé en 2016 un travail de recherche qui a permis de définir le marché local des déchets électroniques, les parties prenantes souhaitant s’investir dans le projet et les expériences de traitement des déchets électroniques, pour finalement rédiger un modèle économique pour le fonctionnement de l’usine. Ce processus a bénéficié de la collaboration de Pangea, membre d’APC basée à Barcelone, pour la mise en place d’un système de traçabilité élaboré par l’initiative eReuse.org. Pendant ce temps, le développement de l’usine prenait du retard en raison de conflits internes au sein du gouvernement municipal, pour être finalement stoppé.
Installation de l’usine : soutien de programmes gouvernementaux et importance de la législation
Le processus de création de l’usine a fait un bond en avant grâce à la collaboration avec l’organisation de base Grupo Obispo Angelelli, autour de projets orientés sur l’inclusion professionnelle des jeunes, dans le cadre du programme social provincial Nueva Oportunidad.
Cette même année, l’approbation d’une loi provinciale a permis la réglementation de la gestion des déchets électroniques, notamment de la responsabilité élargie des producteurs vis-à-vis de leurs déchets. Elle reconnaissait également le rôle des réparateurs et réparatrices informel·le·s. Nodo TAU décide alors de redynamiser le projet de l’usine et de trouver un lieu adéquat qui remplirait tous les prérequis formels pour son fonctionnement. L’usine de gestion des déchets informatiques commence finalement ses activités en 2019. Son inclusion dans le programme Nueva Oportunidad aura joué un rôle clé dans sa mise en œuvre et sa pérennité.
Dès 2020, des appareils d’une autre provenance commencent à arriver à l’usine : les netbooks du programme pédagogique national Conectar Igualdad, grâce auquel cinq millions d’ordinateurs ont été distribués entre 2010 et 2015 aux élèves des écoles secondaires publiques. Lorsque le programme avait pris fin, en 2015, de très nombreux ordinateurs non utilisés s’étaient amoncelés dans les écoles, faute d’entretien adéquat. Lorsque la pandémie de COVID-19 a obligé les écoles à fermer et que les cours sont passés sur les plateformes numériques, ces ordinateurs sont redevenus essentiels pour les élèves.
En septembre 2020, le ministère de l’Éducation de la province a signé un accord avec Nodo TAU pour la réparation et la mise à jour des ordinateurs, en coordination avec les autorités de chacune des écoles.
Apprendre des expériences régionales
Au cours de l’année 2019, Nodo TAU a été invitée par l’Organisation internationale du travail (OIT) à participer à un projet de recherche sur les déchets électroniques et l’emploi[2] dans différents pays de la région, en commençant par l’Argentine et le Pérou. Le projet pilote prévoyait de reconstruire la chaîne de valeur des déchets électroniques et d’organiser des tables rondes locales avec les parties prenantes concernées. C’était la première fois qu’un large éventail de parties prenantes intéressées se réunissaient pour discuter du traitement des déchets électroniques dans la région. Ce processus a renforcé le projet, et lui a donné davantage de visibilité.
En 2020, le travail s’est poursuivi avec l’OIT par une deuxième période consacrée à la poursuite du projet de recherche sur la gestion des déchets électroniques du point de vue de l’économie circulaire.[3] Cette enquête sera suivie par la mise en place de formations thématiques connexes dans plusieurs provinces du pays.
Défis
La durabilité et la stabilité sont les principaux défis que doit relever l’usine de gestion des déchets informatiques. Le projet dépend des programmes et politiques publiques auxquels il prend part. Le gouvernement provincial accorde notamment des bourses de formation aux jeunes, qui travaillent ensuite dans l’usine, s’assurant ainsi un revenu stable. Le faible volume d’appareils entrants a cependant affecté la stabilité du projet pendant plusieurs saisons de suite.
L’ampleur de la tâche représente également un défi, en lien avec la solidité des relations qu’entretient l’usine avec les entreprises locales, les gouvernements municipaux et autres instances publiques. Les services offerts aux entreprises, écoles et organisations sociales entrent également en ligne de compte, s’échelonnant de la réparation des appareils à leur élimination finale.
