Module 4 : Impact de la production des appareils numériques sur les ressources naturelles et les personnes
Pour trouver et conserver "un espace sûr et juste pour les gens et la planète1", il faut maximiser la récupération de matériaux en recyclant et minimiser l’extraction minière et d’autres ressources.
La nécessaire réduction de la quantité de matières premières dans la fabrication d’appareils numériques
Un appareil numérique se compose de ressources naturelles qui sont extraites du sol (matières premières ou « linéaires ») ou récupérées (matières premières secondaires ou "circulaires"). L’extraction et l’exploitation des ressources naturelles pour les appareils numériques n’est pas durable et entraîne, dans de très nombreux cas, des violations flagrantes des droits humains, et notamment vivre dans un environnement sain2. Dans une économie linéaire, les ressources naturelles extraites et utilisées dans les appareils numériques n’ont pas de valeur hormis leur utilisation dans cet appareil numérique. Un des principaux objectifs des économies circulaires est la réduction drastique de l’extraction de ressources naturelles par le biais de la réparation et du recyclage, et l’augmentation de l’utilisation de matériaux récupérés et recyclés.
Que sont les mines urbaines ?Le terme "extraction urbaine" fait référence à la récupération mécanique ou chimique de métaux rares qui se trouvent dans les déchets électroniques. |
Extraction, minéraux de conflits et extractivisme
L’extraction et l’exploitation sont le premier processus du cycle de vie d’un appareil numérique. Un téléphone portable se compose d’environ 70 éléments chimiques (voir Figure 13)3, notamment de minéraux rares (appelés "terres rares"), d’une longue liste d’alliages, de plastiques et de nombreuses ressources naturelles, dont beaucoup d’eau4.
Comme indiqué dans le glossaire de termes utiles au Module 3, certains minéraux sont ce que l’on appelle des "minéraux de conflits". Extraits dans des zones de conflit, ces minéraux sont souvent vendus de manière illicite pour alimenter le conflit armé. Le tantale, l’étain, le tungstène et l’or comptent parmi les minéraux de conflits et sont communément appelés les "3T et l’or", ou simplement "les 3T" (du fait des noms tantalum, tin et tungsten en anglais).
Pour bien comprendre certains des impacts les plus sévères de l’extraction et de l’exploitation des matériaux qui servent à fabriquer des appareils numériques, il est important de définir le terme "extractivisme". Gudynas indique que trois conditions doivent être réunies pour que l’on puisse parler d’extractivisme :
-
un volume élevé ou une forte intensité d’extraction
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peu ou pas de traitement des matières premières ou ressources naturelles
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l’exportation de 50 % des ressources ou davantage5.
Malgré la popularisation du terme "industries extractives", il est important de comprendre que l’extractivisme n’est pas forcément une industrie, car les ressources sont exportées sous forme de matières premières et ne subissent aucun processus d’assemblage ou de fabrication, auquel le concept "d’industrie" fait pourtant référence.
Les conditions de travail dans l’extraction et l’exploitation ont donné lieu à certaines des infractions des droits humains et environnementaux les plus graves. Des conditions de travail précaires et inhumaines, des problèmes sociaux et des violations des droits humains sont influencés, aggravés et masqués par les chaînes d’approvisionnement mondiales complexes de l’électronique. Les exemples qui illustrent de tels cas dans ce module incluent le Mexique et la République démocratique du Congo (RDC). Ils soulignent les difficultés particulières, les risques et les menaces auxquels les communautés locales sont confrontées lorsqu’elles tentent de résister aux pires effets de l’extractivisme.
L’extraction artisanale et à grande échelle
Le système d’information sur les matières premières (RMIS) créé par l’Union européenne démontre l’impact de l’extraction artisanale et à petite échelle. Selon des estimations très grossières du RMIS, l’extraction artisanale et à petite échelle produit entre 15 % et 20 % des minéraux mondiaux, dont 80 % de tous les saphirs, 20 % de tout l’or et 20 % des diamants. Elle est également un producteur majeur de matières premières stratégiques pour la fabrication électronique, et représente 26 % de la production mondiale de tantale et 25 % de celle d’étain6.
La croyance selon laquelle l’extraction artisanale et à petite échelle est plus durable que l’extraction à grande échelle est répandue. Mais de récentes études7 et les exemples présentés dans ce module illustrent la complexité des difficultés et des risques que posent l’extraction artisanale et l’extraction à grande échelle. Alors que l’extraction artisanale et à petite échelle est généralement considérée intimement liée aux moyens d’existence de communautés locales dans le monde, ces activités sont de fait souvent contrôlées et fortement taxées par des élites locales, avec très peu de voies de recours possibles en cas d’enfreinte des droits.
L’extraction à grande échelle tend à être davantage en lien avec des acteurs nationaux et mondiaux, qui entretiennent des liens très faibles avec les communautés locales et l’économie locale autour des sites d’extraction et d’exploitation. Ces différences font que l’extraction minière artisanale et l’extraction minière à grande échelle ont des relations très différentes avec les conflits et les violations des droits humains et environnementaux.
Les appareils portables dépendent souvent de minéraux qui peuvent être extraits dans des conditions de conflit armé et qui entraînent de nombreuses violations des droits humains. Bien que de multiples initiatives mondiales tentent d’améliorer la transparence et la redevabilité des chaînes d’approvisionnement des minéraux8, nombre de ces initiatives ne remettent pas en cause la logique et l’histoire coloniale de l’extractivisme dans les pays du Sud9. De ce fait, de nombreux appareils continuent d’être produits avec des minéraux de conflits10.
Et dans la pratique ?
Plus de 230 organisations de la société civile du monde entier ont publié en septembre 2020 une déclaration demandant à la Commission européenne (CE) de réévaluer ses plans pour l’obtention de matières premières. La déclaration faisait état d’irrégularités, d’un manque de mécanismes de transparence et d’un manque de considération pour la résistance croissante des communautés locales. Elle appelait la CE à mettre en place des politiques visant à réduire la consommation, promouvoir le recyclage et contribuer à "une part équitable de soutien aux nations du Sud en guise de réparation suite à l’extraction continue des richesses du Sud au profit de l’Europe, qui a lieu depuis des siècles11".
Figure 13 : Éléments trouvés dans les équipements électriques et électroniques. (Source: Global E-waste Monitor 2020)
La demande de cobalt, composant clé des batteries rechargeables, devrait rapidement dépasser l’offre disponible. Plus de 60 % de l’extraction de cobalt dans le monde est réalisée en RDC, et 90 % des mineurs de cobalt dans le pays travaillent pour des mines artisanales et à petite échelle, qui ont pour beaucoup des conditions de travail dangereuses12, font travailler des enfants et n’ont qu’un accès limité aux marchés légaux et transparents. L’Alliance du cobalt équitable a été créée pour soutenir la gestion de l’extraction artisanale et à petite échelle, pour éradiquer le travail des enfants et augmenter les revenus des ménages en investissant dans des programmes communautaires et un renforcement des capacités hors site13.
La vérification de la traçabilité des chaînes d’approvisionnement et les concepts tels que l’« enquête raisonnable » – qui excluent la nécessité d’audit interne – et la « diligence raisonnable » visent à appuyer les réponses institutionnelles aux violations des droits dans l’extraction artisanale et à petite échelle et devraient permettre d’identifier de manière fiable des minéraux source avec davantage de transparence et de redevabilité. Les organisations tierces de suivi et d’évaluation réalisent ce travail sur toute la chaîne d’approvisionnement de l’industrie électronique. Ce sont notamment Electronics Watch, le Global Electronics Council, TCO Certified et le GoodElectronics network, qui compte plus d’une centaine de membres dans le monde.
Références
1 Raworth, K. (2012). A Safe and Just Space for Humanity: Can we live within the doughnut? Oxfam. https://policy-practice.oxfam.org/resources/a-safe-and-just-space-for-humanity-can-we-live-within-the-doughnut-210490
2 Campagne pour le droit à vivre dans un environnement sain. (2020, 10 septembre). The Time is Now! Global Call for the UN Human Rights Council to urgently recognise the Right to a safe, clean, healthy and sustainable environment. https://www.ciel.org/wp-content/uploads/2020/09/Global-Call-for-the-UN-to-Recognize-the-Right-to-a-Healthy-Environment-English.pdf
3 Deubzer, O., Herreras, L., Hajosi, E., Hilbert, I., Buchert, M., Wuisan, L., & Zonneveld, N. (2019). Baseline and gap/obstacle analysis of standards and regulations. CEWASTE. https://cewaste.eu/wp-content/uploads/2020/03/CEWASTE_Deliverable-D1.1_191001_FINAL-Rev.200305.pdf
4 La fabrication de puces électroniques consomme beaucoup d’eau. TSMC, à Taïwan, par exemple, la plus grande fonderie indépendante dédiée aux semi-conducteurs (pure-play), a consommé plus de 156 millions de litres d’eau par jour en 2019. TSMC. (2019). Corporate Social Responsibility Report.https://esg.tsmc.com/download/csr/2019-csr-report/english/pdf/e-6-greenManufacturing.pdf
5 Gudynas, E. (2013). Extracciones, extractivismos y extrahecciones. Un marco conceptual sobre la apropiación de recursos naturales. Observatorio del desarrollo, 18. http://ambiental.net/wp-content/uploads/2015/12/GudynasApropiacionExtractivismoExtraheccionesOdeD2013.pdf
6 Voir également: Weldegiorgis, F., Lawson, L., & Verbrugge, H. (2018). Women in Artisanal and Small-Scale Mining: Challenges and opportunities for greater participation. International Institute for Sustainable Development. https://www.iisd.org/system/files/publications/igf-women-asm-challenges-opportunities-participation.pdf
7 Stoop, N., Verpoorten, M., & van der Windt, P. (2019). Artisanal or industrial conflict minerals? Evidence from Eastern Congo. World Development, 122, 660-674. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.06.025
8 Centre de développement de l’OCDE. (2019). OECD and EITI Standards for Transparent Mineral Supply Chains. Centre de développement de l’OCDE.https://eiti.org/document/oecd-eiti-standards-for-transparent-mineral-supply-chains
9 Gudynas, E. (2013). Op. cit.
10 Church, C., & Crawford, A. (2018). Green Conflict Minerals: The fuels of conflict in the transition to a low-carbon economy. International Institute for Sustainable Development. https://www.iisd.org/system/files/publications/green-conflict-minerals.pdf
11 Sauvons la forêt. (2020, 28 septembre). Dicen a la Comisión Europea que no podemos superar la crisis climática minando el planeta.https://www.salvalaselva.org/comunicados-prensa/9870/dicen-a-la-comision-europea-que-no-podemos-superar-la-crisis-climatica-minando-el-planeta
12 Amnesty International. (2016). "Voilà pourquoi on meurt" les atteintes aux droits humain en République Démocratique du Congo alimentent le commerce mondial du cobalt. https://www.amnesty.org/en/documents/afr62/3183/2016/en/
13 Fairphone. (2020, 24 août). Be part of the change: Join the Fair Cobalt Alliance. https://www.fairphone.com/en/2020/08/24/be-part-of-the-change-join-the-fair-cobalt-alliance
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