La mise sur pied de l’usine a rencontré des difficultés, notamment le mauvais état du bâtiment dans lequel elle se trouve, le processus de certification et les relations avec les régulateurs. Le manque de parties prenantes locales pour certains des processus de traitement adéquat des déchets électroniques complique également la situation.
Outre l’État, aussi bien les fabricants que les réparateurs, les petites et grandes entreprises et les chaînes commerciales ont leur part de responsabilité dans la gestion des déchets électroniques, mais le manque de conscience des responsabilités de chacun dans le traitement des déchets continue à être problématique.
Conclusion
Nous l’avons vu, une usine de déchets électroniques présente des opportunités et des défis. C’est un projet difficile à mettre sur pied et à ancrer dans la durée, et le rôle des parties prenantes – l’appui des entités gouvernementales notamment – est fondamental. La fonction sociale de l’usine et sa durabilité font également l’objet de débats, tous deux étant indispensables à son fonctionnement. Certains spécialistes ont noté que puisque cette activité n’est pas rentable, et qu’elle inclut des tâches dont personne ne veut se charger, il est important que l’usine soit considérée comme un service public, et non seulement une activité économique.
Nodo TAU centre depuis longtemps ses activités sur l’inclusion numérique des communautés locales, et travaille maintenant au traitement des déchets électroniques, dans le cadre de l’économie circulaire des appareils de TIC. Ces deux axes, l’inclusivité et l’économie circulaire, orientent le travail qu’elle réalise, selon deux directions: d’un côté l’amélioration des processus internes permettant d’augmenter l’efficacité et l’efficience des activités de recyclage pour qu’elles soient durables d’un point de vue environnemental, et de l’autre l’amélioration de l’approvisionnement en appareils reconditionnés des communautés ayant besoin d’un accès à des ordinateurs.
Références et suggestions bibliographiques
Roveri, F. (2018, 29 June). Un camino por el acceso de las comunidades. enREDando. https://www.enredando.org.ar/2018/06/29/un-camino-por-el-acceso-de-las-comunidades
Nueva Oportunidad. Provincial programme for the integral inclusion of young people. http://nuevaoportunidad.com.ar
Provincial law of WEEE management. https://www.santafe.gob.ar/boletinoficial/ver.php?seccion=2020/2020-01-28ley13.940-2020.html
Maffei, L., & Burucúa, A. (2020). Residuos de Aparatos Eléctricos y Electrónicos (RAEE) y empleo en la Argentina. ILO. https://www.ilo.org/buenosaires/publicaciones/WCMS_737650/lang--es/index.htm
Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sostenible de la Nación. (2020). Gestión integral de RAEE. Los residuos de aparatos eléctricos y electrónicos, una fuente de trabajo decente para avanzar hacia la economía circular. https://www.argentina.gob.ar/sites/default/files/manual_raee.pdf
Sur le site de l’Observatoire mondial de la société de l’information 2020, consultez les rapports sur les pays suivants:
Bangladesh : https://www.giswatch.org/node/6266
Costa Rica : https://www.giswatch.org/node/6267
République démocratique du Congo : https://www.giswatch.org/node/6232
Inde : https://www.giswatch.org/node/6234
Nigéria : https://www.giswatch.org/node/6237
Note de bas de page
[1] Roveri, F. (2018, 29 juin). Un camino por el acceso de las comunidades. enREDando. https://www.enredando.org.ar/2018/06/29/un-camino-por-el-acceso-de-las-comunidades
[2] Maffei, L., & Burucúa, A. (2020). Residuos de Aparatos Eléctricos y Electrónicos (RAEE) y empleo en la Argentina. ILO. https://www.ilo.org/buenosaires/publicaciones/WCMS_737650/lang--es/index.htm
[3] Ministerio de Ambiente y Desarrollo Sostenible de la Nación. (2020). Gestión integral de RAEE. Los residuos de aparatos eléctricos y electrónicos, una fuente de trabajo decente para avanzar hacia la economía circular. https://www.argentina.gob.ar/sites/default/files/manual_raee.pdf
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